Magazine Culture

L’Onde Cosmique

Publié le 31 juillet 2012 par Legraoully @LeGraoullyOff

L’Onde Cosmique

J’étais assis sur le sable et j’attendais tranquillement de la visite, en regardant rouler les vagues. Il était rare que j’arrive à être seul, et je profitais pleinement de l’aubaine. Depuis quelques années, j’étais le gourou d’une secte nommée « l’Onde Cosmique », et les affaires ne marchaient plutôt pas mal. J’avais habilement élaboré, à la fondation de mon groupe, un syncrétisme à base de védas tantriques, de psychédélisme, de darwinisme, d’écologie et de chamanisme new wave. Contrairement à mes collègues des religions officielles ou non, je ne visais pas prioritairement les simples d’esprit mais les élites économiques et culturelles de la société. L’Histoire regorge de prophètes laïcs, et il en manquait encore un à notre époque qui se prétend nihiliste mais qui n’attendait que ça. J’ai donc courageusement plongé dans la brèche.

Ma connaissance approfondie de la proxémie, mon cursus en anthropologie et mon charisme tout marmoréen avaient fait le reste. S’il vous prend un jour de monter votre propre boutique, gardez à l’esprit ce conseil d’expert: tenez-vous à égale distance du monde immédiat et du Cosmos. Ca ne veut pas dire grand-chose, le tout est de le dire comme un prophète. Et je l’interprétais si bien qu’au bout de quelques mois, j’avais réuni quelques centaines d’adeptes. Je profitais adroitement de « l’ultra-moderne solitude » et de l’apolitisme ambient pour emménager dans l’esprit des laissés pour compte du marché capitaliste et pour refaire la décoration à mon goût. Quand je parle de laissés pour compte, je ne parle pas des innombrables foyers qui triment pour gagner leur modeste pitance, mais de ceux qui venaient juste de comprendre que tout plein de thunes qu’on soit, on ne peut pas acheter l’amour de son prochain.

La doctrine de l’Onde Cosmique était relativement simple: le vieux monde est  fatigué d’être exploité par l’Homme. Comme la moindre action que l’on commet a une conséquence dans le Cosmos, il faut en finir avec l’exploitation, à commencer par la première d’entre elles: la naissance. Mes chers amis, en vérité je vous le dis, pour paraphraser mon plus illustre collègue en sectarisme, cessons de procréer, profitons de la vie, et laissons l’évolution qui est infiniment sage se débrouiller pour remplacer notre pitoyable espèce humaine par quelque chose de mieux, puisqu’il est avéré que nous menons le monde à sa ruine. Soyons l’ultime génération, celle qui rachètera la connerie de celles qui nous ont précédées pendant des milliers d’années. Le préalable à l’entrée dans la secte était donc la stérilisation. Les candidats au suicide étaient également révérés, à condition qu’ils utilisent une méthode sans danger pour la couche d’ozone, et si possible permettant une décomposition rapide et profitable à la faune souterraine, afin que leurs corps accèdent rapidement du statut de tueur fou à celui de glorieux humus. A part l’exigence de stérilité, la licence la plus totale était permise, à partir du moment où personne n’en souffrait.

Au bout de quelques mois, j’avais déjà réuni plusieurs centaines d’adeptes de par le monde, et très vite j’ai pu me porter acquéreur d’une île dans le Pacifique, celle-là même d’où j’écris actuellement. La parole cosmique se répandait sur le mode ondulatoire et devenait matière, entendez comme la lumière, parce qu’un peu d’astrophysique ne nuit pas à la cause. Comme ma stratégie apostolique visait essentiellement les cadres sups, j’ai rapidement été invité à donner conférences et séminaires dans les plus grandes entreprises. J’avais des disciples fidèles dans toutes les capitales, et j’ai même inauguré une année à la tribune de l’ONU où l’on me donna du « cher Guide » pour célébrer le passage de mon organisation de « secte » à « culte reconnu par la charte des Nations Unies ». Le tout sans persécution, sans effluve de sang, et sans conversion forcée. Jésus, Mahommet, Bouddha et tous leurs copains devaient tirer une tronche comme un Picasso. Petite entorse à l’honnêteté, mon petit eden insulaire était aussi un paradis fiscal,ce qui me garantissait une certaine sécurité politique et financière.

