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Une histoire de zizi

Par Copeau @Contrepoints

Suite à un jugement du tribunal de grande instance de Cologne, on ne peut plus pratiquer en Allemagne la circoncision sur les nouveaux-nés. Cette décision a suscité outre-Rhin de nombreuses réactions et pose la question des limites à la liberté religieuse.
Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse.

Ça aurait pu commencer comme une anecdote à classer dans la rubrique "fait divers" d'une revue juridique, mais le ton est monté très vite : suite à un jugement, en Allemagne, on ne peut plus pratiquer la circoncision sur les nouveaux-nés.

Le 26 juin, le tribunal de grande instance de Cologne a rendu publique sa décision. Il juge que l'ablation du prépuce pour motif religieux est une blessure intentionnelle, et de ce fait, illégale. Les juges lèvent clairement le doute sur la question religieuse :

Une histoire de ziziDans un jugement qui devrait faire jurisprudence, le tribunal de grande instance de Cologne a estimé que "le corps d'un enfant était modifié durablement et de manière irréparable par la circoncision", indique un communiqué. "Cette modification est contraire à l'intérêt de l'enfant qui doit décider plus tard par lui-même de son appartenance religieuse", précise ce jugement qui n'interdit pas cet acte à des fins médicales. "Le droit d'un enfant à son intégrité physique prime sur le droit des parents", estime le tribunal. Les droits des parents en matière d'éducation et de liberté religieuse ne sont pas bafoués s'ils attendent que l'enfant soit en mesure de décider d'une circoncision comme "signe visible d'appartenance à l'islam", poursuit le tribunal.

Le tollé n'a pas manqué, jusqu'à la Chancelière Angela Merkel amenée à réagir par le biais de son porte-parole: "Au nom de ce gouvernement, de tous les membres de ce gouvernement, disons les choses clairement : nous tenons à ce qu'une vie religieuse juive, à ce qu'une vie religieuse musulmane soient possibles en Allemagne. La liberté des activités religieuses est à nos yeux un droit auquel nous sommes très attachés".

En France, le débat a rebondi de manière plus ou moins heureuse, telle celle choisie par une journaliste du Huffington Post français, Edith Ochs :

À ce train-là, on peut se demander si l'instruction religieuse n'est pas un abus de pouvoir de la part des parents allemands. De même que le consentement parental à une opération non vitale, disons, l'ablation des végétations adénoïdes, ou simplement les vaccinations diverses (qui ne sont pas sans risques), les yoyos dans les oreilles (heureusement passés de mode), les appareils dentaires (que les enfants détestent), la rééducation oculaire, la psychothérapie, l'apprentissage de la lecture et du calcul mental. (...). Ces actes devraient-ils exiger aussi d'avoir le consentement des chères têtes blondes et brunes ?

Mettre sur le même plan un acte médical motivé et la circoncision ? Il fallait oser ! La "journaliste et écrivaine" enfonce le clou en expliquant finalement que selon elle la circoncision est un baromètre positif de la liberté religieuse - alors même que la possibilité de ne pas être circoncis est totalement impensable dans les pays musulmans, quelle que soit la religion des parents. Elle évoque ensuite les vertus de la circoncision contre la transmission du SIDA, qui faisait des ravages dès l'ère chrétienne comme chacun sait... Et en conclusion, s'attarde sur la "vraie question", à savoir le plaisir masculin ressenti avec un organe circoncis. Difficile de traiter le sujet en étant davantage à côté de la plaque !

Bien entendu, on pourra critiquer ce jugement de bien des manières et chacun ne s'en prive pas - la façon dont il remet en question des pratiques traditionnelles, l'incertitude qu'il fait planer sur les praticiens allemands, l’immixtion des juges dans la sphère privée et j'en passe. Rarement pareille décision juridique aura fait autant l'unanimité contre elle, au moins médiatiquement.

Pourtant, les juges de Cologne posent le problème correctement.

Quelle est la limite à ce que l'on peut infliger à un enfant au nom de la religion ? Au nom de quel principe peut-on accepter la circoncision et refuser le reste ? L'excision ? Les relations sexuelles avec des enfants ? Le mariage forcé ? La maltraitance ? Les crimes d'honneur ? La frontière est bien floue entre pratiques culturelles et pratiques religieuses, mais les textes sacrés font souvent preuve d'une étonnante flexibilité à ce sujet, surtout lorsqu'on les invoque devant une cour d'assises.

Nous vivons dans un monde étrange où la fessée est bannie mais où il est tolérable de mutiler le sexe d'un nouveau-né. Est-ce parce que la circoncision est considérée comme bénigne ? Mais en l'absence d'un consentement explicite de l'intéressé, qui est mieux placé qu'une cour de justice pour décider de ce qui est bénin et de ce qui ne l'est pas ? Le tribunal de grande instance de Cologne a été saisi après qu'un enfant de 4 ans soit hospitalisé à nouveau deux jours après une première opération, en raison de saignements. Une deuxième intervention chirurgicale correctrice et trois changements de pansements durent être effectués sous anesthésie totale, sans qu'on puisse reprocher ces complications à une erreur du médecin pratiquant la circoncision.

Lourdes conséquences pour une opération aussi "bénigne" qu'inutile...

Juifs et musulmans montent naturellement au créneau. Les premiers expliquent ainsi que "depuis 3 500 ans chaque petit garçon rejoint le peuple juif à travers le rite de la circoncision" et évoquent "un principe biblique qui définit le peuple juif depuis des temps immémoriaux", ce qui est un fieffé mensonge, le judaïsme se définissant avant tout par l'ascendance. On trouvera même un mouvement des juifs contre la circoncision sur Internet. Et, finalement, que dire des conversions ?

L'argumentation des musulmans n'est guère différente, il s'agit de préserver la "liberté religieuse" - c'est-à-dire, dans ce contexte, l'ascendant religieux des parents sur leurs enfants.

Je ne doute pas que le jugement soit cassé à brève échéance, à moins qu'une nouvelle loi ad hoc ne vienne au secours des communautés de croyants concernées. Pourtant, la liberté religieuse, la vraie, est préservée par le jugement. Ce dernier rappelle que l'enfant "doit décider plus tard par lui-même de son appartenance religieuse." Car c'est là le ressort secret qui terrifie tant rabins et imams : l'idée que la progéniture de leurs ouailles ne soit pas automatiquement rattachée à leur communauté. Le lien est infiniment plus facile lorsque la circoncision est effectuée sur le nourrisson. Ils abhorrent l'idée d'un croyant n'adhérant volontairement au groupe qu'à l'âge de raison, en connaissance de cause, avec le sacrifice que cela implique. Cela mettrait cul par-dessus tête des millénaires "d'éducation" religieuse.

S'ils avaient le choix, combien d'européens fils de juifs ou de musulmans accepteraient une circoncision à quatorze ans pour épouser la religion de leurs parents ?

Demander à un jeune de choisir, sciemment, et de subir une circoncision alors même qu'il est adolescent... Voilà qui serait un véritable acte de foi.

On comprend que les partisans de la circoncision fassent tout pour l'éviter.

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