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Fable de Jean de LA FONTAINE : L’Écrevisse et sa fille

Par Unpeudetao

Les Sages quelquefois, ainsi que l’Écrevisse,
Marchent à reculons, tournent le dos au port.
C’est l’art des Matelots. C’est aussi l’artifice
De ceux qui, pour couvrir quelque puissant effort,
Envisagent un point directement contraire,
Et font vers ce lieu-là courir leur adversaire.
Mon sujet est petit, cet accessoire est grand.
Je pourrais l’appliquer à certain Conquérant
Qui tout seul déconcerte une Ligue à cent têtes.
Ce qu’il n’entreprend pas, et ce qu’il entreprend,
N’est d’abord qu’un secret, puis devient des conquêtes.
En vain l’on a les yeux sur ce qu’il veut cacher ;
Ce sont arrêts du sort qu’on ne peut empêcher,
Le torrent à la fin, devient insurmontable.
Cent dieux sont impuissants contre un seul Jupiter.
LOUIS et le Destin me semblent de concert
Entraîner l’Univers. Venons à notre fable.

Mère Écrevisse un jour à sa Fille disait :
Comme tu vas, bon Dieu ! ne peux-tu marcher droit ?
Et comme vous allez vous-même ! dit la Fille.
Puis-je autrement marcher que ne fait ma famille ?
Veut-on que j’aille droit quand on y va tortu ?
   Elle avait raison ; la vertu
   De tout exemple domestique
   Est universelle, et s’applique
En bien, en mal, en tout ; fait des sages, des sots :
Beaucoup plus de ceux-ci. Quant à tourner le dos
A son but, j’y reviens ; la méthode en est bonne,
   Surtout au métier de Bellone ;
Mais il faut le faire à propos.

Jean de LA FONTAINE (1621-1695).

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