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Le temps ne fait rien à l'affaire : Éric Zemmour et la définition de l'injure

Publié le 03 juillet 2012 par Copeau @Contrepoints

Les paroles d'une chanson du rappeur Youssoupha, qui traitaient Éric Zemmour de "con", ne sont pas constitutives d'une injure publique, selon une décision rendue par la Cour d'appel de Paris le 28 juin 2012.
Par Roseline Letteron.

Le temps ne fait rien à l'affaire : Éric Zemmour et la définition de l'injure
"À force de juger nos gueules, les gens le savent qu'à la télé souvent les chroniqueurs diabolisent les banlieusards, chaque fois que ça pète on dit que c'est nous, je mets un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d’Éric Zemmour". 

Ces paroles, extraites d'une chanson du rappeur Youssoupha, ne sont pas constitutives d'une injure publique, au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881. C'est du moins ce que vient de décider la Cour d'appel de Paris le 28 juin 2012. La décision peut surprendre, d'autant que le juge de première instance, intervenant sur plainte d’Éric Zemmour, avait considéré que le délit était constitué, relevant une "expression injurieuse ayant pour objet de faire taire un chroniqueur".

Injure et diffamation

Cette divergence d'interprétation témoigne de l'incertitude de la notion d'injure, son contenu étant finalement laissé à l'appréciation du juge du fond. La loi, quant à elle, définit l'injure comme "toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait". Cette référence à un fait précis permet, en principe, de distinguer l'injure de la diffamation. C'est ainsi qu'un autre rappeur a finalement échappé à la condamnation pour diffamation, alors qu'il  attaquait  la police nationale en affirmant : "Les rapports du ministre de l'intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police, sans qu'aucun des assassins ait jamais été inquiété". Aussi violentes soient-elles, ces paroles ne font référence à aucun fait précis susceptible d'être discuté devant le juge, et la qualification de diffamation doit être écartée. La démonstration de l'existence de ces faits, qualifiée d'"exception de vérité", permet ainsi à la personne mise en cause d'éviter la condamnation.

En matière d'injure, point d'exception de vérité. On ne voit pas très bien comment le rappeur aurait pu démontrer qu’Éric Zemmour était un "con". La qualification d'injure était donc la seule possible en l'espèce. Mais elle relève d'un certain nombre de critères, dont l'articulation n'est d'ailleurs pas clairement définie par les juges.

Entre personnes publiques, tous les noms d'oiseaux sont permis

Le premier d'entre eux réside dans les protagonistes eux-mêmes. La Cour européenne, depuis une décision du 26 avril 1995, Prager et Oberschlick c. Autriche, affirme que les journalistes et hommes politiques doivent être traités avec davantage d'indulgence, car le débat politique peut quelquefois être vif,"comporter une certaine dose d'exagération, voire de provocation", et tolérer ainsi des propos qui seraient injurieux dans un autre contexte. Et la Cour d'estimer que l'auteur d'un article très violent traitant d'"imbécile" le responsable d'un parti politique n'est pas vraiment coupable d'injure. Le rappeur qui veut "mettre un billet sur la tête de celui qui fera taire ce con d’Éric Zemmour" est-il au cœur d'un débat politique ? On peut sérieusement en douter, mais la Cour estime pourtant que le rap est "un style artistique permettant un recours possible à une certaine dose d'exagération". Quant à Éric Zemmour, il est qualifié de "personnage public", vis-à-vis duquel "une plus grande tolérance s'impose". Certes, mais ce n'est pas lui qui est poursuivi pour injure.

On doit donc en déduire que lorsque le débat se déroule entre deux personnages publics, politiques ou médiatiques, tous les noms d'oiseaux sont autorisés, ou presque.

Exception de provocation ?

Le second élément réside cette fois dans l'attitude du requérant, qui peut justifier une "exception de provocation". Chacun sait que le chroniqueur Éric Zemmour n'hésite guère à tenir des propos provocateurs, et le juge le fait évidemment remarquer. Au plan judiciaire pourtant, la qualification d'injure ne peut être écartée que si le requérant a lui même suscité la vivacité du débat. Or, Éric Zemmour, avec le sens de la nuance que chacun lui connaît, avait qualifié le rap de "sous-culture d'analphabètes".

Ce propos peut-il permettre de justifier une "excuse de provocation", c'est-à-dire d'exonérer de sa responsabilité pénale une personne qui ne fait que réagir, à chaud, à des propos qu'elle juge insupportables ? Certainement pas, car le juge considère que la réaction doit alors être "immédiate et irréfléchie". Tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque la chanson a été composée après les propos de Zemmour, le rappeur ayant eu largement le temps de se calmer.

Le dernier élément de définition de l'injure réside évidemment dans la teneur des propos. Si l'on en croit la Cour d'appel, le terme de "con" est sans doute un peu excessif, mais ce n'est pas un injure, du moins lorsqu'il s'intègre dans le débat public... Sur ce point, la jurisprudence ne surprend pas, elle amuse.

Souvenons-nous qu'il n'y a pas si longtemps, en 2009, les juges ont confirmé la condamnation d'un manifestant, dont le seul tort était d'avoir brandi, au passage du Chef de l’État, une affichette sur laquelle était écrit "Casse-toi, pov'con". La formule est certes peu gracieuse, mais elle se bornait à reprendre des propos tenus par le Président lui-même, plus d'un an auparavant, s'adressant à un visiteur du salon de l'agriculture qui ne souhaitait pas lui serrer la main. Il est vrai que l'intéressé a été poursuivi pour offense au Chef de l’État, accusation autrement plus grave qu'injure à Éric Zemmour. Quant à l'auteur initial du "Casse-toi, pov'con", son statut pénal interdisait toute poursuite.

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