Principe de participation : l'urgence d'une intervention du législateur

Publié le 18 juillet 2012 par Arnaudgossement

Les décisions de justice faisant application du principe de participation pleuvent. La consultation quotidienne de la jurisprudence démontre que le Juge donne toute sa portée à un principe dont le politique doit désormais se saisir pour lui donner un contenu précis.


Paradoxalement, alors que le principe de précaution avait focalisé l'attention lors des débats préalables à l'adoption, en 2005, de la Charte de l'environnement, c'est aujourd'hui le principe de participation qui déploit ses effets les plus nombreux et les plus concrets.

Le mois dernier, j'ai consacré un billet à  cette "révolution du principe de participation". Depuis, de nombreuses décisions de justice sont intervenues qui démontrent l'urgence d'une intervention du législateur. De manière tout à fait spectaculaire, l'activisme du Juge va sans doute contraindre le politique à faire progresser réellement - dans l'intérêt commun de tous les acteurs concernés - la construction d'une démocratie plus durable et plus participative.

Une jurisprudence en plein essor

Plus aucun acteur économique ne peut désormais ignorer le sens et la portée du principe de participation du public.

Ainsi, à la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par l'association France Nature Environnement, le Conseil constitutionnel vient de nouveau - par une décision 2012-262 QPC du 13 juillet 2012 - de déclarer contraire à la constitution la dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 512-5 du code de l'environnement. Cette disposition organise la procédure d'élaboration des règles générales et prescriptions techniques applicables aux installations classées (ICPE) soumises à autorisation. Aux termes de la décision 2012-262 QPC du 13 juillet 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition contraire à l'article 7 de la Charte de l'environnement du 1er mars 2005, relatif au principe de participation du public.

Cette décision QPC du 13 juillet 2012 était très largement prévisible dés lors qu'elle était annoncée par une décision 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011, déjà rendue sur saisine de FNE et déjà relative au régime d'élaboration des prescriptions de fonctionnement ICPE. Le même raisonnement est tenu dans ces deux décisions et le même mécanisme d'effet différé des conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité est mis en place par le Conseil constitutionnel. Dans les deux cas toutefois, une légère période d'incertitude juridique procède de ces décisions pour les opérateurs industriels confrontés à l'instabilité des prescriptions relatives à leur activité. Il convient donc de prévenir, à la suite de ces deux décisions, la montée d'un éventuel scepticisme éventuel parmi les industriels qui ne seraient avertis que des conséquences contentieuses du principe de participation. La participation du public ne se réduit en effet pas à la participation des opposants à un projet d'installation industrielle.

Eoliennes et participation du public

Autre jurisprudence à étudier : celle, en formation, relative aux zones de développement de l'éolien terrestre. On se souvient que, par arrêt du 16 avril 2010, le Conseil d'Etat a contrôlé la conformité d'un arrêté préfectoral portant création d'une ZDE, aux exigences du principe de participation, tel qu'inscrit à l'article L.110-1 du code de l'environnement.

Plusieurs juridictions ont fait application de la solution retenue par le Conseil d'Etat. Par arrêt rendu ce 26 juin 2012, la Cour administrative d'appel de Nancy, a, à son tour, confirmé l'annulation d'un arrêté ZDE au motif d'une violation du principe de participation (cf. CAA Nancy, 26 juin 2012, Ministre de l'écologie, N° 11NC01258). L'arrêt précise que l'absence d'association du public au cours de l'élaboration de la ZDE ne peut être "compensée" par des consultations, soit organisées dans le cadre d'autres procédures (PC), soit réservées à certains acteurs et non ouvertes à toute personne. Une telle solution avait précédemment été retenue par la Cour administrative d'appel de Marseille, notamment (cf. CAA Marseille, 20 décembre 2011, N° 09MA00361).  
 

