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Edito : Les menaces sanitaires liées aux délocalisations

Publié le 03 juillet 2012 par Infoguerre

alerte sur l heparine detail 150x150 Edito : Les menaces sanitaires liées aux délocalisations influence strategieEn novembre 2011, France soir relançait le débat sur l’héparine qu’il présente comme un médicament mal surveillé. Ce média relaie la crainte émise par l’UFC-Que Choisir qui réclame des garanties sur la sécurité sanitaire de l’héparine.

Qu’est ce que l’héparine
« L'héparine appartient au groupe de médicaments appelés anticoagulants. Les anticoagulants freinent le processus de coagulation du sang et cette action prévient la formation de dangereux caillots dans les vaisseaux sanguins.
L'héparine s'utilise pour prévenir une affection désignée thrombose veineuse profonde, ou DVP, liée à la formation de caillots dans les vaisseaux sanguins de la jambe. Ces caillots sanguins peuvent parfois migrer vers les poumons dont ils obstruent les vaisseaux sanguins. Ce blocage entraîne un trouble grave désigné embolie pulmonaire.
L'héparine s'utilise aussi pour prévenir la coagulation du sang durant une dialyse, après la pose de lignes intraveineuses, au cours d'une opération à cœur ouvert et dans le traitement contre une thrombose veineuse profonde et une embolie pulmonaire. L'héparine est souvent employée après la survenue d'une crise cardiaque et dans les cas d'angor instable (une douleur thoracique qui se produit même au repos). Son utilisation thérapeutique s'étend aussi au traitement prodigué après la survenue d'accidents vasculaires cérébraux causés par des caillots sanguins. »
Eléments factuels :

  • Le marché de l’héparine représentait 3.9 milliards d’euros en 2010.
  • 34 millions de dose ont été injectées en France en 2009.
  • Avec le Lovenox (nom commercial) Sanofi domine le marché (10% de son CA).
  • Tous les grands laboratoires (Pfizer, GSK, Sanofi…) produisent de l’héparine
  • 500 millions de doses sont utilisées par an.
  • La Chine produit 50% de l’héparine utilisée dans le monde.
  • 80% des matières premières proviennent des pays émergents (Chine, Inde, Brésil).

D’une manière générale, il existe deux menaces incontrôlables dans ce système de production hors contrôle : les menaces sanitaires (contamination de la matière première par négligence, incompétences et faiblesse des contrôles locaux) et la menace criminelle c'est-à-dire la substitution pure et simple du produit ( cas Baxter).
L’héparine produite en France dans des conditions sanitaires et réglementaires optimales est envoyée aux Etats-Unis pendant que les Français s’injectent des produits originaires de Chine.

Personnes clefs de l’affaire Héparine en France
Jacques Poirier, ex-cadre (de 1980 à 2003) chez Sanofi-Aventis, chargé de la sécurité biologique des matières premières d’origine animale chez Sanofi, et licencié en 2003 pour avoir lancé des alertes sur la production chinoise.
Le Dr Didier Levieux remet en cause la fiabilité des tests de détection sur les failles possibles du médicament. Cet immunochimiste réputé estime que ces tests  arrivent trop tard dans le processus et sont de vraies passoires. Selon lui, il suffit d’adjoindre de l’héparine bovine « pure » à la porcine « brute » pour éviter toute détection. Le docteur Didier Levieux est Directeur de Recherches Honoraire de l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA). En retraite de l'INRA depuis mai 2007, il conserve une fonction d'enseignement en Immunochimie au Master II de la Faculté des Sciences de Bordeaux et a rejoint IDBiotech comme conseiller scientifique sénior pour lui faire bénéficier de ses compétences dans le cadre de son activité R&D.
Un article de la recherche résume assez bien la situation en langue profane :
« Ainsi, si l’on récapitule : en France, l’affaire des héparines frelatées s’articule autour de trois points intimement liés :

  • début 2003, le lanceur d’alerte Jacques Poirier est licencié par AVENTIS (aujourd’hui SANOFI-AVENTIS) pour avoir refusé de cautionner des irrégularités portant sur les héparines extraites d’intestins (voir plus bas les liens vers des articles explicatifs). Ces irrégularités portaient notamment sur les trafics douteux de matières premières en provenance de Chine ; sur le refus de la firme de mettre en œuvre des méthodes de contrôle dont elle avait financé leur mise au point par l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique).
  • dès juillet 2008 (avec confirmation en juillet 2010), dans un empressement des plus surprenants et alors que les Etats-Unis sont toujours sous le choc du scandale des héparines chinoises contaminées qui – la même année – fait près d’une centaine de morts et plus de 800 chocs graves aux seuls Etats-Unis, l’AFSSAPS n’hésite pas à changer – en faveur de son industrie pharmaceutique nationale – la réglementation française relative à la fabrication des héparines, au mépris de toutes les règlementations internationales ;
  • pendant des années des hauts responsables de l’AFSSAPS ont été impliqués dans des conflits d’intérêts portant, une fois encore, sur… les héparines de SANOFI-AVENTIS. Bizarrement, depuis quelques années, certains d’entre eux ne déclarent plus leurs liens avec les fabricants d’héparines. Se seraient-ils brutalement acheté une morale, à moins qu’ils n’aient simplement « oublié » de déclarer leurs liens avec SANOFI-AVENTIS ? »

