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Emile Coué, La Méthode Coué

Publié le 26 juillet 2012 par Edgar @edgarpoe

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La Méthode Coué, pour moi, c'est Pif le chien sautant d'une fenêtre et répétant "je vole, je vole, je vole". Hercule le ramasse à terre, après écrasement, et explique que le chien a voulu "essayer la méthode Coué". Déjà tout petit je savais donc que la méthode Coué était ringarde.

Ce livre a du coup attiré ma curiosité, tant j'ai été amusé de voir qu'avant d'être un gag pour bandes dessinées, la méthode Coué était une véritable méthode.

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Après lecture, je trouve finalement regrettable que ce livre ne soit pas plus connu.

Il faut commencer par deux mots sur le texte de présentation de Roger Dadoun. Ce psychanalyste, s'il n'est pas entièrement négatif sur Coué, consacre la plupart de ses arguments à prouver que Coué ne vaut pas Freud, car Freud savait écrire.

C'est certainement vrai, Coué est un pharmacien qui souhaite faire connaître ses recettes pour aller mieux, comme un cuisinier rédigeant un guide de ses meilleurs tours de main.

Mais il aurait pu être intéressant que Dadoun s'interroge, ne serait-ce qu'en une ligne, sur l'éventuelle efficacité de la fameuse méthode. Ce ne serait pas assez mondain, il préfère donc s'interroger sur la littératurablité de l'écriture couécienne (oui, j'ose, c'est l'été).

Dadoun écrit quand même que Romain Rolland, via un ami, était fasciné par la notion suggestion, telle que décrite par Coué.

Une école française d'analyse des mécanismes de la suggestion, individuelle ou notamment collective (la propagande), aurait pu naître de continuateurs de Coué - j'écris école française parce qu'il semble que coué a connu un succès plus important à l'étranger que dans son pays : il a, par exemple, sa statue à Moscou.

Il n'en a rien été, Coué n'a pas eu de continuateurs, parce que notamment, comme l'écrit Dadoun, il ne s'est jamais intéressé qu'à des applications individuelles, médicales, de sa doctrine de l'auto-suggestion par la répétition (dont l'un des principes les plus exemplaires est de répéter longuement "tous les jours et à tous les points de vue, je vais de mieux en mieux".)

Dadoun excelle donc à pointer les limites des notions utilisées par Coué. Cela ne doit pas conduire à négliger les quelques perles que recèle ce court texte.

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Par exemple, cette phrase qui ouvre le livre, placée en exergue : "ce n'est pas la volonté qui nous fait agir, mais l'imagination". Pour un homme du 19ème, c'est assez moderne.

Coué évoque, sans s'y attarder, la portée collective, sinon politique, d'une telle affirmation. Il recommande ainsi aux "médecins, aux magistrats, aux avocats, aux éducateurs de la jeunesse" d'éviter "de provoquer chez les autres des autosuggestions mauvaises dont les conséquences peuvent être désastreuses"...

Même si Dadoun raille l'optimisme supposé de Coué, on ne peut s'empêcher de trouver assez noires des phrases de Coué telles que : "nous autres hommes, ressemblons plus ou moins à la gent moutonnière et, contre notre gré, nous suivons irrésistiblement l'exemple d'autrui, nous imaginant que nous ne pouvons pas faire autrement". 

L'optimisme de Coué repose dans l'idée que l'individu, conseillé en ce sens peut, par l'autosuggestion (que Coué n'hésite pas à qualifier d'hypnose - "l'autosuggestion n'est autre que l'hypnotisme"), recréer à son propre usage un imaginaire positif, dégagé de toute pensées conduisant à l'échec.

Il s'agit bien de recréer un imaginaire, pas de rééduquer le vouloir du patient ("les résultats sont [...] peu satisfaisants quand, dans le traitement des affections morales, on s'efforce de faire la rééducation de la volonté. C'est à l'éducation de l'imagination qu'il faut s'attacher,...")

Coué affirme en effet que lorsque la volonté et l'imagination sont en conflit, c'est toujours l'imagination qui l'emporte.

Sa méthode entraîne donc comme conséquence le rejet de l'effort : "on prêche toujours l'effort. Il faut le répudier. Car qui dit effort dit volonté, qui dit volonté dit entrée en jeu possible de l'imagination en sens contraire, d'où, dans ce cas, résultat précisément contraire à celui que l'on cherche à obtenir".

Comme Freud, Coué note que sa méthode rencontrera des résistances, notamment chez "les gens qui ne consentent pas à comprendre".

Coué donne des instructions pratiques pour que le thérapeute puisse suggérer correctement des choses positives à son patient. C'est sur ce terrain que Dadoun refuse de dire quoi que ce soit, probablement gêné par le rejet par Freud de l'hypnose.

L'oubli de Coué peut s'expliquer ainsi par le succès de la psychanalyse.

Il ne faudrait pas pour autant croire que ces deux thérapeutes sont en tous points opposés. La notion de maladie psychosomatique n'aurait pas effrayé Coué, lui qui ne recule pas à l'idée de décrire comment l'inconscient commande au corps : "...le même raisonnement nous permet de comprendre comment un fibrome peut disparaître. L'inconscient ayant accepté l'idée "le fibrome doit disparaître", le cerveau ordonne aux artères qui le nourissent de se contracter, celles-ci se contractent, refusent leurs services, ne nourrissent plus le fibrome et celui-ci, privé de nourriture, meurt, se dessèche, se résorbe et disparaît".

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Lecture faite, on est à la fois fasciné et frustré par les idées de Coué.

Fasciné par la force de ses intuitions. De la notion individuelle d'imagination, qu'il emploie fréquemment, on passe très facilement à celle d'inconscient individuel, terme qu'il emploie d'ailleurs fréquemment. On peut donc en faire, sur le plan individuel, un précurseur certes peu doué pour expliciter sa pensée, mais un précurseur tout de même, de Freud.

Sur le plan collectif, on peut le rattacher à tout un courant de pensée qui va étudier les mécanismes de la propagande, qui n'est rien d'autre qu'une autosuggestion collective. Ayant lu le "Propaganda : comment manipuler l'opinion en démocratie", de Edward Bernays, j'ai trouvé une grande compatibilité entre les deux auteurs.

Frustré parce que justement, comme le souligne Dadoun en introduction, même s'il a tendance à ne souligner que cela, Coué écrit de façon fruste et n'a jamais écrit qu'un seul livre. Probablement son rôle de thérapeute individuel lui a-t-il suffi.

Pour terminer par un raccourci aussi abusif que rapide, je retiens que si Freud invite chacun à faire sortir de son inconscient ce qui y a été introduit puis refoulé, Coué se concentre sur la possibilité d'y introduire volontairement des éléments positifs - sans s'interroger longuement sur une éventuelle résistance ni sur ce que ces idées postives vont remplacer.

D'autres se chargeront de vouloir, enfin, par la propagande justement, introduire dans l'imaginaire individuel et collectif, des éléments sinon négatifs, du moins parfaitement stérilisants. Après tout, répéter comme un mantra "L'Europe c'est la paix", ou tout autre slogan indémontré, relève  de la même démarche que de répéter vingt fois par jour, comme y invitait Coué, "je vais de mieux en mieux".

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Ouvrage recommandable à mon sens...


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