Une définition en creux du principe de participation

L'examen des décisions de justice qui font état du principe de participation démontrent que le Juge procède essentiellement à une définition en creux, par défaut, du sens de ce principe et de ses exigences. Il en résulte que le principe de participation ne saurait être réduit à une simple information du public, lequel doit être associé au processus de décision ayant une incidence sur l'environnement. L'une des définitions les plus précises des implications du principe de participation a sans doute été donnée par la Cour administrative d'appel de Marseille, par arrêt du 5 décembre 2011, dans un dossier relatif à la déclaration d'utilité publique de travaux de prévention du risque inondation :

"Considérant que l'ASSOCIATION X et autres soutiennent que les décisions attaquées méconnaissent le principe de participation à l'élaboration des décisions publiques résultant des dispositions précitées dès lors que le public ne s'est pas prononcé sur le choix du tracé retenu, ni sur les modifications apportées au plan d'occupation des sols ; que, toutefois, les documents soumis à enquête publique étaient de nature à permettre au public de se prononcer en connaissance de cause sur le projet dont s'agit ; que les conclusions de la commission d'enquête indiquent en effet que le public a été largement informé du projet, tant par la publicité que par les documents mis à disposition, que par la réunion publique organisée par la mairie de T. et qu'un nombre important de personnes se sont présentées (...) ou ont assisté à la réunion publique ; qu'ainsi, les personnes intéressées ont pu présenter leurs observations ; que ces dernières ont pu participer à l'élaboration du projet, satisfaisant ainsi aux exigences des dispositions précitées ; qu'enfin, ces dispositions, qui permettent que le public puisse faire part de son opinion sur un projet ayant une incidence sur l'environnement, n'ont ni pour objet, ni pour effet d'exiger que ce dernier soit associé à la décision finale, notamment en ce qui concerne le choix d'un tracé ;"

Il convient donc de souligner que si la participation du public ne peut se réduire à son information, le Juge n'exige pas pour autant que le public "soit associé à la décision finale". En d'autres termes, si le maître d'ouvrage doit rapporter la preuve d'une association non restreinte du public, l'autorité administrative en charge de la décision n'est pas tenue de suivre l'avis du public, à supposer d'ailleurs qu'un "avis unique" puisse être identifié.

L'intervention passée du législateur aujourd'hui dépassée

Le législateur est devenu intervenu pour tenter de décliner les conditions d'application du principe de participation tel qu'inscrit à l'article 7 de la Charte de l'environnement.

L’article 244 de la loi "Grenelle 2" du 12 juillet 2010 a été codifié à l’article L.120-1 du code de l’environnement. Ce texte précise tout d’abord :

« Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions réglementaires de l'Etat et de ses établissements publics. »

On remarquera ici que les « conditions et limites » de l’application du principe de participation sont ici fixées s’agissant des « décisions réglementaires de l’Etat et de ses établissements publics. Les décisions prises par les collectivités territoriales ne sont pas ici concernées.
L’article L.120-1 du code de l’environnement précise ensuite :

« I. ― Sauf disposition particulière relative à la participation du public prévue par le présent code ou par la législation qui leur est applicable, les décisions réglementaires de l'Etat et de ses établissements publics sont soumises à participation du public lorsqu'elles ont une incidence directe et significative sur l'environnement. Elles font l'objet soit d'une publication préalable du projet de décision par la voie électronique dans des conditions permettant au public de formuler des observations, selon les modalités fixées par le II, soit d'une publication du projet de décision avant la saisine d'un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause, selon les modalités fixées par le III. »

Force est de constater que l'article L.120-1 du code de l'environnement réduit assez largement la participation du public à son information, notamment par voie électronique. La constitutionnalité de ces dispositions n'est donc pas avérée.

En réalité, il serait utile que le législateur se saisisse de nouveau du principe de participation pour mieux articuler démocratie participative et représentative. Et faire en sorte que l'émergence de la première ne soit pas synonyme de recul d'un autre principe, celui de sécurité juridique.

Le législateur pourrait avantageusement définir les différents niveaux de participation : directe ou indirecte, ponctuelle ou continue. Il pourrait également prévoir de nouvelles conditions d'élaboration des décisions ayant une incidence sur l'environnement, tant en matière d'ICPE que d'énergie, avec pour double objectif de garantir l'association du public sans complexifier les procédures d'autorisation.

L'erreur serait bien sûr que le législateur intervienne pour encadrer voire réduire la portée du principe de participation, et ce, contrairement au sens de l'histoire et du droit international. L'intérêt de son intervention serait plutôt de préciser de quelle manière un maître d'ouvrage doit intervenir pour garantir cette participation sans alourdir inutilement le risque juridique et contentieux

Arnaud Gossement
Avocat associé
http://www.gossement-avocats.com