(FRAGMENT).
Seigneur favorable au coeur qui t’honore,
Féconde en ce jour mon labeur sonore.
Donne-moi d’avoir un Penser nouveau
Né sans souvenir en mon seul cerveau.
Veuille qu’il soit pur, fier, loyal, utile,
Comme l’eau de source et comme un beau style ;
Que sans rien de vil ni rien d’étranger
Il s’égale au lys qui vient d’émerger ;
Qu’éternel et neuf comme l’aube brève
Il soit fait d’amour et soit fait de rêve ;
Qu’il soit à la fois simple et triomphant
Comme un ange et comme un petit enfant ;
Et qu’il verse à tous sans feinte ni leurre
L’espoir de la vie en l’oubli de l’heure.
Dieu ! permets aussi que l’Art noble et sain
Et subtil achève en moi son dessein.
Dépars la vigueur à ma main d’artiste
De sertir dans l’or vierge l’améthyste ;
Puisque la splendeur d’un juste ornement
Aide à l’éclat du penser-diamant,
Accorde à mon vers les orfèvreries
Des rares métaux et des pierreries,
Afin qu’il soit l’un des joyaux de prix
Dont se parera l’orgueil des esprits !
Mais ne permets point que mes efforts lâches
Cèdent à l’attrait des faciles tâches ;
Car il n’est poème au parfait aloi
Qui ne soit la fleur d’une stricte loi,
Car même le vol infini de l’aigle
Suit à travers cieux l’orbe d’une règle !
Et je veux que l’oeuvre où j’ai mis pour nous,
Frère, une fierté de rêve à genoux,
Offre aux pèlerins des parvis du temple
Un enchantement qui soit un exemple.
Catulle MENDÈS (1841-1909).
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