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Mai 68 n'a pas eu lieu

Publié le 24 mars 2008 par Collectifnrv

aeafa124da71e856ffb727767be7e17b.jpgI) Les constats
 
Au moment où les politiques, anciens combattants et les médias commémorent en chœur la dépouille de Mai 68, pour s’interroger, au mieux, sur ce qu’il en reste aujourd’hui, il est peut-être temps de s’interroger sur le chantier dont ce mois de mai, commencé en mars, a pu être l’esquisse.

Un chantier trop vite interrompu par une alliance obj

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ective des appareils étatiques, patronaux et syndicaux, et qui attend l’arrivée de nouveaux ouvriers pour siffler la reprise à l’endroit précis où les travaux ont été laissés en plan. Tout d’abord il convient de se rappeler qu’à cette époque la crise sociale n’a pas été déclenchée par une crise économique. La croissance annuelle était alors de 5%. C’était plutôt le corset d’une société d’avant-guerre qui se prolongeait dans les interdits portant sur les mœurs, dans l’exploitation des salariés, qui, s’ils trouvaient à s’employer facilement, ne bénéficiaient pas forcément des fruits de la croissance, qui s’est mis soudainement à craquer sous la poussée de nouvelles aspirations issues de la base, cette armée en déshérence des citoyens lambda qui s’est brutalement cristallisée sur un ensemble d’intérêts variés et mobilisateurs.

Un coup de tonnerre prenant tout le monde de court. Un tonnerre qui grondera bien au-delà des frontières hexagonales. Pour s’en tenir au cas français, une relecture de la période autorise à penser qu’il s’agissait dans ce mouvement, moins de réclamer l’accès du plus grand nombre à la société de consommation, naissante, qu’à la mise en place de nouvelles règles de vie commune, un partage différent du pouvoir au sein de la société, de l’entreprise, de la famille, du couple, que celui qui prévalait jusque là. La révolution en la matière portant sur la remise en cause des situations établies, des croyances, des routines prises pour la simple conformité des conduites individuelles et collectives à un état de fait naturel, objectif, s’imposant de lui-même, et garant de l’ordre social.

Mai 68 fut la découverte par le citoyen lambda que l’organisation sociale reposait sur des choix idéologiques, conçus par des intérêts qui ne disaient pas leur nom mais s’objectivaient dans des institutions déclinées dans des pratiques sociales qui réclamaient le respect le plus strict de la part des citoyens qui s’y trouvaient assujettis au nom d’intérêts supérieurs incontestables. Le mouvement eut à peine le temps de secouer le rideau de théâtre et plisser un temps le trompe l’œil que tout un chacun prenait pour la réalité indépassable, l’évidence même du « il n’y a pas d’alternative », « il n’y a pas de plan B » que les puissants de la terre affectent de marteler pour inquiéter les sans-grades et les faire filer doux, que le premier choc pétrolier des années soixante-dix vint mettre de l’ordre dans tout cela. Fini la « chienlit » des questions hétérodoxes posées jusqu’au fin fond du plus modeste atelier par le plus modeste des salariés sur ses conditions de vie, celles de ses compagnons d’infortune, celles des plus fortunés, le pouvoir était de retour en bon pompier pyromane.

L’urgence de la situation, une chute brutale de la croissance d’abord à 2,5% puis à moins par la suite, allait conduire à des potions amères dont les plus modestes allaient devoir absorber la plus grande quantité. C’est l’époque des licenciements de masse, présentées comme la conséquence de la crise, encore une évidence à laquelle tout le monde était soumis, du patronat à l’ouvrier. Puis vint la « solution » des délocalisations, toujours pour faire face à la concurrence et sauver ce qui pouvait l’être des entreprises pendant que les salariés se retrouvaient sur le carreau. D’abord les ouvriers, avec le drame de la sidérurgie, puis ce fut le tour des cadres. On commença alors à s’inquiéter ici et là des ravages de la « mondialisation ». Puis, plus récemment, on s’aperçut avec Vilvoorde, que les grandes entreprises pouvaient fermer des usines alors que leur résultat annuel était largement bénéficiaire.

