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Barack Obama, la réforme de la santé et l’élection présidentielle

Publié le 04 juillet 2012 par Délis

En décidant, par 5 voix contre 4, de valider la quasi-totalité de la réforme de la santé promue par Barack Obama et votée par le Congrès en 2009-2010, les neuf juges de la Cour Suprême ont rendu leur décision la plus lourde de conséquence depuis l’arrêt Bush vs. Gore de 2000. Immédiatement interprétée dans le contexte de la campagne électorale, cette décision n’aura pourtant pas forcément d’impact majeur sur l’élection présidentielle américaine.

Une réforme rejeté par le grand public

Une opinion publique majoritairement opposée à la réforme

Serpent de mer de la vie politique américaine depuis les années 1960 et la mise en place des programmes Medicare (assurance santé en faveur des personnes âgées) et Medicaid (assurance santé en faveur des plus démunis), la réforme du système de santé avait déjà empoisonné le premier mandat de Bill Clinton. Le projet présenté par sa femme avait alors fait l’objet d’une violente levée de bouclier non seulement de la part des républicains, mais aussi des démocrates conservateurs du Sud, encore puissants avant la « Révolution conservatrice » de 1994.

Remis sur le devant de la scène par Hillary Clinton pendant les primaires démocrates de 2008, le sujet est repris par Barack Obama pendant la campagne. Au soir du scrutin, si l’économie et l’emploi étaient les thèmes qui avaient le plus compté pour 62% des électeurs, la santé avait joué un rôle primordial pour 9% des Américains, 73% de ces derniers ayant choisi le candidat démocrate.

Le projet de Barack Obama s’articulait autour de trois axes : une baisse des prix des médicaments grâce à un contrôle plus étroit de l’industrie pharmaceutique ; la possibilité pour tous les Américains d’être assurée par un système géré par l’État fédéral (la « public option ») qui viendrait concurrencer les assurances privées, en plus de Medicare et de Medicaid ; la régulation des assurances privées (les HMOs, Health Maintenance Organizations), tant par la loi que par le marché, grâce à la concurrence de la public option, moins couteuse.

Considérant que l’échec de la réforme du couple Clinton en 1993-1994 avait été dû à leur volonté de faire passer un Congrès un plan déjà ficelé, Barack Obama a décidé de laisser les élus des deux chambres négocier entre eux sur les modalités de la réforme. Se faisant, il a perdu un temps précieux, le premier vote sur la loi n’étant intervenu qu’en novembre 2009. Entre temps, sa cote de popularité avait largement décliné, et il ne pouvait plus autant influer sur les membres du Congrès que dans les premiers mois de son mandat.

Dans ce contexte, le retournement de l’opinion publique à l’égard de la réforme a été rapide. Attentiste voire favorable jusqu’à l’été 2009, les Américains sont devenus de plus en plus opposés au plan de Barack Obama : à partir de la fin de l’année 2009, ce sont plus de 50% des sondés qui y sont opposés, contre environ 40% de favorables. Les attaques des Républicains et des lobbies de la santé contre le coût de la réforme ont largement dressé la base conservatrice contre le projet. Dans le même temps, les renoncements du Président (sur la régulation des laboratoires pharmaceutiques, et des HMOs, puis sur la mise en place de la public option qui sont peu à peu abandonnés) ont déçu les plus libéraux : près d’un opposant sur cinq à la réforme estime en effet « qu’elle ne va pas assez loin ». Largement cristallisée, l’opinion publique américaine n’a pas changé d’avis à l’égard de la réforme depuis trois ans : il est peu probable que la décision de la Cour Suprême la jugeant conforme à la Constitution modifie profondément le rapport de forces.

Graphique 1. L’opinion des Américains à l’égard de la réforme de la santé

Barack Obama, la réforme de la santé et l’élection présidentielle

Une opinion plus nuancée sur certains aspects de la réforme

 

Si les Américains rejettent la réforme finalement votée et promulguée en mars 2010, ils n’en approuvent pas moins la plupart de ses modalités. Un sondage réalisé pour la Kaiser Family Foundation en avril dernier montrait ainsi que la plupart des aspects étaient approuvés par le grand public : de très nettes majorités étaient en faveur de la limitation de la part du prix à payer sur les médicaments pour les personnes âgées couvertes par Medicare, de l’obligation faite aux compagnies d’assurance privées de conserver sur l’assurance de leurs parents les jeunes jusqu’à 26 ans ou de l’extension du programme Medicaid pour couvrir les individus gagnant jusqu’à 133% du seuil de pauvreté. L’interdiction de demander des tarifs plus élevées aux femmes qu’aux hommes ou de refuser des personnes malades ou ayant été malades ainsi que la limite fixée aux suppléments demandés par les assurances aux personnes âgées sont aussi majoritairement approuvées. Finalement, seul le « mandat individuel », c’est-à-dire l’obligation pour tous les Américains de souscrire à une assurance privée sous peine de payer une amende, est rejetée par plus des deux-tiers des sondés. Sans surprise, c’est sur cet argument que les Républicains ont surtout insisté et c’est cet aspect qui est symboliquement associé à l’Obamacare par la plupart des Américains.

