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Feu à volonté

Publié le 11 juillet 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

Feu à volonté

La principale difficulté de la chronique immondaine n’est pas tant dans le choix des mots ou dans la pertinence de l’analyse des soubresauts qui agitent le monde. A ce compte-là, n’importe qui peut en faire autant, et même largement mieux. Non, le plus dur, c’est de choisir un sujet dans l’actualité foisonnante. Même pas un sujet digne d’intérêt: je pourrais aussi bien pondre une chronique sur une nouvelle gamme d’aspirateur qui laisse la moquette comme neuve en respectant la vie privée des acariens que sur l’inanité des sommets sur l’environnement qui se suivent et regardent passivement la planète se faire détruire avec le sentiment du devoir accompli.

Pourtant, aujourd’hui, et pour peu que l’on fasse abstraction de l’automne qui semble avoir doublé l’été dans l’ordre calendaire, on peut trouver quantité de chroniques potentielles: les amabilités de Thomas Hollande à l’endroit de sa marâtre, la conférence sociale avec des partenaires sociaux plus amoureux que jamais, l’étude sémantique du discours de Mohammed Merah sur TF1, la malheureuse qui s’est mariée et a enfanté le même jour au risque de ne plus avoir d’autre plus beau jour de sa vie, ou le retour des drogués dans le Tour de France. On aurait aussi pu saluer la générosité de l’immense artiste qu’est Patrick Bruel, qui soucieux du bien-être commun, avoue avoir choisi de rester en France pour payer ses impôts. Le tout en nous gratifiant d’une analyse macroéconomique édifiante sur le péril que court notre pays à taxer ses bourges à hauteur de 75, voire de 90%. Merci Patrick d’avoir mis fin au suspense insoutenable qui nous tenait tous en haleine depuis des mois, merci de m’avoir épargné une nuit blanche, merci de nous faire partager ton indignation michelsardouesque, et puisse ta nouvelle passion pour les finances publiques nous dispenser de tes chansons, de tes films, et de tes émissions de poker presque tous aussi passionnants qu’un discours de politique générale de Jean Marc Ayrault sous-titré en swahili.

Non, chers lectrices et teurs, soyons définitivement intempestifs, ça facilitera le boulot de la postérité. Depuis quelques temps, j’ai la vague impression qu’on manipule les mots révolution, changement, rupture et tous leurs collègues sémantiques, mais que le contenu est aussi maigre qu’un ressortissant d’Haïti (mais si vous savez, l’ïle caraïbe qui a connu un terrible séisme et dont tout le monde se contrefout royalement et républicainement aujourd’hui).

Je m’explique: on va de révolution orange et du jasmin, en printemps arabe et érable en Indignés et Indignados, en passant par le changement maintenant mais pas trop vite, et qu’observe t’on? Qu’absolument rien ne change. Le pouvoir en Ukraine a renoué avec les pratiques mafieuses de son voisin russe (en attestent le sort réservé à Ioulia Timochenko, aux opposants à l’Euro de foot, qui en passant laisse une dette colossale au pays), au Maghreb un islamisme pas franchement éclairé a été porté au pouvoir par les urnes, au Québec on en est à voter des lois pour interdire les manifestations, en Grèce on confisque les élections à Syriza, en Espagne on taille à hauteur de 65 milliards dans le budget public, et en France la rigueur est trop pudique pour dire son nom.

Et vous arrivez encore à vous lever à des heures indues, à accomplir votre devoir de soldat de la croissance, produire sans rime ni raison de la valeur ajoutée, des enfants, du PIB, de l’exportation tax-free garantie en Suisse/Luxembourg/Londres/Caïman, du flic à tous les coins de rue, sans jamais contempler votre briquet et une station essence et sans jamais avoir envie d’allumer un immense feu de joie? De deux choses l’une, l’autre n’est pas le soleil mais une intarissable source d’étonnement: soit vous êtes satisfait de l’état du monde, et vous pouvez retourner lire le Républicain Lorrain, le Monde, le Figaro, Minute, et tous les torchons du genre qui veulent mettre des pansements sur des hémorragies et qui n’ont même pas l’honnêteté des magazines people qui eux affirment fermement qu’ils n’en ont rien à talquer si la fête finit dans une heure ou dans mille ans.

Soit vous êtes non-fumeur mais inquiet de la répansion galopante de la misère au profit d’on ne sait même pas qui, vous ne savez pas comment tourner la pierre pour enflammer le butane, sans quoi vous seriez déjà en train de répandre l’art de la pyrotechnie aux quatre vents. Ou vous fumez mais vous êtes timide de la flamme salvatrice. Et bien je me demande comment vous arrivez à vous contenir.

Il est acquis que l’équipe gouvernementale, dont le chef avoue « ne pas être l’ennemi de l’argent », ne nous sera d’aucun secours. Dès lors, deux choix s’offrent à nous. Le premier consiste à accepter la marche du monde, à continuer à voter comme des ovins pour se donner l’illusion d’avoir fait quelque chose, et à attendre tranquillement la fin du monde que certaines équipes de chercheurs annoncent pour dans moins d’un siècle. Solution nihiliste, de toute façon on va tous crever, autant en profiter. Sauf qu’on en profitera de moins en moins, attendu qu’en moins d’une centaine d’années, les rigoristes « normaux » et « responsables » auront eu le temps de bétonner tout ce qui ne l’est pas encore, de réclamer des taux de rentabilité de plus en plus grands, pendant que des hordes de working poors, faméliques et lobotomisés, arpenteront le pavé en attendant des jours de croissance meilleurs qui arriveront sans doute en même temps que le prochain titre mondial de poker de Patrick Bruel.

Deuxième terme de l’alternative: on arrête collectivement et individuellement d’obéir aux ordres de la croissance, du plein-emploi, de l’élite, du nivellement par le bas, de l’intégration, du dressage par la lassitude, par le transcendant, par les difficultés techniques de Manuel Valls l’infiltré de l’UMP, par le sacrifice, la surproduction, la balance commerciale extérieure et toutes ces conneries aussi utiles à la vie qu’un ministère de l’Ecologie dans un gouvernement qui prône la croissance. On est quand même arrivé à un point où les chaînes infos se sentent obligées de nous informer du taux d’intérêt auquel les Etats empruntent aux mystérieux marchés (on ne sait toujours pas qui c’est), tout en diffusant l’ordre du tiercé quarté quinté plus, avec le PMU on joue comme on aime.

Dans un prochain épisode, comme on l’écrivait dans nos premières chroniques, nous vous enseignerons quel comburant est le plus efficace sur un banquier.


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