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le tiers livre : Lovecraft | notes sur l’écriture de la fiction surnaturelle

Publié le 22 juillet 2012 par Scriiipt

 le tiers livre : Lovecraft | notes sur lécriture de la fiction surnaturelleA lire sur le blog de François Bon www.tierslivre.netQuand Lovecraft parle de son art de construire la fiction…

 Sur le blog, des retraductions de HPL

 Howard Phillips Lovecraft a publié ces Notes on writing weird fiction, dans The Amateur Correspondent, n° de mai-juin 1937. On mettra en ligne ici, à mesure de la traduction, une suite de ces textes sur son art d’écrire et d’inventer, pour lesquels nous préparons une anthologie publie.net. Ces textes sont évidemment fondateurs bien au-delà de la sphère du fantastique. Ils sont loin d’être tous traduits en français.

FB.

Un article traduit par François Bon, en licence Creative Commons (BY-NC-SA)

H.P. Lovecraft | Notes sur l’écriture de la fiction surnaturelle

Ma raison d’écrire des histoires : me donner à moi-même la satisfaction de voir plus distinctement et avec plus de détail et de stabilité les impressions vagues, allusives et fragmentaires du merveilleux, du beau et de l’attente aventureuse qui me sont produites par certains aperçus (scéniques, architecturaux, atmosphériques, etc.), des idées, des occurrences et des images rencontrés dans l’art et la littérature. J’ai choisi les histoires surnaturelles (weird), parce qu’elles conviennent le mieux à mon inclination – un de mes vœux les plus forts et les plus persistants étant de réaliser, momentanément, l’illusion d’une étrange suspension ou violation des limitations exaspérantes du temps, de l’espace et des lois naturelles qui partout nous emprisonnent et frustrent notre curiosité des infinis espaces cosmiques hors de nos perceptions et analyses. Ces histoires renchérissent fréquemment l’élément horrifique, parce que la peur est notre émotion la plus profonde et la plus forte, et celle qui se prête d’elle-même à la création d’illusions défiant la nature. L’horreur, l’inconnu et l’étrange sont toujours reliés de très près, et il est difficile de créer une représentation convaincante des lois naturelles fracassées ou de l’aliénation cosmique ou de notre étrangèreté (outsideness) sans en passer par la crainte ou l’émotion de la peur. La raison pour laquelle le temps joue un si grand rôle dans tant de mes histoires, c’est que cet élément surgit dans mon esprit comme le plus profondément dramatique et la chose la plus farouchement terrible de l’univers. Le conflit avec le temps m’apparaît comme le thème le plus puissant et fructueux de toute l’expression humaine.

Alors que la forme de narration que j’ai choisie est d’évidence très spéciale, et peut-être même étroite, elle n’est rien de moins qu’un type d’expression persistant et permanent aussi vieux que la littérature elle-même. Il y aura toujours une certaine proportion de gens qui ressentiront une curiosité brûlante à propos des espaces extérieurs inconnus, et un désir brûlant d’échapper à la prison du connu et du réel, pour atteindre ces pays enchantés de l’aventure incroyable que nous ouvrent les rêves, et que des choses comme les forêts profondes, les tours urbaines fantastiques, ou les crépuscules enflammés nous suggèrent un instant. Ces gens incluent de grands auteurs aussi bien que d’insignifiants amateurs comme moi-même – Dunsany, Poe, Arthur Machen, M.R. James, Algernon Blackwood, et Walter de la Mare étant les maîtres les plus représentatifs de ce domaine.

Quant à comment j’écris une histoire – il n’y a pas de manière unique. Chacune de mes fictions a une histoire différente. Une ou deux fois, je suis littéralement parti d’un rêve ; mais habituellement je pars d’une sensation, d’une idée ou d’une image que je souhaite rendre, et la résoudre mentalement jusqu’à ce que je puisse envisager un moyen cohérent de lui donner corps par une chaîne d’occurrences dramatiques capable d’être dite en termes concrets. J’ai tendance à m’engager dans une liste mentale des circonstances ou situations basiques le mieux adaptées à une telle sensation, idée ou image, puis commencer à spéculer sur les explications logiques ou naturellement fondées de cette première sensation, image ou idée, qui puissent justifier la circonstance ou situation évoquée.

Alors le processus de l’écriture est alors aussi varié que le choix du thème et de la circonstance initiale ; mais si on analyse l’histoire de chacune de mes fictions, on pourrait déduire les règles suivantes de leur procédure habituelle :

