Quand il ne se passe rien, je ne me sens plus l’obligation de bloguer. Ce fut le cas ce week-end, à ma grande frustration toutefois, moi qui étais habitué à un rythme un peu plus stakhanoviste avec, autrefois, mes trois billets par jour, en période électorale… Je me voyais mal en effet sur ce coup là faire un billet entier à propos de l’histoire des blouses à l’hôpital – qui provoque tant de passions - pour expliquer que ce n’était pas un sujet véritablement majeur à mes yeux, ni très judicieux pour un blogueur politique… Et pourtant, j’ai beaucoup de considération pour la dignité des personnes concernées et leurs parties charnues.
Le traitement de l’information, de laquelle participe tout blogueur politique, est avant tout une question de hiérarchisation des priorités, me semble-t-il. Il se trouve que celle qui me fait sortir de mon silence et de mes gonds aujourd’hui est un peu plus grave pour notre pays et moins sujette à plaisanteries scabreuses, sans vouloir opposer une information à une autre. Vous allez comprendre. Il s’agit de la mort aujourd’hui de cet inconnu qui s’est immolé dans les locaux de la CAF de Mantes La Jolie. Elle cristallise selon moi toute l’impuissance de notre société à prendre en compte la dimension humaine de nos existences pour n’en retirer que la seule substance technocratique nécessitée par le traitement de masse qu’exige une logique de dossiers trop majoritairement à l’œuvre dans notre quotidien. Si l’homme en question avait présenté en temps et heure le document manquant, serait-il encore vivant ? La vie se réduirait-elle donc a cela, cette misérable contingence matérielle, ce misérable bout de papier, pour nos décideurs ?
Entendons nous bien, je n’entends pas pointer là le rôle des conseillers concernés, qui ont fait leur boulot et qui ont dû faire face à une situation que rien ne laissait prévoir. Il m’apparaît simplement que nous avons tous devant cette situation une responsabilité sociétale majeure. Je ne peux m’empêcher de penser en effet que cette tragédie a été rendue possible par un faisceau de raisons contextuelles. Tout d’abord, la médiatisation des cas d’immolation, qui ne peuvent avoir qu’un fort retentissement émotionnel auprès des personnes en grande souffrance psychique et qui, face à ce qu’ils considèrent probablement comme une violence sociale qui leur est faite, une injustice intolérable, répondent par une autre violence, faite à eux-mêmes cette fois. Ensuite, me semblent en partie responsables également tous ces discours sur l’assistanat de nature à stigmatiser ceux qui n’ont d’autre choix pour vivre que de demander le minimum vital garanti, devant l’incapacité de notre société à fournir à chacun des moyens d’existence dignes par le biais d’un emploi garanti pour tous. Ce droit élémentaire fait pourtant partie de la déclaration universelle des droits de l’homme consultable ci-dessus, et les hypocrites qui n’ont jamais connu le dénuement ont beau jeu de critiquer le fait de recevoir de l’argent sans contrepartie… Enfin, le fait que notre société soit si cloisonnée qu’elle ne permet pas à un individu en souffrance de bénéficier d’un garde-fous suffisant pour lui épargner d’avoir à affronter la complexité – et la froide brutalité symbolique parfois – d’une administration quelle qu’elle soit. Priver un individu de ses moyens d’existence n’est pas un acte neutre, et ne saurait bénéficier d’aucune indulgence coupable.
Mais par delà ce grand discours, qui peut paraître pompeux, je veux simplement témoigner de ma solidarité envers cet inconnu, que nous aurions peut-être pu sauver si… Point barre. Toutes mes excuses pour ma probable maladresse à exprimer mon désarroi devant ce que je considère comme une mort absurde, symbole d’une intolérable injustice faite à un homme visiblement bien seul par toute une société. Manifestement bien malade pour engendrer de tels drames, qui ont tendance à se multiplier. Devant lesquels il est urgent de s’interroger, malgré l’indolence à laquelle nous invite cette période de vacances… Pas pour tout le monde hélas.