Bilan de l’affaire américaine Baxter/SPL
L’héparine est une spécialité largement utilisée sous de nombreuses formulations. Les groupes pharmaceutiques les préparent à partir de matières premières animales, dans le meilleurs des cas un mucus issues de l’intestin d’un porc. La demande est très élevée et le marché tendu. Pour des raisons de couts et facilité d’approvisionnement les grandes firmes pharmaceutiques ont décidé de s’approvisionner dans les pays émergeants. Ces pays ne présentent pas les conditions de sécurités sanitaires et réglementaires nécessaire à la production d’une substance aussi sensible dans ces conditions acceptables. Surgit la première affaire.
En Mars 2008 suite à la contamination de matière première en provenance de Chine ayant causé la mort de 81 personnes aux États-Unis, la Food & Drug Administration a rappelé d’urgence des lots de l'anticoagulant héparine, vendus par la société Baxter. Le laboratoire Baxter importe de l’héparine produite en Chine par une société américaine (SPL). Cette héparine a été contaminée par du sulfate de chondroïtine sursulfaté, un produit moins coûteux qui a la particularité d’apparaître comme de l’héparine lors des tests standards. Il s’agit là d’un acte délibéré, d’une fraude sophistiquée et brutale ; sophistiquée car très difficilement détectable lors de la chaine de contrôle normale, brutale car la fraude est manifeste dès que l’on injecte le produit aux patients.

Une chaine logistique chinoise opaque et potentiellement dangereuse
Les industries pharmaceutiques chinoises développent leurs activités de base. Elles ne se contentent plus de fabriquer les ingrédients pharmaceutiques actifs (API) en vrac mais commencent aussi à offrir des produits finis plus complexes. Ces fabricants chinois sont parmi les plus grands au monde, notamment grâce à leurs faibles prix de vente.
Toutefois, fabriquer des médicaments low cost peut cacher des économies dangereuses. En effet, la course aux économies peut engendrer des impasses sur la qualité et la fiabilité des médicaments, notamment quand ces entreprises ne possèdent pas les normes occidentales pour leur processus de fabrication et de contrôle.
Dans l’affaire Baxter, les autorités américaines ont déterminées que la contamination venait d’un changement délibéré et non annoncé du principe actif de l'héparine vers la chondroïtine, ce dernier étant moins cher.
Un autre indice est apparu dans le scandale impliquant l'héparine. Après enquête, la FDA a découvert qu’un autre producteur certifié de la chaine logistique : la société Shanghai n°1 biochimique et pharmaceutique, n'avait jamais produit les lots qu’elle avait vendus. Au lieu de cela, deux autres producteurs chinois inconnus avaient fourni, conditionnés et étiquetés les médicaments comme ayant été produits par Shanghai n°1.
Les drames combinent plusieurs éléments choquants. Le fait que la filiale chinoise de la société Baxter n’ait pu détecter l’erreur est déjà grave. Toutefois, ce qui a attiré l’attention des autorités est le fait que des sous-traitants chinois non contrôlés par les agences de sécurité aient participé à l’élaboration de la drogue et soient à l’origine de l’altération.
Avec le développement de l’industrie chinoise pharmaceutique, ces sous-traitants externes rentrent progressivement dans la chaine d’approvisionnement d'ingrédients pharmaceutiques actifs (API).
Les règles de bonnes pratiques dans la fabrication des médicaments génériques sont très coûteuses et certains fabricants détenant le CEP (certificat européen) n’hésitent pas à les contourner en faisant appel aux sous-traitants les moins chers.
Les traders et intermédiaires assombrissent encore plus les origines et qualités des matières premières et sont encore moins visés que les fabricants officiels par une agence sanitaire chinoise défaillante.
Ces sous-traitants chinois opèrent généralement de laboratoires non contrôlés et traitent librement avec les fabricants officiels. La complexité de la chaine logistique devient progressivement opaque.
De ce fait, les certificats délivrés aux fournisseurs officiels  n’ont pas la valeur qui leur est dû. A ce jour, les pays européens importent des produits pharmaceutiques parfois non conformes aux réglementations locales. Qu’en sera-t-il avec des formules API plus complexes et potentiellement toxiques ?

Stéphane Ledoux et Christian Mateis


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