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Une blonde peut-elle faire trébucher la théorie de la concurrence ?

Publié le 20 juin 2012 par Copeau @Contrepoints

La théorie des jeux ou le dilemme du prisonnier sont-ils vraiment une réfutation de l’optimalité de la concurrence ?

Par Acrithène.

Une blonde peut-elle faire trébucher la théorie de la concurrence ?

Non, cet article ne parle pas de Paris Hilton

Peut-être avez vous déjà vu cet excellent film qu’est A Beautiful Mind (Un homme d’exception, 2001), une biographie du mathématicien, théoricien des jeux et prix Nobel d’économie John Nash. On y trouve une scène d’introduction à la théorie des jeux présentée comme une réfutation de l’efficacité du marché.

Quelques commentaires sur cette scène (à visionner sur Youtube)…

Confondre les acteurs d’un problème avec la société

Le sophisme le plus notable de la scène repose sur la notion de « groupe » et de « communauté ». On ne compare deux raisonnements que lorsqu’ils cherchent à résoudre un même problème, ici le bien-être de la communauté. Mais la scène cache habillement la divergence de définition de la communauté, qui est l’ensemble de la société (Filles + Garçons) chez Adam Smith, et seulement une moitié (Garçons) dans la bouche de Russell Crowe.

Ce sophisme est souvent utilisé par ceux qui voient dans le « dilemme du prisonnier » une réfutation de l’optimalité de la concurrence. Le dilemme du prisonnier est une vulgarisation intéressante de la théorie des jeux, présentant une situation dans laquelle deux complices sont arrêtés par la police qui les interroge dans des pièces séparées. A chaque criminel, la police propose l’accord suivant :

  • En cas de dénonciation mutuelle, vous prendrez chacun 5 ans.
  • Si tu le dénonces et que ton complice ne te trahit pas, il prendra seul 10 ans de prison et tu repartiras libre. Et inversement.
  • Enfin, en l’absence de dénonciation, chacun rentrera libre chez lui.

En de telles circonstances, la dénonciation est ce que les théoriciens des jeux appellent une « stratégie dominante », c’est-à-dire une action qui est, d’un point de vue égoïste, préférable à toutes les autres quelle que soit la décision de l’autre joueur. En effet, si mon complice me dénonce, j’échapperai à 5 ans en le dénonçant aussi. Et s’il ne me dénonce pas, je suis indifférent à l’avoir ou non dénoncé. Chacun ignorant le choix de l’autre, il semble alors clair que chaque prisonnier rationnel et égoïste dénoncera son complice. Or cette issue n’est pas la meilleure pour les prisonniers, il eut mieux valu pour les deux que chacun se taise.

Peut-on faire de cet exemple une réfutation de l’optimalité de la concurrence ? Arrêtez-moi si je m’égare, mais à ma connaissance, l’intérêt de la société ne se confond pas avec celui des criminels, et son intérêt est bien opposé au leur. L’absurdité de l’exemple est telle qu’on ne discerne plus l’aspect abusif de l’interprétation qui en est parfois donnée. Les prisonniers ne sont pas les seuls concernés par l’issue du jeu !

Le sophisme qui consiste à confondre les intérêts des acteurs saillants d’un problème avec l’intérêt général est un des plus grands soucis du débat public. Il ne serait pas intrus dans les sophismes économiques que dénonçait Frédéric Bastiat dans Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas (1850).

Peut-être un cynique hédoniste objectera-t-il que dans la démonstration de Russell Crowe, les quatre brunes sont plus heureuses quand les garçons se liguent et qu’elles ignorent être des pis-aller. Mais cet hédonisme fait fi du libre-arbitre et de la vérité.

Soulignons au passage une autre confusion. L’égoïsme n’est pas synonyme d’autisme, et l’altruisme n’est pas nécessaire à la coopération. Au fond, si dans la scène les garçons venaient à coopérer ce serait paradoxalement par pur égoïsme. Ainsi la solution préconisée par le personnage de Nash est en vérité comprise dans le système de pensée qu’il prétend dénoncer : il suffit que chacun se préoccupe de son seul intérêt pour que tous acceptent la proposition de coopération, vu que chacun y gagne, et ce même dans l’indifférence la plus totale aux intérêts du groupe.

Ce qu’apporte vraiment la théorie des jeux

En fait, ce qu’explique le personnage de Nash dans cette scène est d’une grande banalité. On sait depuis des siècles, voire davantage, que des concurrents ont toujours intérêt à se coaliser et à agir de concert. D’ailleurs Adam Smith lui-même en parlait beaucoup (voir la deuxième partie du billet lié à ce sujet). Rassurez-vous, on ne distribue pas les prix Nobel pour si peu.

La théorie des jeux ne réfute pas la théorie économique jusqu’alors traditionnelle mais la complète. La théorie des jeux permet de comprendre des situations où des individus peuvent avoir, tout seul, un effet sur la situation des autres, et donc sur leurs décisions. L’exemple typique, ce sont les jeux (au sens commun : les échecs, le poker…).

Dans la théorie économique traditionnelle, la concurrence la plus parfaite implique que les agents économiques soient trop petits ou trop nombreux pour que leur choix impacte celui de leurs concurrents. Les travaux mathématiques sur le sujet, parfaitement contemporains de ceux de John Nash d’ailleurs, montrent qu’en ces circonstances, la concurrence aboutit à un résultat optimal.

Ce résultat était pressenti depuis au moins le XVIIIème siècle. Son corollaire était que lorsque la concurrence s’éloignait de cette circonstance parfaite, elle perdait en efficacité. Or, dans la société réelle, la situation de concurrence parfaite, si elle peut constituer un idéal à poursuivre, n’est jamais observée. Par exemple, dans le film, on est loin d’une situation de concurrence saine vu que des concurrents en nombre limité discutent d’une éventuelle entente. Cependant, il n’existait pas avant la théorie des jeux un outil mathématique systématique permettant d’appréhender les effets de cet éloignement de la concurrence parfaite. La théorie des jeux, qui en tant que branche des mathématiques n’a pas d’avis idéologique, répondait à cette absence.

Nash n’a donc pas découvert que la concurrence était parfois imparfaite. Il a contribué à l’outil qui permet d’analyser les dysfonctionnements causés par l’atténuation de la concurrence, et en particulier par la réduction du nombre des « joueurs ». Un sujet qui occupait les économistes depuis déjà longtemps.

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