Graphique 2. L’opinion des Américains à l’égard des modalités de la réforme de la santé

Barack Obama, la réforme de la santé et l’élection présidentielle

Une opinion publique mal informée ?

 

Le débat sur la réforme a été accompagné de nombreuses exagérations, notamment de la part des Tea Parties. Certains sont même allés jusqu’à voir dans l’Obamacare un premier pas vers le nazisme quand d’autres estimaient qu’il permettrait de mettre en place des « Death Panels » qui décideraient quels individus auraient le droit d’être soignés. Autant d’arguments qui ont un impact sur une partie de la population, même s’il s’agit sans doute des plus conservateurs qui se seraient opposés quoiqu’il en soit à la réforme.

Au-delà de cette désinformation évidente, on note que la réforme est particulièrement impopulaire chez ceux qu’elle vise avant tout aider, c’est-à-dire les personnes actuellement sans assurance : alors qu’une majorité du grand public estime que les non-assurés vont tirer profit de la réforme, seuls 31% de ces derniers pensent que la réforme va les aider. Cela peut s’expliquer par un déficit d’information sur une réforme extrêmement complexe, mais sans doute aussi en partie par le poids supplémentaire que cette obligation va faire peser sur le budget des catégories populaires ou des plus jeunes, qui hésitent souvent à s’assurer devant le niveau très élevé des tarifs demandés par les HMOs.

Plus globalement l’opposition à la réforme, qui peut sembler totalement irrationnelle vu de France, s’explique par le rapport à l’État des Américains. Alors qu’en Europe, les États-nations modernes se sont construits avec l’aide d’un État fort et centralisateur, aux Etats-Unis, la guerre d’Indépendance s’est faite en opposition à l’État britannique jugé trop intrusif. Toutes les grandes étapes de l’histoire américaine ont été marquées par l’opposition entre les fédéralistes et les partisans des droits des États (« States’ Rights »). Ces derniers rejettent la puissance de l’État fédéral et préfèrent que les pouvoirs soient au maximum dévolus au niveau des États fédérés voire des communautés locales. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant qu’une réforme qui peut entraîner la mise en place d’une réglementation contraignante soit rejetée par une partie du grand public.

Un impact limité sur l’élection présidentielle ?

Dans ce contexte, les partisans de Barack Obama ont largement crié victoire à l’annonce de la décision de la Cour Suprême, y voyant un tournant dans une campagne électorale jusqu’ici très serrée. Il est cependant peu probable que cet évènement change radicalement la donne et offre au Président sortant une réélection facile. Tout d’abord, l’enjeu de la santé reste mineur aux Etats-Unis par rapport à la crise économique et au chômage. Selon Gallup, seuls 6% des Américains citent la santé comme étant le « problème le plus important auquel fait face le pays aujourd’hui ». Ils étaient plus de 20% à le faire entre l’été et l’hiver 2009, en plein débat sur le réforme. En revanche,  31% citent « la situation économique », 25% « le chômage », 12% « l’insatisfaction à l’égard de l’Éat fédéral » et 11% « le déficit fédéral . On le voit, la santé n’est plus désormais qu’une préoccupation secondaire, et qui ne devrait jouer qu’à la marge lors du scrutin de novembre.

C’est d’autant plus vrai que les avis des Américains à l’égard de la réforme recoupent très largement la division entre les républicains et les démocrates. Les premiers sont quasi-unanimement opposés à la réforme (à la hauteur de 80% à 85% selon les sondages). Les seconds y sont largement favorables (entre 60% et 75%), et une partie des opposants démocrates sont des libéraux qui pensent que l’Obamacare ne va pas assez loin. Il n’y a donc pas de raison pour que la réforme provoque des transferts massifs d’électeurs entre les deux camps et qu’elle influe profondément sur les résultats électoraux. Un commentateur du Washington Post affirmait récemment que « personne n’a jamais pensé que les Républicains ne s’uniraient pas contre Obama en novembre – peu importe ce qu’il dise ou ce qu’il fasse », l’inverse s’appliquant aux démocrates.

Finalement, seule les Américains qui se qualifient d’indépendants (c’est-à-dire qui se situent entre les républicains et les démocrates) pourraient être influencés par la réforme de la santé, mais ils sont partagés de manière égale entre opposants et partisans de l’Obamacare. Surtout, la science politique américaine a depuis longtemps montré que la campagne électorale a peu d’influence sur les résultats d’un scrutin. La grande majorité des électeurs vote systématiquement pour le même parti, et la minorité d’indépendants variables fait son choix (consciemment ou non) en fonction de quelques fondamentaux (situation économique, situation internationale, popularité du sortant) sur lesquels les candidats et leurs équipes n’ont pas réellement de prise.

Dans ce contexte, il est peu probable que la réforme de la santé, malgré son importance décisive sur la vie des Américains et les débats incessants qu’elle a entrainé pendant le mandat de Barack Obama joue un rôle important dans l’élection de novembre prochain.


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