Voici donc le 3ème et dernier opus de mes tribulations en stage de terrain. Après, les prairies chatoyantes de Chamarande, les frondaisons mystérieuses d’Avon, la destination de mon dernier stage allait être l’indomptable Lioran, en Auvergne.
Ce stage a représenté pour moi une étape dans la surenchère de défis, et ce dans tous les domaines: au lieu d’1 ou 2 jours, je passais maintenant à un stage d’une semaine. Fini le groupe de 9 étudiants de M1, on passait à 33 étudiants de L3. Et puis pour couronner le tout, on rajoutait la perspective effrayante de me retrouver nez à langue bifide avec un serpent… (car il s’agit d’un des organismes à identifier sur le terrain et que oui, tout comme mon idole Indiana Jones, je suis carrément ophiophobe…)
Bref, c’est avec un soupçon de stress que je me suis préparé à participer à ce stage d'écologie terrestre et volcanisme où les étudiants de L3 Vie et Terre allaient recevoir des enseignements dans leurs trois matières principales: la géologie, la botanique et la zoologie.
La toute première journée du séjour, remplie essentiellement par le trajet de Paris au Lioran, est intégralement dédiée à la géologie (et autant vous le dire, la caillasse, ça me dépasse…). Nous marquons plusieurs arrêts et visitons successivement la chaîne des Puys, la narse d’Espinasse et la coulée du lac d’Aydat. Etant en retrait, c’est l’occasion pour moi de me familiariser avec les étudiants, l’équipe enseignante ainsi qu’avec la production artisanale locale…
…. mais aussi de profiter des paysages…
… et de mitrailler la faune locale avec mon appareil photo!
Mais je mitraille tant que très vite les étudiants viennent me chercher pour que je prenne en photo des animaux qu’ils rencontrent, comme ces deux lézards verts:
Et bien entendu, ils me posent des questions en pensant que je suis un fin herpétologue… Pour contextualiser, j’ai dû voir une dizaine de lézards dans ma vie… Mais bon, on va improviser, y’a pas de lézard!
_ Monsieur, pourquoi ils se battent?
Je regarde les 2 lézards vite fait, remarque un dimorphisme prononcé, surtout au niveau de la coloration de la gorge.
_ Non, je ne pense pas qu’ils se battent. C’est à mon avis un couple en parade nuptiale.
_ Mais m’sieur, c’est lequel le mâle alors?
_ Probablement celui avec la gorge bleue. Ce sont généralement les mâles qui portent les couleurs les plus vives.
[Vous remarquerez l’emploi prudent des termes “peut-être”, “à mon avis” “probablement” et “généralement”… une manière d’indiquer que mon savoir est tout relatif sur la question]
Bon pour le coup, il s’avère que j’ai réalisé un combo parfait. Le soir, un enseignant plus expérimenté m’apprend que j’ai bien interprété les indices à ma disposition. D’ailleurs les morsures de la queue qu’infligent les mâles aux femelles sont utilisées par les herpétologues pour déterminer si une femelle a copulé ou non. (Vous pensez que je chope la grosse tête? N’ayez craintes, les grosses gamelles bien humiliantes arrivent…)
Fort de ce premier succès, je me dis qu’il faut que je ne néglige aucune source d’information pour réaliser ma formation sur le tas. Alors quand on passe par un office du tourisme et que je découvre entre les cartes postales auvergnates…
… des posters de la faune locale, j’essaie de mémoriser les espèces marquantes: marmotte, cerf, sanglier, chevreuil, chamois… et tiens, tout une série d’oiseaux: Grand corbeau, Grand duc d’Europe, Pic noir… oh puis celui-là a l’air pas commode comme rapace:
Il s’agit du Milan Royal (Milvus milvus) et je retiens qu’en gros qu’en Auvergne, grand rapace = Milan royal. C’est bon, je me sens paré.
Après une nuit passée dans une chambre à 4 lits superposés pour moi tout seul (la bataille de polochon contre moi-même fut courte), j’ai passé la matinée à me préparer mentalement à la première sortie zoologique: la faune vagile de la Tourbière de Laqueuille (dit comme ça on dirait trop un titre de film de série Z…). En fait, le but de la sortie est assez simple: distribuer des flacons aux étudiants et leur demander de réaliser des prélèvements de la faune (essentiellement des arthropodes… les quelques moutons de la prairie ne rentrant pas dans les flacons…)
C’est au début de cette sortie que j’ai commencé mon festival de gaffes. Tout a commencé avec un grand cri que j’ai poussé en enjambant la barrière qui mène à la tourbière, cri que j’ai immédiatement accompagné du conseil suivant:
_ Surtout ne touchez pas à la barrière… elle est fortement électrifiée!
