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La France précaire face à l'hôpital moderne

Publié le 02 août 2012 par Juan
La France précaire face à l'hôpital moderne C'est un rapport, encore un, qui aurait dû mettre le feu aux poudres. Faut-il que la France politique soit en vacances... Deux sénateurs, un de gauche, l'autre de droite, ont livré leur analyse de la tarification à l'acte des prestations hospitalières. Un système mis en place progressivement depuis 2004 et qui devait s'étendre à la quasi-totalité du système, jusqu'aux établissements  psychiatriques. 
Kessako ?
La tarification à l’activité (T2A) dans les établissements de santé comme mode de financement de la médecine, de la chirurgie et de l’obstétrique a été mise en place en 2004 par le gouvernement Raffarin: « Jusqu’en 1984, les établissements publics et privés à but non lucratif étaient financés par des prix de journée ». A partir de cette date (gouvernement Fabius), les prix de journées ont été remplacés par une dotation globale. Les deux sénateurs évoquent rapidement les inconvénients de la méthode, « immobilisme, absence d’adaptation des activités hospitalières aux besoins de santé sur le territoire

Les objectifs de la T2A sont rappelés: « transparence, équité et efficience ».
Elle est aujourd'hui largement en place: les financements à base de tarifs (GHS et suppléments pour certains services) représentent 75 % de l’activité médecine, chirurgie ou obstétrique, c’est-à-dire 41,5 milliards sur 55,3 en 2012. Quelque  2.751 structures sont concernées. Le secteur est très concentré: deux tiers des prestations tarifées à l'acte sont réalisées dans moins de 20% des établissements (18%).
Une cinquantaine d'établissements concentrent encore 80% du demi-milliard d'euros de déficit des hôpitaux publics (données 2010), « pour l’essentiel des centres hospitaliers universitaires». Et les cliniques privées, « dont 28 % étaient en déficit en 2010, font face à une baisse tendancielle de rentabilité économique.»
Le rapport qui tue ?
Le 25 juillet  dernier, deux sénateurs, Jacky Le Menn (socialiste)et Alain Milon (UMP), ont communiqué leur rapport sur la tarification hospitalière, au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales (MECSS).
La tarification à l'acte était la grand idée libérale de ces dernières années, endossée par une partie de la gauche, pour clarifier la gestion des hôpitaux: faire payer les patients en fonction des actes, et doter les hôpitaux de subventions calculées en fonction des actes ainsi facturés.  
Les prestations hospitalière sont pourtant l'une des incarnations les plus évidentes, les plus lourdes de solidarité du pays. L'hôpital est devenu le refuge de celles et ceux qui n'ont plus les moyens de se soigner ailleurs, à cause des déremboursements et franchises médicales. La Sécurité sociale coûterait trop cher à l'Etat, c'est-à-dire à la solidarité nationale.
« En France, on naît le plus souvent à l’hôpital ; plus tard, on y reçoit des soins et, la plupart du temps, on y passe aussi les derniers instants de sa vie. »
Ce rapport sénatorial sur l'une des mesures phares du prétendu redressement entrepris était donc fort attendu. Il sort dans l'indifférence générale, Jeux Olympiques obligent.
Voici quelques-unes de ces surprises.
1. Les auteurs sont prudents, pas question de dénoncer la T2A: « la MECSS ne remet pas en cause le principe de la T2A dont les atouts sont indéniables mais elle préconise une meilleure prise en compte de certaines activités médicales, des missions d’intérêt général, ainsi que des inégalités territoriales de santé et des coûts fixes qu’engendre la présence hospitalière dans une zone isolée ou peu dense ». A lire le rapport, on est cependant stupéfait par certains constats.
2. La MECSS est si emballée par la T2A qu'elle recommande, in fine, de ne pas étendre le système aux établissements de soins de suite et de réadaptation (SSR) comme prévu le 1er janvier 2013, ni aux hôpitaux locaux le 1er mars 2013 et encore moins aux soins psychiatriques.
3. La comptabilité analytique est insuffisante. C'est un comble pour une activité quasi-intégralement passée sous les fourches caudines de la facturation à l'acte ! La MECS critique notamment le regroupement le « processus statistique complexe » qui consiste à regrouper les séjours hospitaliers jugés homogènes en groupes homogènes de malades (GHM) pour mieux calculer leur coût moyen qui servira ensuite de base à la tarification établie par le ministère de la Santé. Les auteurs critiquent également « les systèmes d’information » «aujourd’hui très hétérogènes.»
4. « La T2A est peu adaptée à certaines activités ». C'est dit, c'est clair. Les auteurs du rapport précisent leur pensée: « celles soumises à des normes réglementaires fixant des seuils d’encadrement des patients ; celles qui sont difficilement « standardisables » (par exemple, la réanimation) ; celles réalisées dans des zones peu denses ou isolées mais indispensables à la couverture des besoins sanitaires.»
