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Eau

Publié le 11 août 2012 par Philippe Thomas

Poésie du samedi,51 (nouvelle série)

En bon aficionado des JO, j’ai vibré aux épreuves de natation et partagé la joie des Camille Muffat en or, argent et bronze, Yannick Agnel lecteur de Nabokov , Florent Manaudou, inattendu colosse à tête de poupon dans les bras de sa sœur Laure , Mickael Phelps collectionneur de médailles aux bras gigantesques et bien d’autres traceurs sur sentiers humides. Et voilà que le hasard me fait émerger un excellent recueil intitulé Les nageurs, subtilement brassé par un nommé Charles Dantzig, dont le blaze désigne à l’allemande le port polonais de Gdansk. Cézigue serait sûrement médaille d’or si des épreuves de natation poétique existaient, faudrait songer à inventer la discipline…

Inspiré sans doute par son patronyme hanséatique, Charles Dantzig trace allègrement son sillon à la surface d’un Océan avec un grand O où l’on croise des surfeurs autant que des nageurs. La piscine, même olympique, serait trop étroit terrain de jeu à lui qui se veut porte-parole de l’océan... Ouvrant le livre – couverture bleue – comme on fendrait l’onde d’un crawl délicat, je suis tombé en premier sur ceci :

« (…)Bouchons nos oreilles hérissées de vagues

effaçons la rumeur des milles horreurs humaines

les sportifs me parcourent ô leurs puérils exploits

les femmes tissent au bord en psalmodiant Lucrèce

suave mari magno a-t-il bien son canot (…)

là-haut le surfeur me voit ouvrir

la bouche et du fond de mon palais

surgir la vague de la langue (…) »

Bonne trouvaille, comme un trésor qui fait résonner le grand Lucrèce ! Du coup, j’ai plongé céans dans ce Grand O liquide, principe et fin de tout… et j’en ai d’abord ramené une Cène revisitée mais où l’essentiel est sauf, à savoir que le personnage principal  nage en chacun de nous … L’autre perle pourrait être une suite logique du repas, puisqu’il s’agit de la digestion d’un naufrage, où parmi les trésors au fond de l’eau, on trouve un Christ ostentatoire et un poisson dans l’orbite d’Apollon…

Cène du bord de mer

Un surfeur au corps sec pèle son buste

sa combinaison pend en pétales à ses hanches

et notant un nombre dans la paume de sa main

ce lis noir s’assied au bout de la table

où la robe pendant en cascade entre ses genoux donne à l’hôte

(c’est exprès) l’air d’un Jupiter plus jeune.

Douze alentours babillent en mangeant des gambas

Judas peux-tu me passer le vin rosé

et le surfeur étend le bras

dis Pierre c’est vrai que tu as pris un congre

et le soleil les douche à travers la charmille en roseau

Sunday in the Park with Georges ? J’ai préféré  Avenue Q

quelles moeurs ! dit le serveur les yeux au ciel

qui rapporte à la cuisine les plats dévastés

un flyer scintillant étoile le comptoir

« DJ Jehovah Beach Party – Come in Red Speedo ! »

venez en maillot rouge

ainsi vénère-t-on le vrai dieu dit

Jésus Celui de la tendresse et du plaisir le dieu sans nom le

Nageur en maillot rouge

il nage en chacun de nous

Digestion d’un naufrage

Gros O qui mange tout

qui contient tout

je digère l’averse du naufrage  des civilisations

un crucifix en couteau flanqué d’aigles crochus

horde plate anguleuse et méchante

garde le trésor de guerre et c’est guerre en effet

encensoirs-grenades, crosses pour battre, clefs car on ferme

et tout au fond droit comme un reproche

un Christ ostentatoire de sa douleur

attriste le sol où il s’est installé

dans une anfractuosité claire dort le trésor

grec, raison de la clarté ;

étuis d’émail bleus piqués d’yeux en rubis

qu’envient les poissons

colliers d’or plat d’où gouttent des larmes d’or

sœurs de mes bulles

diadème où pend un soleil charmant

suppléant la lumière interdite ici

un poisson de nacre observe un Apollon déhanché

le voici (coup de nageoire) de l’autre côté :

la moitié du visage est arrachée

« on n’arrive pas à défigurer le beau »,

dit le poisson fonçant dans l’orbite

Charles Dantzig (né à Tarbes le 7 octobre 1961), Les Nageurs, Grasset 2010.  Poète, essayiste, romancier, éditeur, Charles Dantzig est notamment l’auteur d’un Dictionnaire égoïste de la littérature française et d’une  Encyclopédie capricieuse du tout et du rien.


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