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Umar TIMOL (Île Maurice).

Par Ananda

LES YEUX DU POETE.

Il sourit dans un premier temps. Quand il lui dit qu’elle est la plus jolie fille au monde. Seul un poète peut décréter de telles choses. Après tout ils sont des rêveurs. Mais il est vrai qu’elle est jolie. Il aime son visage, ses grands yeux mais elle n’est pas tout à fait son type. Ensuite ils en discutent. Il se laisse prendre au jeu. Est-elle effectivement la plus jolie au monde ? L’autre, le poète, apporte une précision, j’ai dit la plus jolie fille que j’ai jamais vue, pas la plus jolie au monde, encore moins dans l’univers. Subtile précision, il est vrai. Ils éclatent de rire. Après il oublie très vite cette conversation. Il a tant à faire ces jours-ci. Mais quand il la revoit le lendemain, il découvre la beauté incarnée. Il est ému, elle a rompu quelque chose en lui. Il la voit désormais avec les yeux du poète. Il s’est imprégné de son regard. Il ne peut plus s’empêcher de la regarder. Mais il se doit d’être discret. Et il comprend tous les vertiges du regard du poète. Le poète a décelé dans son visage les manifestes de la perfection. Le poète est effectivement un voyant. Et il veut la contempler. L’observer, scruter son visage. Il en a besoin. Il ne lui reste plus que quelques jours. Il s’en ira bientôt. Et il ne la reverra jamais. Il ne dit rien au poète. Mais il lui demande de parler d’elle. Qu’est-ce qui la rend si belle à ton avis ? Dis-moi. Dis-moi. Et il lui explique. Il boit ses paroles. Il boit ses mots. Le poète est l’interprète de sa beauté. Il est le voyant. Et elle est effectivement magnifique. Et il a envie presque d’écrire un poème. Mais il n’est pas poète. Quels sont les mots qui peuvent dire des yeux aussi limpides ? Et désormais sa beauté l’obsède. Et il retourne tous les jours là-bas, il l’attend, il la guette, il a besoin de sa beauté. Mais il ne lui dit évidemment rien. Il est trop timide. Et la parole ne servira qu’à ébrécher l’absolu. Il est désormais temps de partir, de retourner au bercail. Il sait la nostalgie de l’éphémère. Le temps le lui a appris. Il l’oubliera. Rien ne résiste au temps. Il rencontre une dernière fois le poète. Ils parlent de tout et de rien. Avant de partir il lance une boutade, vous avez raison, mon ami, elle est la plus jolie au monde. Et le poète lui répond, vous n’avez rien compris, la plus jolie que j’aie jamais vue. Ils éclatent de rire une fois de plus. Il part mais il ne lui dit pas l’essentiel, il ne peut pas le lui dire, il ne le dira d’ailleurs jamais à personne, qu’il l’aime, qu’il est amoureux d’elle, qu’il l’aime éperdument parce qu’il l’a vue avec les yeux du poète, avec les yeux du poète.

Umar Timol


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