Le Monde titrait son édition datée du 19 juin : " Les pleins pouvoirs pour M. Hollande ". Cette expression de pleins pouvoirs me semble mal venue.
Le 10 juillet 1940, ce qu'on appelle aujourd'hui le Parlement avait adopté la loi constitutionnelle suivante : " L'Assemblée nationale donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain, à l'effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l'État français ". On a coutume de dire que le maréchal Pétain avait reçu les pleins pouvoirs alors qu'il s'était vu simplement attribuer le pouvoir constituant.
De même, suite au putsch d'Alger, le 23 avril 1961, le président de Gaulle, revêtu de son uniforme de général, avait déclaré au journal de 20 heures à la télévision : " J'ai décidé de mettre en œuvre l'article 16 de notre Constitution ". Là aussi, on a pris l'habitude de dire qu'il avait alors mis en œuvre les pleins pouvoirs jusqu'au 30 septembre 1961, ce qui ne correspond pas à la lettre de l'article 16. Cette expression vise peut-être à évoquer des événements où la démocratie a été mise entre parenthèses mais, à ma connaissance, elle n'a pas de précédent historique.
Évidemment, ce que l'on veut souligner ici, c'est que le président Hollande détiendrait tous les pouvoirs : la présidence, l'Assemblée, le Sénat, les régions. C'est à nouveau une simplification totalement abusive : c'est le parti socialiste qui est majoritaire au Parlement et dans les régions, le président n'exerçant que la présidence. S'il peut influencer les exécutifs locaux, je ne pense pas que quelque lien organique lui permette de les contraindre à sa volonté. Il est d'ailleurs singulier que ceux-là même qui minimisaient l'impact de leurs défaites municipales ou régionales, en affirmant qu'il s'agissait de situations locales sans conséquence au niveau national, voient désormais une menace dans la configuration actuelle.
Il est tout aussi étrange de prétendre que le président détient l'Assemblée et le Sénat. Les cinq années pendant lesquelles le président a allègrement violé la Constitution en réduisant presque à néant la fonction de premier ministre ont fait oublier aux commentateursle rôle dévolu au président par la Constitution : " Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités. [...]Le Président de la République nomme le Premier Ministre. [...] Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement ".C'est cette séparation entre le rôle d'un président arbitre et celui d'un premier ministre gouvernant qui a permis au pays d'être administré durant les trois cohabitations qu'il a connues. Ces trois phases n'ont pas été les plus fécondes de notre République mais il est pour le moins curieux d'avoir vu la droite vanter les mérites de la cohabitation à la veille de sa défaite.
Il est en outre un pouvoir dont la gauche ne dispose pas, c'est celui de modifier la Constitution, ce que Nicolas Sarkozy lui s'était empressé de faire, tant que des sénateurs au mandat prolongé lui assuraient encore la majorité nécessaire.