Alors que je contemplais des crabes à tâches rouges coloniser ma plage sans souci de ces anecdotes théologiques, l’une des sirènes qui s’était proposé de se dévouer à mon service personnel en attendant que le dernier humain rende l’âme , me sortit de mes rêveries.

« Cher Guide, vos visiteurs sont arrivés »

-Faites entrer, mon petit, lui dis-je en lui tapotant les fesses au passage. Et veuillez rassembler tous les disciples dans le Centre de Non-Procréation, je m’occupe de mes invités et je viens donner l’allocution quotidienne.

La naïade s’esquiva, et mes deux visiteurs s’avancèrent.

- Comment allez-vous, chers amis? Avez-vous fait un bon voyage?

- Nous allons très bien, merci. Nous avons d’excellentes nouvelles.Vous faites un excellent travail. La population de votre planète est en nette baisse depuis cinq ans, et le mouvement semble irréversible. Les conversions vont bon train, l’Eglise catholique n’a pas réussi à élire un pape depuis trois ans. Nous avons également fini de décoder votre code génétique et nous avons trouvé le moyen de rendre les récalcitrants définitivement stériles. Vous trouverez les protocoles de répansion du gène modifié dans les documents que voici.

L’assistante de mon interlocuteur me tendit une clé USB que je glissai dans ma poche.

- Voilà qui est encourageant! J’y pense juste, désirez-vous un cocktail? J’ai moi aussi une question à vous poser avant d’aller plus loin.

- Nous nous sommes fait des mojitos dans le vaisseau sur la route. La plus belle invention de votre misérable espèce. Nous vous écoutons: quel est l’objet de votre requête?

- Comme vous le savez, il ne devrait pas y avoir plus de trois générations à venir sur Terre, or je préfère les femmes jeunes pour tout ce qui touche à l’aspect récréatif de la chose, et je me demandais comment nous ferons quand on arrivera au bout de la dernière génération? Parce que vous savez, moi les octogénaires…

Mon employeur fronça le sourcil.

-Notre contrat est très clair. Nous assurons la prolongation de votre vie et le rajeunissement constant de vos cellules jusqu’à l’extinction de l’espèce. Nous ne pouvons courir aucun risque: il est hors de question qu’il puisse rester deux humains mâle et femelle de la même espèce sur cette planète. Les processus de stérilisation ne sont pas totalement sûrs, et nous ignorons si l’évolution ne trouvera pas une parade à votre raréfaction. Votre espèce doit disparaître. L’Onde Cosmique de la dégradation de votre planète ne doit pas de propager. Assistante, engagez le renouvellement cellulaire.

Quarante ans maintenant que ça dure. J’ai toujours l’air d’avoir trente ans alors que j’en ai plus du double, mais maintenant que je sens la fin de ma mission arriver, je me dis que j’aurais peut-être dû faire rockstar plutôt que gourou. Néanmoins, mes cellules toutes neuves me filent une gaule du tonnerre de l’Ancien Dieu, celui qui n’avait pas réussi à faire le boulot comme moi. Je bois un grand verre de caïpirinha, et je m’avance vers la tribune. Des milliers d’yeux me contemplent, et des milliers de gosiers spirituels secs attendent de boire mes paroles. Pendant encore au moins quatre-vingt dix ans.

« Mes biens chers amis, j’ai de grandes nouvelles: nous touchons au but…………………………………………….. »

Share

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Legraoully 29555 partages Voir son profil
Voir son blog