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Frontières ouvertes

Publié le 20 juin 2012 par Copeau @Contrepoints

Un individu a le droit de décider qui peut vivre, travailler ou acheter sur sa propriété, mais il n'a aucun droit pour décider qui peut vivre, travailler ou acheter dans son pays. Les barrières migratoires restreignent l’interaction volontaire entre les personnes. Il faut réclamer leur suppression et des frontières ouvertes.

Par Albert Esplugas Boter

Dans une société non dirigée, les biens, les capitaux et les personnes jouiraient d'une liberté de mouvement sans restriction basée sur la volonté libre et le respect de la propriété. Il n'y aurait pas de frontières au-delà des limites que les individus désireraient établir autour de leurs domaines particuliers. L'immigration ne serait ni subsidiée ni pénalisée, tout un chacun pourrait se déplacer à l'échelle internationale de la même manière que nous nous déplaçons aujourd'hui à l'échelle nationale. Aucun État ne s'arrogerait la possibilité d'employer la force contre des individus dont l'unique délit aura été de franchir une ligne imaginaire tracée sur une carte en voulant chercher à améliorer sa vie.

Frontières ouvertes

Quelques auteurs libéraux, toutefois, soutiennent que tant qu'existera l'État-providence, il faudra plaider en faveur d'une politique migratoire sévèrement restrictive. Hoppe, par exemple, signale que l'État devrait agir comme un « gatekeeper » ou gardien qui empêche l'entrée sur le territoire de ces immigrants qui n'auraient pas expressément été invités. La population préférerait habiter dans des environnements culturellement homogènes, poursuit-il dans son argumentation, et dans un contexte dans lequel l'État a usurpé le pouvoir décisionnel des individus en ce qui concerne le territoire, ouvrir les frontières équivaudrait à permettre l'invasion étrangère et l'intégration forcée. Hoppe est arrivé en ce sens à défendre une politique migratoire notoirement plus restrictive que celle qui se pratique aujourd'hui aux États-Unis ou en Suisse. Une telle posture, cependant, implique que l'État peut faire usage de la force contre des individus qui n'ont agressé personne, des individus qui ont pénétré dans une région sans attaquer aucune propriété privée. Est-il possible de souscrire à une conclusion de ce type à partir de postulats libéraux ? En réalité, comme le note Reisman, tout ce qu'il faut pour que la présence d'un immigrant soit légitime, c'est qu'il possède une propriété sur le territoire ou qu'un natif soit disposé à l'avoir comme employé, client ou locataire. L'État n'a aucun rôle à jouer ici, puisque l’immigrant est de fait « invité ».

Kinsella a exposé l'argumentaire de Hoppe d'une manière plus sophistiquée, mais qui convainc tout aussi peu. Kinsella déclare que la propriété publique (ports, gares, aéroports, routes) appartient en toute bonne justice aux contribuables en général, donc tant qu'elle est publique, l'État doit procéder comme s'il était un administrateur de la propriété des contribuables, en fixant des normes d'usage en accord avec les préférences de ceux-ci. Comme la majorité des contribuables s'opposeraient à l'immigration sans restriction, Kinsella soutient que l'État peut limiter l'accès des immigrants aux propriétés publiques, restreignant ainsi de fait l'immigration sur le territoire. Mais il y a plusieurs problèmes avec cette thèse. Pour commencer, la propriété publique n'appartient pas à tous les contribuables mais seulement à ceux qui ont été expropriés et aux contribuables nets (ceux qui reçoivent de l'État moins que ce qu'ils lui rapportent), dès lors, dans tous les cas, ce sont les préférences de ces derniers qui devraient être tenues en compte. D'un autre côté, l'usage de la force est-il légitimé par les préférences de ces propriétaires ? En deuxième lieu, l'usage de ces propriétés que les contribuables pourraient privilégier comme votants n'est pas forcément le même que s'ils le faisaient comme propriétaires de fait. Hoppe lui-même a montré que si les ports, les gares, les aéroports et les routes étaient privées, l'accès serait autorisé à celui qui paierait le prix, puisque le commerce en question concerne précisément le trafic inter-régional, non l'exclusion des immigrants. En troisième lieu, pourquoi des mêmes normes uniformes pour toutes les propriétés publiques si leurs propriétaires ont des préférences disparates en ce qui concerne l'immigration ? Pourquoi ne pas considérer qu'une partie des ressources du pays est la propriété des contribuables pro-immigration et qu'une autre partie est celle des contribuables anti-immigration, et appliquer des règles d'accès distinctes qui permettent, de facto, l'immigration dans le pays ? Dans tous les cas, la thèse de Kinsella n'autoriserait que la restriction de l'accès des immigrants à la propriété publique, mais non pas l'arrestation et la déportation des immigrants qui seraient entrés d'une manière ou d'une autre sur le territoire et se trouvent sur des propriétés non publiques, sans agresser personne.