(rappelez-vous, je viens de la ville…)
Si j’avais enjambé la barrière électrifiée, c’était pour me mettre en hauteur afin de prendre ce cliché d’un fantastique rapace:
Fantastique rapace? Je profite de cette occasion inespérée pour tenter de briller auprès des quelques étudiants alentours en leur annonçant qu’il s’agit du majestueux Milan Royal!!! (en roulant bien le ‘r’) Manque de bol, le soir venu, et après expertise du cliché, j’ai dû retrouver chacun de ces étudiants pour corriger le tir et leur annoncer qu’il s’agissait en fait… d’une buse variable (Buteo buteo). Le Milan royal présente en effet une silhouette particulièrement reconnaissable à la forme échancrée en “V'” que prend sa queue… La leçon est amèrement acquise pour mon compte. Ah quelle déception dans leurs yeux!
Mais bon, malgré ces quelques échecs, la journée s’est bien passée. Le soir, on a rapatrié tous nos échantillons pour les installer au gite dans notre salle de TP. Certains de ces échantillons sont d’ailleurs malencontreusement relâchés dans la pièce, comme ce sublime Grand collier argenté (Clossiana euphrosyne):
C’est devenu une sorte de mascotte, papillonnant dans son coin, suivant nos mouvements de ses milliers de regards! Il est charmant d’ailleurs de voir certains élèves prendre en affection un papillon!
Après une pause géologique, le gros de la partie enseignement zoologique allait pouvoir commencer: Hydrobiologie et Faune du sol.
Divisé en 2 groupes, chaque lot d’étudiants doit réaliser une collecte d’animaux aquatiques dans la rivière voisine, l’Alagnon, puis ramener ses échantillons dans la salle de TP pour les identifier, le tout afin de déterminer la qualité du cours d’eau en fonction de la diversité biologique observée. C’est ce qu’on appelle mesurer un Indice Biologique Global Normalisé (IBGN). Concrètement, comment ça se déroule? Et bien tout d’abord, on conduit les étudiants patauger dans la rivière, avec bottes, pinces et flacons remplis d’alcool (pour conserver immédiatement les échantillons récoltés). Ca donne ça:
A vrai dire, la méthode rigoureuse aurait voulu qu’on utilise 8 filets Surber disposés stratégiquement dans un tronçon de rivière…
Mais c’est quand même plus rigolo de jouer à Mimi cracra non?
A peine les étudiants ont-ils commencé à apprécier les joies de la collecte qu’il faut ranger les pinces et revenir au gite pour l’identification:
Dans les effluves d’alcool, les étudiants doivent trier leurs échantillons et les identifier à l’aide de loupes binoculaires et de clés d’identification. Quand les étudiants jettent un premier coup d’œil à ce qu’ils ont récolté, on sent un assez compréhensible vent d’angoisse les agiter car voici ce qu’ils peuvent découvrir:
Et si distinguer une buse variable d’un milan royal vous semblait déjà difficile, préparez vous à la baffe qu’est l’identification des animaux d’eau douce. Voici par exemple une clé pour distinguer les ordres auxquels appartiennent les larves d’insectes:
On fait plus trop son malin, là! Miraculeusement pour moi, la rédaction d’articles du blog m’a parfois aidé à reconnaitre grosso modo quelques bestioles. C’est le cas des larves de trichoptères que j’avais évoquées dans mon article sur l’art d’Hubert Duprat. En effet, les larves de trichoptères pullulent dans les eaux douces, et sont particulièrement reconnaissables aux fourreaux qu’elles construisent pour se protéger:
J’aime particulièrement les 2 types de fourreaux suivants: celui de Limnephilus est souvent composé de coquilles d’escargots…
… et celui d’Helicopsyche qui prend la forme d’un escargot!
Certes, c’est très joli, mais on en oublierait presque leurs artistiques habitantes! Et quand à l’aide de pinces et délicates manipulations, on les extirpe de leurs logis, voici à quoi elles ressemblent le plus souvent:
Et c’est là que leur identification devient épique… Pour exemple édifiant on peut prendre la première étape: déterminer si le métanotum est totalement/partiellement sclérifié ou membraneux...
Ah ça on la regrette la forme de la queue de notre milan royal! Et bien sûr, ça ce n’est que pour les trichoptères, un ordre d’insectes parmi tant d’autres qui peuplent nos cours d’eaux: on trouvera ainsi des larves de diptères, de plécoptères, d’odonates, d’éphéméroptères, j’en passe et des plus zarbes… Et pour chaque ordre, il faut éplucher les clés de détermination, pour patiemment, caractère après caractère, identifier le bestiau imbibé d’alcool qu’on observe à la loupe binoculaire.
Cependant, au bout d’une heure ou deux, quelque chose de magique survient. Quand on s’approche d’un étudiant, on s’aperçoit qu’on est capable de parler une nouvelle langue:
_ Monsieur, je n’arrive pas à voir si le pygopode possède un ou deux articles!
