En principe, l’insomnie n’est pas liée à une saison particulière. Mais nous sommes d’accord avec la poétesse qu’en une nuit d’été, qui est le plus souvent suffisamment éclairée , le champ de vision du veilleur est traversé par des phénomènes optiques tels que les spectres , les silhouettes et des semblants de lumière qui contribuent à stimuler son imagination dans deux directions possibles : la peur pour les superstitieux et la contemplation créative pour ceux qui jouissent d’une sensibilité effilée et de grandes capacités attentionnelles et imaginatives. Appartenant incontestablement à cette deuxième catégorie – ce que prouvent tous ses écrits précédents , l’auteure nous a gratifié d’un flot d’images absolument inédites dignes du grand Edgard Allan Poe. Et vous n’avez qu’à vous en rendre compte par vous-mêmes : Les nuits béantes de l'été aboient leur musique à la lune / Les cercles d'ombre ont profil bas mais également échine souple comme en la danse du totem/ vient un instant écarquillé où convergent tous les chemins éparpillés par le hasard… et je me contente de citer ces trois exemples sinon je recopierai la totalité du poème. Passons , à présent , au contenu sémantique du texte. Les images perçues par la locutrice laissent filtrer un ensemble cohérent dont les éléments constitutifs sont distribués sur deux niveaux qui se rejoignent : d’un côté des éléments appartenant au champ de vision qui est, de par sa nature, externe et qui instaure entre eux des relations tendues ou mystérieuses, voire magiques ( nuit / lune – ombres / position basse – instant / chemins ) et, de l’autre, un autre ensemble constitué par l’être de la veilleuse et le monde extérieur unis par des relations du même genre. Ce qui exclut toute dimension romantique, en raison de l’absence d’accord mutuel et nous fait opter pour une dimension existentielle. Et dans ce cas , il nous apparaît que les images perçues et décrites par la locutrice ne sont que les résultats d’une projection de son état d’âme sur le monde extérieur existentiellement défini par Sartre et consorts comme inerte, amorphe et calfeutré dans un isolement total par rapport à l’être humain .
Un excellent texte Patricia ! Bravo !
Mohamed Salah Ben Amor.
Les nuits béantes de l'été
par Patricia Laranco
Les nuits béantes de l'été
aboient leur musique à la lune.
Fluide l'insomnie
nous parcourt.
En sa vastitude étirée
l'élasticité du néant...
Les cercles d'ombre ont profil bas
mais également échine souple
comme en la danse du totem.
Vient un instant écarquillé
où convergent tous les chemins
éparpillés par le hasard
Les mots deviennent poudreux
tels de grands papillons tout gris ,
de pâles papillons de nuit
aux battements d'ailes criards.
Des gondoles glissent sur l'air
et lissent soudain
la pensée.
A quoi rime de ne dormir
sinon pour rester éveillé
en une attente de veilleur
vrillé par sa propre surprise ?