  1. préparer un synopsis ou un scénario des événements dans l’ordre absolu de leur occurrence – et non pas l’ordre de la narration. Les décrire avec assez d’ampleur pour couvrir tous les points vitaux et justifier de tous les incidents prévus. Dès cette esquisse temporaire, les détails, commentaires et conséquences prévues sont les bienvenues.
  2. préparer un deuxième synopsis ou scénario des événements, celui-ci dans l’ordre de la narration (non de leur apparition réelle), avec le maximum d’ampleur et de détail, et des notes comme les changements de perspective, d’émotions, de climats. Modifier le synopsis original pour examiner si ces changements augmentent la force dramatique ou l’efficacité générale de l’histoire. Interpoler ou effacer les éléments selon vos souhaits – ne vous sentez jamais lié par la conception originale même si le résultat final c’est une histoire entièrement différente que la première envisagée. Autoriser les additions et les altérations partout où c’est suggéré par un élément quelconque du développement.
  3. écrire l’histoire – rapidement, à la volée, sans être trop critique –, en suivant le second synopsis, celui qui est dans l’ordre de la narration. Changer les événements et les sujets partout où le processus de développement (developing process) semble suggérer un tel changement, ne vous sentez jamais lié par aucune idée initiale. Si le développement révèle soudain de nouvelles opportunités de développement dramatique, ou de  nouvelles colorations de l’histoire, les ajouter partout où cela vous semble à l’avantage – retour au deuxième plan et réaménagement pour concilier avec les éléments originaux. Insérer ou effacer de peines sections si cela semble nécessaire ou désirable, essai de différents débuts et fins jusqu’à ce que le meilleur arrangement soit trouvé. S’assurer que toute les références associées à l’histoire sont dûment en accord avec le dessin final. Enlever tout le superflu possible – mots, phrases, paragraphes ou épisodes ou éléments entiers – tout en observant les précautions usuelles concernant la compatibilité des références.
  4. réviser le texte entier, faire attention au vocabulaire, à la syntaxe, au rythme de la prose, à la proportion des parties, aux beautés de ton, la grâce et la conviction des transitions (scène à scène, d’une action lente et détaillée à une action rapidement esquissée dans le temps, puis le contraire, etc. etc.), l’efficacité du début, de la fin, des climats, de la tension dramatique et de l’intérêt, la crédibilité et l’atmosphère, et tous autres éléments.
  5. dactylographier proprement la mise au net – sans hésiter à ajouter de nouvelles touches de révision finale là où elles semblent nécessaires.  La première de ces étapes est souvent purement et simplement mentale – un ensemble de circonstances et d’événements que j’ai assemblés dans ma tête, et jamais mis par écrit avant que je sois capable de préparer le synopsis détaillé de ces événements dans l’ordre de la narration. De même je commence parfois la rédaction sans même savoir comment je développerai l’idée – ce début étant en lui-même le problème à expliciter et exploiter.

Il y a, je crois, quatre types distincts d’histoires surnaturelles ; une exprimant une sensation ou un sentiment, une autre partant d’un imaginaire visuel, une troisième exprimant une situation, circonstance, légende, ou une projection intellectuelle, et une quatrième explicitant un tableau particulier ou une situation ou climat dramatiques particuliers. D’une autre manière, les histoires surnaturelles peuvent être regroupées en deux grandes catégories – celles dans lesquelles l’extraordinaire ou l’horreur concernent une  circonstance ou un phénomène, et celles dans lesquelles cela concerne l’action de personnes en relation avec une circonstance ou phénomène étrange. Chaque histoire surnaturelle – en considérant surtout celles relevant de l’horreur – semble impliquer cinq éléments définis : [a] une horreur ou anormalité basique, circonstance ou entité, etc., [b] l’effet général ou les relations de l’horreur, [c] le mode de manifestation, l’objet incarnant l’horreur et les phénomènes observés, [d] les types de réaction à la peur se rapportant à l’horreur, et [e] les effets spécifiques de l’horreur en relation aux circonstances dans lesquels elle s’établit.

En écrivant une histoire surnaturelle, j’essaye toujours de réaliser très précautionneusement le climat exact et l’atmosphère, et d’accentuer l’intensité où elle doit l’être. On n’a pas le droit, sauf dans la sous-littérature (pulp charlatan-fiction), de proposer un lot de phénomènes impossibles, improbables ou inconcevables comme un effet habituel de narration d’actes objectifs et d’émotions conventionnelles. Des événements et circonstances inconcevables sont un véritable handicap à vaincre, et ce ne peut être accompli qu’à travers le maintien du plus pointilleux réalisme dans toutes les phases de l’histoire, excepté ce qui touche au phénomène lui-même. L’extraordinaire doit être être traité le plus émotionnellement possible, et, avec un soin particulier dans la construction de cette émotion, délibérément autre que ce qui le rendrait plat et sans conviction. Étant le principal nœud de l’histoire, le fait même qu’il existe occulte les personnages et les événements. Mais les personnages et événements doivent rester conséquents et naturels, sauf lorsqu’ils touchent le fait extraordinaire. Mis en relation avec l’extraordinaire, les personnages doivent montrer la même émotion qui les submerge, que le feraient des personnages similaires confrontés à une telle étrangeté dans la vie réelle. Ne jamais considérer l’extraordinaire comme fait acquis. Même quand les personnages sont censés s’être habitués à l’extraordinaire, j’essaye de faire passer un reste d’intimidation (awe) et de magnificence correspondant à ce que le lecteur doit ressentir. Un style banal ruine toute fiction sérieuse.

L’atmosphère, et non pas l’action, est le grand desideratum de la fiction surnaturelle. Bien sûr, tout ce à quoi peut atteindre la plus merveilleuse histoire, c’est une peinture vivante d’un certain type d’émotion humaine. Les moments où elle essaye d’être quoi que ce soit d’autre devient puéril, non convainquant, bas prix. La première intensité doit être donnée à la suggestion du subtil, touches et nuances imperceptibles de détails sélectionnés et associés qui font ressortir les émotions comme des ombres et construisit la vague illusion d’une étrange réalité de l’irréel. Éviter les lisses catalogues des événements incroyables qui n’ont pas de substance et ne signifient rien que leur propre nuage de couleur et de symboles.

Voici les règles ou critères que j’ai suivis – consciemment ou inconsciemment – depuis ma première tentative dans l’écriture sérieuse de fiction. Que les résultats en soient concluants peut être discuté – mais je me sens au moins sur que, si j’avais ignoré les considérations mentionnées dans les paragraphes ci-dessus, ils auraient été bien pires qu’ils ne le sont.

écrit ou proposé par : tiers livre, grandes pages
(site sous licence Creative Commons BY-NC-SA)
1ère mise en ligne  et dernière modification le 20 juillet 2012.

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