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Global commons (2)

Publié le 09 juillet 2012 par Egea

Poursuivons notre étude sur les "espaces d'intérêt commun", selon la traduction proposée dans un billet récent (et même si Y. Cadiou propose "communs planétaires"). Et notamment leurs aspects stratégiques.

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4/ Cette extension à la sphère stratégique a été le fait des Américains. Je ne doute pas que l'idée est venue de la communauté stratégique purment nord-américaine, je m'appuie pour ma part sur quelque chose que je connais mieux, et qui est l'OTAN. Ainsi, c'est le Commandement pour la transformation (ACT) qui a popularisé la notion, notamment au travers d'une étude accessible en ligne (à la suite d'une série d'ateliers tenus tout a long de l'année 2010). On peut d'ailleurs noter, dès le texte de présentation, la référence à Mahan et donc à une stratégie maritime : la chose n'est pas innocente, à double titre :

  • d'une part en ce qu'elle s'accorde parfaitement à la pensée américaine, celle d'une puissance d'abord navale, puissance de la mer face aux puissances de la terre.
  • d'autre part en ce qu'elle va biaiser l'approche des autres espaces d'intérêt commun, qui seront forcément appréhendés (pensés) en référence à cette expérience maritime. Il s'ensuit une analogie permanente qui a ses vertus, si on la comprend comme une analogie, donc comme quelque chose d'utile mais de forcément limité. Elle a ses lacunes, et notamment de "faire voir" les autres espaces comme un espace maritime, ce qu'ils ne sont pas...

5/ On peut d'ailleurs noter le but de cette approche maritime : Selon Mahan, "the fundamental purpose of a strong navy was not simply to attack enemies, but to protect maritime trade". Protéger le commerce maritime.... Revoici la dimension économique, mais sous un angle différent de celui de nos "communs planétaires"....

6/ Car voici l'énonciation des quatre "espaces" : mer, air, espace (pour être complet, espace exo-atmosphérique) et cyberespace. Qu'en dit l'ACT ? Il en dénote trois caractéristiques : ils sont "interlinked and critical to the prosperity and security of the Alliance nations" :

  • interconnectés
  • essentiels à la prospérité
  • et (donc) à la sécurité des nations

7/ Passons sur le syllogisme (ce qui est essentiel à ma prospérité est donc essentiel à ma sécurité....) et insistons d'abord sur l'interconnexion. Car si elle est évidente en matière de cyebrespace (puisque celui-ci est justement "caractérisé" par l'interconnexion), en est-il de même des autres espaces ?

  • pour la marine, il y a des "routes maritimes". On peut les caractériser par des ports de départ (interface avec la terre), des points de passage obligés (détroits ou caps), de différents facteurs physiques (vents dominants, courants, ....) et des ports d'arrivée. Il peut y avoir interconnexion, mais la vraie conséquence (et Mahan la met en valeur) tient à ce qu'on peut contrôler des ports, éventuellement des routes, mais on ne contrôle pas l'espace entre les routes. Surtout, on peut déborder les "routes" qui ne sont routes que parce qu'elles permettent d'aller au plus vite d'un point à un autre, en tenant compte des contraintes physiques et des possibilités du matériel (et donc de la nécessité d'escales) : c'est le principe d'économie des forces appliquée à la marine. Il reste qu'on peut sortir des routes (moindre économie) si l'on veut obtenir une autre liberté de manoeuvre (plus grande discrétion)...
  • Pour l'air, il y a également des (aéro)ports et des routes : celles-ci tiennent bien sûr compte de caractéristiques physiques, mais paraissent moins contraintes que celles de la marine. Les possibilités de variantement paraissent plus faciles. Dès lors, la notion d'interconnexion n'a pas grand sens. En revanche, la difficulté du contrôle de l'air tient à la relativement faible durée avec lequel un appareil reste en vol : l'alerte n'est pas "en l'air" mais "au sol"....
  • Pour l'espace, il y a certes quelques positions privilégiées : orbites géostationnaires, orbites basses, points caractéristiques de l'espace. Il y a beaucoup moins de ports... et l'investissement matériel, technique et financier est énorme. Toutefois, certaines "routes" (orbites) sont d'ores et déjà encombrées, et surtout les satellites qui y volent ont peu de possibilités de manœuvre. Sans compter qu'un combat sur ces orbites occasionnerait tellement de "déchets" que la route serait durablement hors d'usage....
  • Le cyberespace n'est quant à lui que constitué de ports (les ordinateurs et leurs interfaces de réseaux) et de routes : entre, il n'y a "rien" : il n'y a pas de "haute-mer" dans le cyberespace ....

8/ La perspective de l'Alliance consiste à se préoccuper de l'accès à ces espaces, et du transit sur ces espaces. Au fond, il s'agit de prévenir les stratégies de "déni d'accès" (voire de "déni de transit"). Toutefois, l'approche est très séquentielle : une fois énoncées quelques généralités sur ces "espaces d'intérêt commun", on les analyse l'un après l'autre : les marins parlent de l'espace maritime, les aviateurs de l'air, etc.... Mais au fond, on ne s'intéresse pas vraiment à la notion, qui demeure une catégorie "nouvelle", "qui fait bien", mais qui n'emporte pas, par elle-même, de conséquences stratégiques partagées.

9/ S'agit-il seulement d'un manque croissant de régulation de ces espaces ? ou au contraire, n'y a-t-il pas place pour des "pratiques stratégiques" communes, avec des particularités propres à chaque milieu qu'il aurait été intéressant d'analyser ? Après tout, penser en termes de ports, de routes et de contraintes physiques ou technologiques peuvent être des clefs d'entrée qui unifient ce domaine des "global commons". Le rapport au temps est-il le même (le danger d'une approche par les espaces consistant justement à omettre les autres dimensions stratégiques que sont le temps et les forces). De même, l'interconnexion de ces espaces mérite un intérêt : on connaît relativement bien l'articulation aéromaritime..., éventuellement aérospatiale, mais d'autres "croisements" sont possibles et doivent être décrits méthodiquement, dans une démarche générale.

L'un des lecteurs d'égéa donnera peut-être la référence d'un tel travail théorique (car je ne la connais pas et suis fort à l'écoute) : il manque, à coup sûr, pour que les espaces d'intérêt commun ne soient pas une simple invention de publicitaire.

Ref : on lira ce billet sur les espaces lacunaires, qui rappelle Deleuse et les espces lisses : mais s'agit-il de cela ?

O. Kempf


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