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Volailles Doux: le modèle dur.

Publié le 31 juillet 2012 par Juan
Volailles Doux: le modèle dur. Depuis la fin du printemps, le volailler Doux est en sursis, écrasé par le poids de ses 430 millions d'euros d'endettement. Le gouvernement est ému et se démène. Les salariés craignent pour leur emploi. Les élus locaux se mobilisent. Le Tribunal de commerce local doit se prononcer sur la liquidation éventuelle ce 1er août.
Il y a un autre volet tout aussi dramatique, et à peine relayé par les médias, les exécrables conditions de travail au sein de ces établissements.
Le reportage était édifiant, mais ce n'était ni le seul ni le premier.
Dans son édition du 19 juillet 2012, l'hebdomadaire Politis publiait une enquête de Laurène Perrussel-Morin sur les conditions de travail au sein du numéro français de la volaille et cinquième exportateur mondial: « Doux, un monde de brutes » (*). Il y a 17 ans déjà, le quotidien Libération, sous la plume de Pierre-Henri Allain, relatait les mêmes situations, comme sorties tout droit de Germinal.
« Tous les postes sont debout, dans le froid et l'humidité », décrivait à Politis un porte-parole de la Confédération paysanne. « J'ai eu des témoignages évoquant des chefaillons qui donnaient des coups de coude dans le dos des femmes pour qu'elles aillent plus vite. » Une autre représentante syndicale, Nadine Hourmant, déléguée FO du groupe Doux et salariée depuis 22 ans, précisait: « J'ai toujours travaillé au poste emballage. On emballe 1.000 poulets à l'heure. Sur les chaînes manuelles, les filles emballent 14 poulets à la minute. (...) Tous les salariés du groupe sont cassés. Tous ont des problèmes de cou, de tendinite, d'épaule...»
« Chez Doux, c’est Germinal. Quand vous n’êtes pas gentil, vous êtes sanctionné » , expliquait Nadine Hourmant à un autre journaliste, Raphaël Baldos de La Croix. Ce dernier complétait: « Ne pas être « gentil » , c’est participer à un débrayage, poser des questions à l’encadrement ou répondre aux journalistes ». Doux a un contentieux historique avec l'expression des salariés.
Dix-sept ans auparavant, même son de cloche. Rien n'a donc changé.
En mai 1995 déjà, un conflit avait opposé quelque trois cent employés et la direction sur l'amélioration des conditions de travail à l'usine de Châteaulin, près du siège du groupe. Outre une revalorisation salariales, les syndicats réclamait déjà un audit sur les conditions de travail, « particulièrement pénibles sur les chaînes d'abattage et de conditionnement de volailles où l'on travaille debout, généralement dans l'humidité, le froid, ou la poussière des poulets », relatait l'envoyé spécial de Libération.
«Il y a un an, on nous avait promis d'étudier la question, se souvient Bernard Le Brun, délégué CGT. Mais cela n'a abouti à rien. On a mis des sièges en fer à la disposition des femmes enceintes et c'est tout. Cette fois, le conflit a débuté le 16 mai avec la négociation annuelle sur les salaires où la direction a proposé 3% d'augmentation. Autant dire rien avec la prochaine réévaluation du Smic de 4%. Nous avons commencé à faire des débrayages avant de nous mettre en grève.»
Source: Libération, 12 juin 1995, « Conflit sur les conditions de travail dans les volailles Doux »
Vous avez bien lu: des sièges en fer pour les femmes enceintes... Comment s'étonner que les troubles musculo-squelettiques (TMS) soient l'une des plaies du secteur ? Une activité malheureusement exemplaire de la pénibilité du travail si superbement ignorée par Nicolas Sarkozy et Eric Woerth lors de leur réforme des retraites en 2010.
«On est traité comme des chiens, enrage Christine, ouvrière dans l'unité de découpe. Au-dessus de la pointeuse, il est écrit qu'il est interdit de parler, de se maquiller, de porter des bijoux, de mâcher du chewing-gum. Et il y a toujours quelqu'un derrière nous en train de gueuler ou de nous traiter de tous les noms. On n'est pas respecté. Qu'on nous respecte!»
On évoquait déjà des « méthodes de production à la chaîne » quasiment inchangées sauf pour « l'accélération des cadences », les « problèmes de dos ou tendinites au poignet ».
Dix ans plus tard, en 2005, ça recommence. Un millier de salariés font grève. L'affaire s'envenime. Elle est portée en justice. En cause, la demi-heure de pause quotidienne, non rémunérée depuis juillet 2004. Condamné aux Prud'hommes, l'entreprise avait fait appel. Elle refusait également des heures de délégation exceptionnelles aux syndicalistes. Autres procès aux Prud'hommes. Dans le journal de l'entreprise, le directeur général de l'époque, Guy Odri, argumentait sur la compétitivité : «Les conséquences des décisions judiciaires en France suite à des actions engagées par certains d’entre vous en 2004 vont sévèrement pénaliser la compétitivité du groupe […] en le privant de ressources pour […] faire de l’innovation sociale.»
Aujourd'hui, rien n'a changé. Dans l'un des récents bulletins de FO, Nadine Hourmant détaillait:
« Les volailles vivantes arrivent dans des conteneurs vidés automatiquement sur des tapis. Les accrocheurs les placent sur des potences où elles reçoivent une décharge électrique. Ensuite, viennent le saignage, le déplumage puis l’éviscération, des opérations semi-automatiques. Ce travail est très dur. Les opérateurs occupent une position “assise- debout” mais ont la plupart du temps les bras levés pour procéder à l’accrochage. La pénibilité est telle que cette tâche est le plus souvent effectuée par des intérimaires. Alors que l’ancienneté moyenne dans l’entreprise est de vingt ans, les accrocheurs, eux, restent environ un an puis trouvent un autre emploi.»
L'entreprise a été placée en redressement judiciaire au début du mois dernier.
Le ministre de l'agriculture Stéphane Le Foll s'en est ému. Outre les 3.400 salariés, quelque 800 aviculteurs sont également menacés. Le tribunal de commerce de Quimper doit donner sa décision - poursuite ou liquidation - ce mercredi 1er août. Le 26 juillet dernier, dans un entretien à Ouest-France, le tout nouveau directeur général du groupe évoquait une reprise par ... la banque Barclays. Charles Doux, le PDG envisagerait de céder l'entreprise à sa principale banque: « Nous avons réuni 25 millions d'euros. La banque Barclays apportera 10 millions d'euros ; Al Munajem, un client saoudien 12 millions d'euros et Factor 3 millions d'euros. Dans un second temps, la banque Barclays est prête à convertir sa créance (140 millions d'euros) en capital. Elle prendrait ainsi le contrôle du groupe Doux. La famille Doux resterait actionnaire minoritaire. »
Une dernière précision: en 15 ans, le groupe a perçu environ un milliard d'euros de subventions publiques.
(*) article payant

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