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Tibet (3) Forteresse Yumbulhakang

Publié le 20 mars 2008 par Argoul

Malgré l’altitude, la nuit se passe bien. Je crois que nous sommes fatigués du voyage autant que du décalage horaire. Le petit-déjeuner se prend dans le hall de restaurant chinois, avec des aliments chinois : nouilles, épinards sautés, œufs durs cuits dans le sel, jus de pastèque. Nous sommes au Tibet mais tout est chinois. Le réveil a été assez dur pour la plupart et ils ne prennent que du pain et du thé.

Nous suivons en bus le Tsangpo vers l’est. Dans les bras morts du fleuve, des ouvriers en motoculteurs retournent la terre. Ils ne recherchent pas de l’or mais du bon sable à béton. Cela pour alimenter le génie créatif des architectes pékinois, dépêchés au Tibet avec mission de bâtir le monde moderne. Sont-ils ingrats ces Tibétains ! La route goudronnée – chinoise - s’arrête néanmoins à la sortie de la ville, pour bien marquer que l’on retrouve le domaine des « sauvages ». Reste une piste sur laquelle cahote le bus qui en a vu d’autres.

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Au loin se dresse une forteresse sur une crête, dominant le fleuve. C’est le Yumbulhakang, « le plus ancien fort » du Tibet, selon le guide. Croyons-le. En cet endroit, le premier roi historique du Tibet, Nyatri Tsanpo, serait descendu du ciel au long d’une corde. Le fort est bien neuf, tout chaulé, frais repeint de rouge bordeaux sous le toit. Il date de moins de 10 ans car la Révo Cul l’avait entièrement détruit après 1966. Mao contre dalaï. Aujourd’hui, les ex-maos français 68 se sont reconvertis dans le Droadelôm et brûlent ce qu’ils avaient adoré hier : c’est ça aussi la comédie humaine à la française. Mao, c’est plus le Bien en marche ; la Chine, qui « montrait la voie » est désormais montrée du doigt. Où est l’erreur ? Peut-être serait-il bon de l’analyser avant de pétitionner, manifester, se scandaliser « comme si on n’avait jamais vu ça » ! Si, on l’a vu, et c’était il y a 20 ans à Paris, « ville Lumière », France.

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La forteresse, tibétaine Bastille, était le symbole « honni » du féodalisme mythifié. Il fallait lutter pour le Progrès chanté par Marx et traduit en mandarin par Mao – le Génial instit. Honnir les « quatre vieilleries » : vieilles idées, vieille culture, vieilles coutumes, vieilles habitudes. Le 6 août 1966 les gardes de couleur transformaient le Djokhang, le temple le plus vénéré du Tibet, en pissotières et en boucherie. La haine engendre le fanatisme. Nos ancêtres révolutionnaires, il y a deux siècles, ont fait pareil ; et nos donneurs de leçons 2008, qui ont « fait » 68, ont saccagé la Sorbonne et l’Odéon. Le Tibet d’aujourd’hui a beaucoup à voir avec la Vendée d’alors. Ce qui n’empêche pas notre « bonne conscience de gauche » de donner des leçons aux Chinois. Comme écrivait la vénérée Alexandra David Néel, « nous demandons beaucoup trop aux créatures, contentons-nous de ce qu’elles nous donnent et ne réclamons rien en plus. » Au lieu de faire la morale, comme si nous en étions dépositaires de droit divin (et en oubliant les versatilités passées…), pourquoi ne pas secouer un peu les idées reçues ? Après tout, la féodalité monastique était-elle vraiment à conserver ? Il s’agit plus aujourd’hui de redonner une autonomie culturelle aux Tibétains que de revenir aux siècles passés. Il s’agit de « libéralisme », au sens de Voltaire et Montesquieu. « Les libertés » contre le marxisme – la « dictature du prolétariat » - appliqué au nom du « peuple » par le PC chinois. La spiritualité universelle du dalaï-lama vaut cent fois mieux que la Môrrâal des ex-maos de Saint-Germain des Prés.

