L’écrivain américain William Gay né en 1943 dans le Tennessee est décédé cette année. William Gay fut charpentier et peintre en bâtiment avant de faire la guerre du Vietnam. De retour, il attendit l'âge de 55 ans pour publier ses premières nouvelles, La mort au crépuscule, son troisième roman est paru en 2006.
Dans une petite ville du Tennessee, deux jeunes gens - Kenneth et sa sœur Corrie - mis au ban de la société en raison de leur filiation avec l’alcoolique et bootlegger du village Mose Tyler, découvrent le secret de Fenton Breece le fossoyeur. Pervers et nécrophile, il met en scène les cadavres qu’il enterre dans des positions indécentes, se livre à diverses activités obscènes et conserve des photos de ses exploits. Ces preuves formelles des activités répugnantes de Fenton Breece, les deux adolescents vont tenter de les monnayer en faisant chanter le pervers. Mal leur en prend, car l’homme des pompes funèbres va engager Granville Sutter, un fou furieux, pour régler son problème. Dès lors, une course-poursuite va s’engager entre Sutter et Kenneth, ponctuée de cadavres qui vont venir joncher ce chemin de croix où Corrie en sera la première victime.
Voilà le résumé du roman, tel qu’il est à peu près rédigé par tous ceux qui l’ont lu. C’est aussi ce qui m’a légèrement dérouté quand je me suis plongé dans la lecture du roman, car le terme « course-poursuite » induisait dans mon esprit, une idée de vitesse et de chasse à l’homme échevelée. Or, ce n’est pas le cas. Les premières pages évoquent plutôt le fameux film avec Robert Mitchum, La Nuit du chasseur. La personnification du Mal poursuivant deux enfants, non pas dans une course folle, mais au contraire dans une poursuite méthodique, inéluctable, dont on imagine mal qu’elle ne puisse aboutir, ce qui la rend angoissante.
Comme dans le film, tout est sombre dans ce roman, le noir et blanc est la couleur dominante où seul le rouge du sang en enrichit la palette chromatique. De la petite ville sans attrait particulier, la cavale s’engage dans une sorte de no man’s land fait de forêt et de zones désertiques inhospitalières, villes fantômes abandonnées, terre de désolation, royaume des enfers. Perdu, affamé, Kenneth croisera le destin de personnages secondaires comme une vieille sorcière dans sa cabane, une famille de paysans évangélistes, un vieil homme solitaire, misérables épaves humaines et indépendantes typiques d’une Amérique des profondeurs, devenues victimes collatérales d’un drame auquel ils étaient étrangers. Ces rencontres cassent le rythme de la soit disant course-poursuite, mais elles apportent de l’épaisseur au roman.
Tout est horrible dans cette histoire, Fenton Breece est un pervers ignoble, Granville Sutter un tueur fou qui terrorise les habitants de la petite ville, lesquels colportent les rumeurs sur le fossoyeur depuis de longues années sans que quiconque n’intervienne et d’ailleurs comment le pourraient-ils, le shérif local étant corrompu. Corrie et Kenneth ne sont pas des anges non plus, puisqu’ils se lancent dans une opération de chantage… encore que le frère ne le fasse que poussé par sa sœur.
William Gay nous fait plonger dans la folie de Fenton Breece et Granville Sutter qui sont passés du mauvais côté du miroir, par des flash-back reproduisant leurs pensées. Comme une mise en abîme pour le lecteur qui se retrouve placé dans un monde onirique qui de leurs rêveries révélant l’origine de leur folie, font pour lui un cauchemar.
« Tyler se remit en route. Au bout d’un moment, la neige fut suffisamment épaisse pour qu’il y laisse des traces, mais cela ne semblait pas avoir d’importance. Il en était venu à penser que Sutter retrouvait sa piste grâce à un moyen que ni l’un ni l’autre ne comprenait, quelque étrange dualité de leurs natures respectives qui permettait à Sutter d’intercepter ses pensées et d’anticiper ses mouvements. A la tombée de la nuit la neige qui tombait en flocons épais s’était amassée contre le pied des arbres sombres, nivelant les creux remplis d’ombres, les souches portaient des coiffes aux pâles phosphorescences, et Tyler traversait un monde d’une beauté angoissante. »
William Gay La mort au crépuscule Folio