Ce mercredi 20 juin a eu lieu à Rio de Janeiro l’ouverture officielle du Sommet de la Terre et des Peuples : Rio+20. Ouvert en grande pompes par la présidente du Brésil Dilma Rousseff et marqué par la venue de François Hollande, Rio+20 est déjà critiqué par la presse internationale pour son manque d’ambition et le peu de consensus autour de l’adoption de mesures de fond, telle la création d’une organisation mondiale de l’environnement. Le texte final rassemblant les engagements de ce sommet, bien que pétrit de bonnes intentions est en effet pauvre en mesures concrètes et contraignantes.
D’ailleurs l’allocution de François Hollande mercredi soir à Rio, bien qu’optimiste en apparence, ne cachait pas, dans le fond, une légère déception face à l’insuffisance des résultats. Mais le président, soucieux de voir le « verre à moitié plein » comme il l’a souligné, a présenté les points sur lesquels Rio+20 est, selon lui, un succès. L’adoption d’une feuille de route pour les ODD (Objectifs du Développement Durable) en est le plus fort exemple. Succès qu’il a tenu à attribuer à la société civile et au « monde du terrain » dont il encourage, en creux, la poursuite des actions et des pressions sur le monde politique pour les années à venir.
Mais à Rio c’est dans les couloirs du sommet que l’espoir est réellement présent. Loin des flashes et des grands discours télévisés, a par exemple été signé hier un accord de coopération tripartite innovant entre les pays du Sahel, la France et le Brésil, portant sur le soutien au projet « La Grande Muraille Verte » : ambitieux programme de reverdissement du sahel et de barrage de l’avancée du désert. Cet accord de coopération, doté d’un budget de 1 million d’euros, illustre la volonté et la capacité d’un grand nombre de pays à s’organiser et agir régionalement, hors du système onusien et de son inertie bureaucratique, pour faire face aux grands enjeux auxquels ils sont confrontés.
Un autre exemple de mouvement ancré hors du cadre onusien, mais présent à Rio pour faire entendre sa voix, est celui de l’action du mouvement La Via Campesina, mouvement international coordonnant les organisations de petits et moyens paysans présent au sommet des Peuples (le sommet alternatif). La Via Campesina a tenu une conférence choc dans l’enceinte du sommet officiel. Animée par un orateur cubain fort en thème, la conférence a fait une démonstration percutante, appuyée par les résultats de plusieurs études scientifiques, de la capacité de l’agriculture de proximité à répondre au besoin de l’accroissement de la production alimentaire mondiale.
Dans un contexte international où beaucoup des pays développés ont atteint leur capacité de production agricole maximale, la marge d’accroissement de production devant répondre aux besoins alimentaires d’une démographie planétaire en explosion se trouve aujourd’hui principalement dans les pays en voie de développement. Pays sur lesquels les multinationales agricoles lorgnent déjà afin d’y étendre leur empire industriel et d’y répliquer les modèles d’agriculture intensive des pays du nord.
Les résultats scientifiques mis en avant par le responsable du mouvement La Via Campesina et basés sur des essais comparés en champs montrent que le renforcement d’une agriculture de proximité, reposant sur l’utilisation de cultivars locaux et la revalorisation des savoirs faires traditionnels, permet une augmentation de production significativement plus importante que celle produite par l’agriculture intensive industrielle. Les méthodes de productions traditionnelles permettent par ailleurs de tripler le nombre d’emplois par unité de production et de développer une agriculture plus résiliente aux chocs environnementaux. Les marges d’accroissement de production agricole pourraient ainsi atteindre, selon les pays, jusqu’à 300% de la production actuelle.
Enthousiasmé par le charisme et l’énergie du tribun, la salle a salué l’issue du discours par un « Globalisamos la Lucha » (globalisons la lutte), lancé par l’orateur puis repris et scandé le poing levé par les auditeurs de toutes origines. Chaude ambiance dans le public, traduisant l’optimisme soulevé par ce message d’espoir dans le monde pas toujours rose du développement.
Mais à la question portant sur les freins à l’adoption des propositions de La Via Campesina à l’accord final de Rio+20 qui sera signé par les chefs d’Etats, et actuellement examiné par les négociateurs de chaque pays, la réponse, très éclairante sur une réalité troublante, a refroidi l’auditoire :
Les délégations de négociateurs de certains pays, plus riches en lobbyistes représentants de multinationales qu’en représentants de la société civile bloquent toute négociation portant sur l’adoption de mesures favorisant les intérêts ou l’indépendance des petits paysans. Les articles litigieux sont écartés du texte final afin d’aboutir rapidement sur un document consensuel que tous les chefs d’Etats accepteront de signer à l’issue du sommet. Les pays cités sont, sans surprise, ceux comptant les plus grandes multinationales agricoles : Etats-Unis, Canada, Australie mais aussi Argentine et… Brésil, pays hôte de la conférence !
Mais le cynisme de ces grandes conférences onusiennes n’empêche pas les associations telle « La Via Campesina », lucides et désabusées du système, de continuer à avancer et de mener leurs actions de terrain. Leur présence à Rio et les résultats qu’elles mettent en avant permettent de faire évoluer les mentalités, même au sein de la classe dirigeante, pour que, demain peut-être les choses puissent changer.
Un dernier évènement marquant, illustrant l’ambiguïté de la position brésilienne en matière d’environnement est la manifestation des représentants du peuple indien au Sommet des Peuples pour dénoncer les effets désastreux du projet de barrage de Belo Monte, en région amazonienne. En noyant plus de 500 km2 de forêt primaire, le lac de retenue du barrage engloutira les territoires de plusieurs tribus indiennes autochtones et anéantira la biodiversité unique de cette partie de l’Amazonie. Le chef indien Raoni Metuktire, qui incarne la lutte et représente les tribus concernées par le projet, a initié une pétition signée par plus de 500 000 personnes dans le monde dont près de 200 000 français. Afin de faire pression sur le gouvernement brésilien, le chef indien a souhaité rencontrer François Hollande lors de son passage hier au pavillon français pour le conscientiser au problème et tenter d’obtenir de lui un plébiscite auprès de Dilma Roussef pour la cause indienne. Mais, retenu par les forces de sécurité à l’entrée, il est arrivé trop tard, juste après le cocktail fastueux et le départ du président du pavillon français. hasard ou orchestration secrète de la délégation française pour éviter de mettre le président en mauvaise posture, toutes les hypothèses étaient avancées hier mais rien ne permet de trancher.
Ainsi, si, dans les apparences, ces grands événements n’ont pas l’impact que l’on pourrait espérer pour résoudre unilatéralement les grandes crises de notre siècle, elles ont au moins le mérite de soulever les questions importantes et de faire se rencontrer et coopérer des acteurs soucieux d’aller de l’avant et de mener des actions de terrain. Mais alors que certains mouvements rencontrent un succès croissant et prometteur, d’autres n’ont pas encore l’écho que mérite leur importance.
Plus que jamais donc, à l’image du représentant cubain de « La Via Campesina », et prenant au mot François Hollande lors de son discours sur le besoin de mobilisation de la société civile : Globalisamos la lucha !
Globalisons la lutte et maintenons la pression pour qu’à l’avenir soit trié le bon grain de l’ivraie parmi les négociateurs des sommets internationaux et que les revendications de la société civile, appuyées par la communauté scientifique, ne soient pas occultées par le lobbyisme insidieux de multinationales dont la légitimité d’intervention dans un sommet de l’environnement apparait pour le moins questionnable !