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Dernier inventaire avant liquidation

Publié le 23 mars 2008 par Jlhuss

par Arion 

Le quarantième anniversaire de mai 68 va bientôt donner lieu à des caravanes d’analyses et de commémorations. Les vétérans de la grande carabistouille préparent la tournée-nostalgie de leur big bazar. Salut les copains !

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Sur l’un des récents plateaux de « Riposte », Dany le rouge-rose-vert donnait en avant-première le ton du show, dans le genre contrit-content : « C’est vrai qu’en 68 on a dit des conneries, mais qu’est-ce qu’on était jeunes ! qu’est-ce qu’on a pris notre pied ! qu’est-ce que la société respire depuis nos pavés dans la mare ! » Sous l’œil gourmand de Moatti, il fallait voir notre vieux boutiquier de l’AG en folie lancer, goguenard, du « Monsieur le professeur » pour casser la démonstration d’Alain Finkielkraut (systématiquement prononcé Finkielcrotte), eh oui ! on ne se refait pas : c’était déjà la méthode en amphi, sarcasme et intimidation, pour déstabiliser les « réacs » qui s’obstinaient à préférer le théâtre de Racine au petit livre rouge de Mao… Non, je ne vais pas réveiller mes souvenirs d’étudiant de Nanterre, abasourdi par le brusque triomphe des grandes gueules et de la fumisterie, accablé de voir danser le conformisme, l’insulte et l’utopie au son des slogans imbéciles… Paix, mon fils ! propose juste ton petit bilan, forcément subjectif, le dernier, c’est promis . Après tes «Trente jouisseuses» et ton «Blues du baby-boomer», qu’est-ce que tu as encore à dire sur ce sujet ? Et tâche d’être net, de t’en tenir aux trois critères généralement avancés pour peser le divin enfant : politique, social, moral.

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Au plan politique, on nous répète que « mai 68 » fut une explosion de liberté démocratique contre un pouvoir autoritaire. Tiens donc ! Le régime instauré par le général de Gaulle refondait au contraire une démocratie ébranlée sous l’Occupation puis dénaturée par la Quatrième République. Trop de hauteur dans la Cinquième ? trop de raideur ? Peut-être. Mais où le coup d’Etat permanent ? où le tyran à châtier ? où les SS ? où les suppliciés dans les geôles ? les fusillés des barricades ? où Valjean, Gavroche, Guevara ? Ivresse et mensonge. Pour la masse suiveuse, le « mai 68 étudiant » fut un grand chahut libertaire ; pour le noyau dur, une tentative de subversion mûrie dans les diverses officines de la gauche extrême. Et cette tentative pouvait réussir : l’escapade du Général à Baden n’était pas de délire sénile, elle ne visait qu’à s’assurer de l’armée en dernier recours.

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Au plan social, on cite un certain nombre d’ « avancées » imposées à un patronat croquemitaine. Tant mieux. Le  « mai 68 ouvrier » fut un opportunisme tardif, assez encadré et clairement revendicatif. Cornaqués par des syndicats soudain réformistes, c’est-à-dire prudents, les salariés ne l’envoyèrent pas dire au vieux Sartre, seul sur son tonneau du Grand soir, mortifié par tant de prosaïsme : « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». On se demande quand même si l’augmentation du salaire minimum et quelques aménagements de la démocratie du travail nécessitaient absolument de dépaver les rues, brûler les bagnoles, scier les platanes, et faire la une des journaux de la planète. Comme dit Funès dans un de ses rôles farce, « Ça c’est la Frannnnce !!!» 

Mais c’est au plan des mœurs que l’héritage de 68 est le plus âprement discuté. La plupart des slogans du joli mai concouraient à prêcher de « jouir sans contrainte », et pas seulement dans le « sea, sex and sun », mais dans les divers domaines du savoir, du vivre, du savoir-vivre. En fait, tout ce qui -de la grammaire à la politesse- invite à canaliser l’élan vital individuel, à l’endiguer, le structurer, le « sublimer » a été frappé d’infamie. Sans doute quelques hypocrisies furent heureusement balayées par la vague ; mais, pour l’essentiel, l’illusion lyrique des années soixante-dix et la fuite en avant des décennies suivantes touchent sous nos yeux à leur point d’aboutissement, peut-être de non-retour. Je ne vais pas m’appesantir sur tous les indices du déboussolement personnel et du déglinguage collectif. Sans taille ni tuteur, la plante humaine est pire que laide, pathétique. Des voix doctes osent ces temps-ci appeler d’urgence au rétablissement des repères, des limites ; à la réhabilitation du refus, du manque, de la frustration même : à la reconstruction du sur-moi. Seront-elles écoutées ? Le nouveau slogan à la mode sera-t-il, ironie du temps : « Il est interdit de ne pas interdire » ?

Good bye Dany. Bâcle-nous ton dernier petit tour, viens nous faire ton Ginger et Fred, une dernière fois, dans un Fellini plus amer que drôle. Puis quitte enfin la scène, toi et tes pareils. Il faut (et tant pis si Sarko paraît mal placé pour le dire…), il faut, oui, il faut enfin « liquider 68 ». On prétend qu’il est en train de s’évacuer tout seul, comme une longue colique. Souhaitons que ce soit avant le décès du malade. 


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