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Le fort était bâti originellement de pierres cimentées de terre. La tour s’élève à onze mètres au-dessus du sol et ses murs sont très épais. Quelques gamins et gamines du village qui s’étend au pied nous attendent pour nous accompagner en gazouillant. Ils prennent la main pour faire plus amical, déjà commerçants. Leur but est de soutirer un petit billet à la fin en jouant au guide, même s’ils ne parlent pas un mot d’anglais. Les parents doivent les envoyer en se disant que c’est toujours cela de gagné. Mais ils sont touchants, comme tous les gosses, moins vendeurs que curieux des autres.

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Les bâtiments du fort commandent la vallée fertile arrosée par le Tsangpo. L’eau est rare au Tibet et le limon apporté par le fleuve permet des cultures, impossibles plus haut dans les montagnes. D’où l’importance stratégique de l’endroit et sa richesse agricole à protéger. La vallée nous apparaît fort verte depuis le toit de la forteresse. Elle est plantée d’orge, de lin et de colza. Les villages au bord des champs sont bâtis de pisé et ont les murs couleur terre. Le fort abrite aujourd’hui un sanctuaire bouddhiste reconstitué, sombre et enfumé comme tous ses pareils. Y trônent des statues dorées des personnages mythologiques : Bouddha, Manjusri, Maitreya, le roi mythique et ses ministres. Les peintures sur les murs sont fraîchement restaurées elles aussi. L’une d’elle raconte l’histoire du roi descendu du ciel, porté sur les épaules d’un robuste indigène, un berger bönpo, démon-chef de clan de l’époque.

Comme dans une bande dessinée, voici le Tibet imaginaire du Vème siècle. Ces hommes sur lesquels allait régner le roi résultaient de l’accouplement du singe (Chengresig incarné, saint patron du Tibet) et d’une démone du cru, l’ogresse Madrak Sinmo (incarnation de Drölma). Les deux sont dessinés en pleine besogne dans un coin de l’image (où est la procédure « alerte » pour dénoncer cette choquante image ?). C’est tout cru : le monstre noir et poilu viole bestialement un corps féminin blanc et délicat. Les paysans sont présentés portant tunique, souvent le bras droit dégagé comme les nomades d’aujourd’hui.

Les légendes du Tibet sont un peu compliquées : Chengresig est Avalokiteshvara, bodhisattva de la Compassion, patron du Tibet. Un bodhisattva est un sage, celui qui a atteint la Connaissance parfaite mais reste dans cette vie pour aider les hommes à faire de même. Drölma est Tara, née d’une larme d’Avalokiteshvara lorsqu’il pleurait sur les souffrances de ce monde. Elle est la mère de la Miséricorde. Un beau jour de l’an 400 et quelques, le premier texte bouddhique est lui aussi tombé du ciel, et justement en cette région bénie des dieux. Mais historiquement, les premiers pas du bouddhisme au Tibet sont dus… aux Musulmans ! C’est parce qu’ils progressaient dans le nord de l’Inde que les Bouddhistes ont franchi l’Himalaya et propagé la Doctrine. Jusqu’en Chine, donc dans son appendice coréen, puis tout naturellement au Japon. Les murs sont décorés de svastikas tournant dans les deux sens. Pour nous, svastika évoque nazisme. Mais c’est un vieux symbole indien, l’univers en mouvement, l’impermanence des choses. Chez les böns, magiciens tibétain pré-bouddhistes, la svastika tourne vers la gauche ; chez les bouddhistes elle tourne vers la droite, telle que les Nazis l’ont reprise.

Nous montons un peu plus haut pour la vue, sur les pics qui s’étagent derrière le fort. Michel s’installe pour dessiner à l’encre ; il est vite entouré des trois gavroches qui nous ont accueillis. Cela malgré l’attrait de la chasse au lézard qu’un gamin a entrepris entre les rochers. Voir dessiner est bien plus mystérieux que massacrer la bête. Nous sommes devant un grand paysage, au relief accusé, la lumière dure sous le ciel bleu immense. L’air est sec et léger à cette altitude, le soleil brille impitoyablement. Dans les visages empoussiérés, les yeux des gosses brillent d’une vive curiosité.


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