5. « La T2A valorise mieux les actes techniques et est davantage adaptée à la chirurgie et à l’obstétrique qu’à la médecine». Vous avez bien lu... La T2A est mal adaptée à la médecine. La MECSS émet le souhait (idéaliste) de « financer plus justement le temps médical passé » que les actes eux-mêmes. Elle s'excuse presque: « La tarification à l'activité (...) n'a pas vocation à améliorer ou à garantir la qualité des soins. » Nous voilà rassurés ! Cette tarification « présente le risque que la recherche d'un meilleur rapport coûts-tarifs s'effectue au détriment de la qualité des soins. » Les auteurs évoquent le risque de « sélection des malades et de réorientation vers les activités programmables et les plus 'rentables' ». Et aussi incroyable que cela puisse paraître, « aucune étude ne semble avoirété menée en France sur le lien entre qualité etT2A ». La T2A est « LA » réforme majeure du secteur hospitalier depuis près d'une décennie sur la santé publique, et aucune étude n'a été menée pour en évaluer la conséquence sur la qualité des soins !  Les auteurs se rabattent donc sur des études étrangères. Aux Etats-Unis, une trentaine d'années d'application de la tarification à l'acte n'aurait pas « d'effet apparent sur la qualité des prises en charge telles que l'on peut les mesurer par les taux de mortalité à trente jours ou à six mois, ou encore par les taux de réadmission ». Les Etats-Unis... un grand modèle de santé publique !
En conclusion, les deux sénateurs semblent désemparés: « l'absence de conclusions claires des études internationales et des informations disponibles au niveau français ne permet en rien d'écarter les risques de réduction abusive de certaines durées de séjour ou de sélection des patients. Plusieurs interlocuteurs de la Mecss ont souligné la faiblesse des indicateurs de qualité et de sécurité dans le secteur hospitalier français, si bien qu'il est difficile de détecter de tels effets pervers.»
6. La tarification prétendument rationnelle des hôpitaux n'est pas la même partout suivant le statut des établissements: « Soumis historiquement à des modes de financement différents, les secteurs public et privé à but non lucratif, d’un côté, et privé à but lucratif, de l’autre, se sont vu appliquer des grilles tarifaires distinctes au moment du passage à la T2A. ». Chez certains, elle recouvre les honoraires des médecins, chez d'autres ces derniers sont facturés à part au patient dans les cliniques.« De fait, comparer les tarifs nécessite de complexes retraitements et agrégats statistiques qui rendent le processus artificiel.» Face à cette complexité jugée immense par les deux rapporteurs, ces derniers abdiquent: « Constatant que les clivages sont devenus, sans raison, quasiment idéologiques, la MECSS recommande de suspendre la convergence tarifaire. »
7. Les tarifs sont aujourd'hui élaborés pour financer une quote-part des investissements immobiliers des hôpitaux ! Fallait-il attendre 8 ans pour cette découverte ? Sans surprise, la MECSS recommande de s’orienter « vers un financement qui ne soit pas directement lié à l’activité, en privilégiant une logique de contrat de projet pluriannuel et en faisant appel à des ressources du type 'Grand emprunt' ». Sinon, certains tarifs devraient être gonflés aux détriments des patients pour financer les soins... Or la forte progression des investissements immobiliers, à l'origine de l'envolée de leur endettement, est directement liée aux plans Hôpital 2007 (Raffarin) et Hôpital 2012 (Sarkozy): « Les dépenses deconstruction ont représenté plus des deux tiers del'effort d'investissement global. »
8. Malgré cette gestion prétendument rationnelle, l'endettement des hôpitaux a explosé. La MECSS rappelle en effet que le plan Hôpital 2007 a conduit « au doublement des investissements des établissements publics entre 2002 et 2010, année où ils ont atteint 6,4 milliards d’euros ». Faut-il s'en réjouir ? Pas sûr : « De fortes lacunes sont apparues en termes de sélection et d’opportunité des projets et la dette publique hospitalière a doublé depuis 2005 (24 milliards d’euros en 2010) ».
9. La MECSS critique la fixation des tarifs sur la base des Objectifs nationaux des dépenses d'Assurance maladie (Ondam). Ces derniers sont établis en fonction d'objectifs politiques (réduire in fine la progression des coûts de l'assurance maladie), alors que l'activité réelle n'a pas grand chose à voir avec cela. Conclusion, « ce mode de régulation macro-économique des dépenses aboutit à une couverture de plus en plus difficile des coûts par les tarifs. » Les deux sénateurs pointent une absurdité: « Un établissement dont l’activité croît, mais moins vite que la prévision nationale, voit ses recettes stagner ou diminuer, ce qui est très démotivant pour les équipes. »
Voeu pieux ? La MECSS aimerait que la régulation des dépenses soit adaptée à « l'évolution propre de chaque établissement. » Quitte à jouer à l'entreprise
10. « La T2A peut faire obstacle aux coopérations car les établissements n’ont pas intérêt à partager l’activité. » Un comble ! La T2A était censée incarner la modernisation de nos hôpitaux ! En fait, elle incite les établissements à se faire concurrence.
11. La T2A, c'est aussi un flicage mal vécu: «  les contrôles effectués par l’assurance maladie sont aujourd’hui mal vécus par les personnels hospitaliers qui les ressentent comme effectués systématiquement à charge et à la limite de la remise en cause des décisions thérapeutiques.»
12. La T2A ne garantit pas « l'efficacité » budgétaire stricto-sensu: « selon une enquête récente de la Fédération hospitalière de France réalisée auprès de médecins libéraux et hospitaliers, 28 % des actes médicaux ne seraient pas ' pleinement justifiés' ».


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