_ Il en a deux, mais as-tu vérifié si le premier segment abdominal a des mamelons? Et note bien la taille des expansions pointues des bords antérieurs du pronotum!
Voilà ce qui a consisté en la grande révélation de ce dernier stage pour moi: ce n’est pas tant de la zoologie qu’on y apprend! C’est presque un stage linguistique en fait! On y apprend une langue dont le vocabulaire est à base de larves de mouches et dont la grammaire s’articule autour de caractères morphologiques. ¿Habla Entomologie?
Autre effet secondaire de la détermination excessive d’insectes: on en vient à apprécier les formes voire (j’ose le dire) la beauté de certaines structures qui parent quelques spécimens. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre un étudiant s’exclamer:
_ Oh! Qu’elles sont belles ces lamelles branchiales!
Et j’ai pour mon compte une affection toute particulière pour les branchies duveteuses des trichoptères du groupe des Rhyacophilidae
ou encore les colliers de branchies de Plécoptères Nemouridae, style tubuleux chez les Protonemura:
…style en touffe des Amphinemura:
N’ayez craintes cependant: ces symptômes s’effacent rapidement après l’humiliation engendrée par l’exhibition d’un tel émoi face à des gens “normaux”… (bizarrement, je n’ai pas le droit de parler de plécoptères à table à la maison…)
Je vous disais plus haut qu’il était parfois utile d’écrire un blog pour avoir des rudiments de savoirs à employer pour les enseignements. Et bien j’ai appris à mes dépens qu’il s’agit d’un atout à double tranchant… Avec la pléthore d’articles que j’ai écrit sur les convergences évolutives, je pensais être à l’abri d’une identification bâclée basée sur une ressemblance superficielle d’un organisme avec un autre. Un des exemples les plus frappants sur lequel j’ai écrit et que je soupçonnais être utile d’avoir en tête pendant le stage, est la ressemblance superficielle frappante entre un cloporte et un Gloméris:
Alors quand une étudiante m’appelle pour identifier le bestiau suivant:
Oh que je suis fier de pouvoir étaler ma science! Je venais juste de réviser ce qui permettait de différencier le cloporte qui est un crustacé terrestre du gloméris qui est un diplopode terrestre (des segments plus courts sur la partie postérieure, 7 paires de pattes articulées avec 1 paire de pattes par segment pour le cloporte alors qu’il y a de 17 à 19 paires de pattes chez les Gloméris avec pour la plupart des segments 2 paires de pattes attachées).
Du coup je commence méthodiquement en demandant de compter le nombre de pattes. L’étudiante me répond 6. Là, 6 dans ma tête, ça m’évoque un insecte (qui font partie du groupe des hexapodes). Mais au lieu de prendre en compte cette information cruciale, qu’est ce que je fais? Je lui dit que c’est certainement un cloporte qui a probablement perdu des pattes pendant la collecte et que l’on va se baser sur d’autres caractères pour procéder à son identification (Aïe, j’ai honte. Rien que d’écrire ça, je fonds d’humiliation…).
Bref, ne jamais surestimer ses connaissances! Ne jamais ignorer les observations! D’ailleurs en utilisant les clés de détermination avec d’autres critères je m’aperçois bien vite qu’on est dans une impasse. J’appelle à l’aide les autres enseignants qui après quelques minutes de (rigoureuse) détermination, concluent qu’il s’agit d’une larve de coléoptère du genre Eubria et qui, à l'âge adulte, ressemble à ça:
Un insecte indéniablement, ce qui explique les 6 pattes correctement comptées par l’étudiante. Et puis si j’avais été réellement attentif, j’aurais remarqué que gloméris et cloportes sont essentiellement terrestres et n’ont rien à faire dans l’eau! Cette ultime échec est particulièrement efficace pour me remettre dans le droit chemin de la rigueur scientifique. Et puis l’étudiante en question n’hésite pas à me le remémorer pendant tout le reste du stage puisqu’à chaque nouvel échantillon qu’elle doit identifier, que ce soit une araignée, une limace ou une mouche, elle me demande avant tout s’il s’agit d’un cloporte…
Echecs mis à part, tout le reste du stage est agréable, riche en découvertes et nouveautés et une expérience d’enseignement inoubliable, achevant parfaitement ma série de stages sur le terrain. Pas étonnant que je sois impatient de la renouveler mais en attendant, pour éviter les futurs, bourdes, il va falloir bucher!
Liens:
Détermination des Invertébrés d’eau douce
Aramel
Reférences:
Invertébrés d'eau douce : systématique, biologie, écologie. Tachet, Richoux, Bournaud et Usseglio-Polatera. 2000. CNRS Edition
Introduction à l'étude des macroinvertébrés des eaux douces. Tachet, Bournaud et Richoux. 1994. Ed Université Lyon I.