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Les limites de la diplomatie coercitive avec l’Iran

Publié le 04 août 2012 par Copeau @Contrepoints

L’histoire montre que les sanctions inflexibles conduisent rarement aux résultats souhaités. Si les sanctions actuelles échouent à modifier le comportement de l’Iran ou à conduire son peuple à la révolte, alors l’Occident devrait résister à l’envie d’en imposer de nouvelles, et devrait lever les actuelles.

Par Malou Innocent, depuis les États-Unis.
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.

Les limites de la diplomatie coercitive avec l’Iran

Proposer l’option de la diplomatie avec l’Iran ne revient pas à faire l’apologie des ayatollahs. Le fait que l’Iran commet des actes scandaleux n’est pas à être discuté. Ce qui peut être discuté, ce sont les bénéfices de la souplesse. Des sanctions efficaces doivent être calibrées avec soin, et réceptives à la coopération. Les États-Unis, en particulier, devraient être disposés à revenir sur certaines sanctions, en échange de concessions iraniennes ne portant pas sur la renonciation aux programmes d’enrichissement. Cela est plus facile à dire qu’à faire, étant donné les pressions actuelles autour du Capitole liées aux élections et à la campagne de Mitt Romney. En effet, Washington ayant été réticent à changer d’avis, que l’Iran souffre ou non des sanctions est donc devenu hors de propos.

Après des années à avoir eu à subir les « bâtons » (les sanctions, Stuxnet, les menaces d’attaques militaires, et les attaques contre ses scientifiques) - et les «carottes» (ouvertures pacifiques, gestes de bonne volonté, et quatre messages de la part du président Obama souhaitant la nouvelle année au peuple Iranien), Téhéran a cherché un soulagement partiel des sanctions en échange du respect du Traité de Non Prolifération Nucléaire (TNP). L’Iran a également proposé d’exporter son uranium enrichi à 20%, et de suspendre l’enrichissement à ce niveau, en échange d’isotopes médicaux occidentaux et de modifications des sanctions. Ces accords ont échoué.

Aujourd’hui, l’Occident demande que l’Iran cesse le programme d’enrichissement, ferme Fordow, et expédie son stock à 20%, et ce, en dépit du TNP, dont l’Iran est signataire, et qui permet des enrichissements pacifiques. Par ailleurs, comme le remarquent David Elliot du National Iranian American Council et Suzanne Malonney de la Brookings Institution, le Congrès américain a fait passer des sanctions qui ne sont pas conditionnelles au comportement iranien.

Exiger une capitulation totale de l’Iran sans allégement des sanctions relève d’une position maximaliste qui n’a aucune chance de succès. En extrapolant à partir du cas de démantèlement nucléaire libyen, Bruce Jentleson, Professeur à l’Université de Duke, et son doctorant Christopher Whytock, trouvent que l’un des aspects les plus décisifs de la diplomatie coercitive porte sur le fait  qu’il y a des bénéfices évidents à coopérer, et que les bénéfices se réalisent lorsque l’État contraint coopère [1]. De la même manière, Jonathan B. Schwartz, du département d’État, soutient, en sa qualité de conseiller juridique, que la réciprocité est également décisive en ce qui concerne un régime de sanctions [2].

Chaim Braun et Christopher F. Chyba, du Centre pour la Coopération et la Sécurité Internationales, soutiennent que la manipulation de sanctions économiques et qu’une meilleure prise en compte des menaces à la sécurité régionale sont capitales, dans la mesure où des incitations doivent accompagner les désincitations [3]. Kurt M. Campbell, Robert J. Einhorn et Mitchell B. Reiss, experts sur les questions de sécurité internationale, expliquent, à propos de l’Iran et de la Corée du Nord, que « les conduire à abandonner réellement leurs armes nucléaires à ce stade ne va pas seulement nécessiter des menaces aux conséquences désastreuses s’ils persistent, mais également générer l’espoir d’un avenir plus radieux s’ils changent d’avis [4].

Les éléments empiriques suggèrent que des sanctions efficaces à l’égard de l’Iran vont entraîner des difficultés non seulement parce que cela concerne l’Iran, mais également en raison de l’approche intransigeante adoptée par les États qui imposent les sanctions. Des discussions sont en cours. Néanmoins, les rendements décroissants associés à l’état de guerre et à l’ostracisme international pourraient nous conduire dangereusement vers des conflits.

Pour paraphraser un vieux dicton, si les biens ne franchissent pas les océans, les bombes les franchiront. Si les restrictions commerciales ont peu d’effet, alors les échecs vont galvaniser les « faucons », qui cherchent à en découdre avec l’armée iranienne. Bien que l’Iran n’ait pas encore décidé de construire, de tester, et de déployer des armes nucléaires, l’État iranien a appris les moyens techniques et industriels nécessaires pour les développer. La connaissance qu’a Téhéran du cycle du combustible nucléaire est l’une des raisons principales pour laquelle une frappe militaire serait inutile ; une attaque non seulement conduirait l’Iran à reconstruire son programme nucléaire, mais également prouverait au monde entier qu’elle a de bonnes raisons de le faire.

Nous approchons à grands pas des limites de la diplomatie coercitive. Abandonner les sanctions rigides et repenser les incitations nécessaires à la coopération seraient les premières étapes et la dernière chance pour une résolution pacifique de la situation.

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Un article du Cato Institute titré The Limits of Coercive Diplomacy with Iran et publié dan sFederation of American Scientists le 01.08.2012. Traduction : UnMondeLibre.

Notes :

  1. Bruce W. Jentleson et Christopher A. Whytock. "Who "Won" Libya?: The Force-Diplomacy Debate and its Implications for Theory and Policy," International Security 30, No. 3 (hiver, 2005): 47-86.
  2. Jonathan B. Schwartz, "Dealing with a 'Rogue State': The Libya Precedent," The American Journal of International Law, Vol. 101, No. 3 (Juillet 2007): 553-580.
  3. Chaim Braun and Christopher Chyba, "Proliferation Rings," International Security 29, No. 2 (automne 2004), 43-45.
  4. Kurt M. Campbell, Robert J. Einhorn, and Mitchell B. Reiss, The Nuclear Tipping Point, pp. 332.

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