On se rendit compte a posteriori que bon nombre d’entreprises avaient certainement profité de l’aubaine de la crise pour licencier à tour de bras sans que cela se voit et faire reposer le financement des personnes ainsi débarquées sur la solidarité collective, les caisses de chômage, puis les organisations humanitaires (naissance des « Restos du cœur »).


A la faveur de la crise économique majeure des années soixante dix, on était entré sans le savoir dans l’ère du capitalisme mondialisé purement financier imposant sa loi aux Etats impuissants ou/et complaisants. La construction européenne s’est faite à la même époque et sur les mêmes prémisses. L’Europe des Quinze, alors très largement dominée par les socialistes et sociaux-démocrates, a fait entrer le loup dans la bergerie et lui a désigné les brebis les plus grasses.

De toute cette page de notre histoire récente, et qui se poursuit de nos jours allègrement, les citoyens, en tant qu’agents politiques, ont été exclus. Seul leur statut de consommateur/producteur a été pris en compte dans les politiques de la plupart des Etats-membres. Un statut qui leur réserve le droit de faire ce que l’on attend d’eux – consommer les produits disponibles sur le marché et produire selon les règles et les contraintes édictées par d’autres.
Tout ce préambule pour en arriver à ce constat que les ferments qui ont conduit à l’éclatement de Mai 68 se retrouvent de nos jours. Une même aliénation de la plus grande partie des citoyens et résidants de l’Union européenne, qui porte si mal son nom, face aux intérêts des capitalistes, avec des institutions politiques au service des maîtres de l’économie. D’où résulte un mode de vie sévèrement encadré et délimité par les contraintes de la production dans une lutte incessante vers plus de productivité organisant une arène dans laquelle seuls les plus aptes à se confronter aux règles du jeu sont valorisés. Mais à la manière des machines technologiques qui ébouriffent – à bon compte – le bourgeois : wouaww, regarde ce que je peux faire avec ma caméra HD ! Et moi écoute mon MP3 !

Une citoyenneté réduite aux acquêts s’est (durablement ?) mise en place à qui l’on a seriné qu’elle devrait travailler plus pour se payer le dernier joujou hi-tech indispensable à la vie de chacun. Les paradis artificiels légaux se sont ainsi multipliés à travers une profusion d’objets formant autant de prothèses à travers lesquelles des formes d’action inenvisageables sans leur intermédiaire deviennent réalisables. Evidemment tout ceci ne se fait pas sans une modification progressive mais considérable du rapport à l’autre, atteignant même jusqu’à une forme de mise à distance d’autrui qui confine à un « altéricide » (Dominique Quessada, Court traité d’altéricide, Verticales | phase deux, 2007).

Quelque chose comme un processus d’homogénéisation des échanges dans le monde social sur le mode de la marchandise est en cours. Laquelle ne trouve rien sur son chemin, sauf à ce que l’esprit renouvelé de Mai vienne innerver les consciences et les citoyens au point que quelque chose puisse se constituer, de nouveau, en alternative à un monde façonné par et pour les possédants.

Qu’est-ce que l’esprit de mai si ce n’est le rappel que l’être et l’avoir diffèrent radicalement l’un de l’autre, que l’humanité est un projet sans cesse en devenir, que le « progrès » ne peut relever du seul registre économique, où le terme en question sert le plus souvent de cache-misère permettant toutes lesrégressions pour le seul profit d’une minorité, que la vie de chacun n’est pas à vendre au moins offrant, que la vie est ouverture sur l’inconnu et fait de chacun et de tous, leur existence durant, des explorateurs de mondes ignorés, pour leur propre compte mais aussi pour celui des autres, y compris des générations à venir.

Le Monde est une invention permanente, une aventure individuelle et collective sans fin assignable.  L’économie n’est qu’un aspect participant à la pérennité matérielle de cette aventure à la fois esthétique, cognitive, politique, relationnelle, sociale….

Elle ne saurait dominer l’ensemble de ces dimensions et ne saurait par là même occasion être l’affaire des experts et autres bonimenteurs de l’objectivité qui tirent les ficelles derrière l’apparent diktat du réel.

Alors qu’en est-il de nos jours du potentiel innovateur de l’esprit de Mai ?

Réponse dans le second numéro

A suivre....

Off


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