Il y en a qui arguent du fait qu'ouvrir les frontières alors qu'existent des lois anti-discriminatoires et des prestations sociales massives équivaudrait à installer l'intégration forcée et à saigner les contribuables, mais ce n'est pas là une raison pour limiter l'immigration, mais bien pour supprimer les prestations sociales et les lois anti-discriminatoires. Une option, défendue par des auteurs comme Huerta de Soto, est de réclamer l'ouverture des frontières et en même temps l'abolition des prestations sociales pour les immigrants, d'un côté et de l'autre, la négation du « droit de vote » pendant quelques années. De cette manière, l'immigration ne serait pas incitée artificiellement ni ne supposerait un coût pour les contribuables, et les nouveaux arrivés ne seraient pas utilisés à des fins électoralistes ni ne pourraient promouvoir des politiques de redistribution des revenus. Un tel traitement inégal serait-il injuste ? Sans doute l'idéal serait que les prestations sociales soient abolies pour tous et que les décisions soient prises par les personnes et non pas par les parlements, mais cette proposition partielle est plus juste et souhaitable que les barrières migratoires que nous avons aujourd'hui.

Quoi qu'il en soit, il n'y a pas de signaux qui indiqueraient que l'on implémenterait une politique de ce type. Aux États-Unis, le sénat se propose de renforcer la sécurité aux frontières, de déporter une partie des immigrants illégaux et de pénaliser ceux qui les assistent. Des centaines de milliers d’immigrants sont descendus dans les rues pour revendiquer leur permanence dans le pays et un statut légal. Beaucoup d'Américains se plaignent de ce que les immigrants porteraient atteinte à l'économie en réduisant les salaires des nationaux, mais ce qui est sûr, c'est que les immigrants contribuent à une plus grande division du travail et que cela se répercute également au bénéfice des nationaux eux-mêmes. Comme l'indiquait Boudreaux, plus d'individus signifie plus de créativité, plus de capacité pour résoudre des problèmes, plus de connaissance, et au final, plus de prospérité pour toute la société. D'un autre côté, même si l'immigration abaissait les salaires de quelques nationaux sous l'effet de la concurrence, pourquoi faudrait-il privilégier ces nationaux face aux immigrants de pays moins développés ?

Mis à part le fait qu'éliminer le protectionnisme bénéficierait aux pays pauvres et que cela supprimerait l'incitation à émigrer, un dernier point à tenir en compte est que restreindre la liberté de mouvement suppose rendre plus difficile le vote avec les pieds qui fait que les pays sont en concurrence entre eux pour attirer les investissements et les travailleurs, réduisant ainsi leurs niveaux d'interventionnisme. Dans la mesure où l'on applique des politiques restrictives, moins d'individus pourront émigrer des États relativement plus oppresseurs vers des États qui le sont relativement moins, et il existera moins de concurrence entre ces États.

Un individu a le droit de décider qui peut vivre, travailler ou acheter sur sa propriété, mais il n'a aucun droit pour décider qui peut vivre, travailler ou acheter dans son pays. Les barrières migratoires restreignent l’interaction volontaire entre les personnes. Il faut réclamer leur suppression avec elle des prestations sociales et le refus temporaire du vote politique, et dans tous les cas demander que l'État ne soit pas le premier à faire usage de la force contre les immigrants qui ont réussi à éviter ses barbelés et essaient de prospérer parmi nous.

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Traduit de l'espagnol.

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