Le débat actuel sur les évolutions du prix du gaz est révélateur des tensions et des contradictions qui apparaissent dès qu'un sujet porte sur une question écologique. Aujourd'hui, les problèmes environnementaux ne peuvent plus être déconnecté de l'économie.
Une partie de l'opinion publique, soucieuse de sociale, réclame une baisse du budget énergie qui revient de plus en plus cher aux ménages modestes. En moyenne, une famille dépense 150 euros par mois pour se chauffer, s'éclairer et faire fonctionner les appareils électriques.
Une autre partie, préoccupée de compétitivité économique, craint qu'une hausse du prix de l'énergie désavantage une industrie nationale déjà bien mal au point.
Enfin, l'opinion publique sait aussi la nécessité de financer une transition énergétique coûteuse mais indispensable pour limiter les émissions de gaz à effet de serre et accroître notre indépendance énergétique.
Comment alors financer la transition? Comment, en même temps, proposer une énergie à un coût acceptable par l'opinion? Faisons un rapide tour d'horizon des différentes solutions proposées.
Le conseil d'Etat vient de répondre aux partisans d'une énergie à bas prix : en remettant en cause le gel des prix du gaz et en condamnant les consommateurs à payer, il démontre que la solution des tarifs réglementés n'est plus d'actualité.
Les inquiétudes concernant l'industrie sont-elles fondées? Pour l'industrie de l'aluminium, il est déjà trop tard : les groupes sidérurgiques n'investissent plus en Europe où les coûts de l'électricité sont trop élevées. Faut-il alors continuer à défendre des tarifs préférentiels coûteux pour la collectivité? Ne faut-il pas plutôt pousser les acteurs économiques à trouver des solutions énergétiques combinant sobrité, efficacité énergétique et renouvelables?
En fait, la majorité des politiques et des experts qui travaillent sur ces questions énergétiques ont déjà fait leur choix : il faut financer la transition énergétique et limiter le coût de l'énergie par des mécanismes de compensation qui vont toucher le coût du travail ou les impôts.
Dephine Batho ministre de l'écologie devant la commission économique de l'assemblée nationale le 11 juillet dernier: Quant à la fiscalité écologique, elle sera un des sujets évoqués lors de la conférence environnementale. Personnellement, je pense qu’il convient en premier lieu de rééquilibrer la fiscalité entre le travail et le capital, ce qui n’exclut pas le développement d’une véritable fiscalité écologique,
Guillaume Sainteny, auteur du livre "Plaidoyer pour l'écofiscalité", universitaire expert reconnu, dans un article récent, défend des mesures compensatoires à une tarification plus élevée de l'énergie. Ces augmentations de prix seraient compensées par des baisses d'impôts portant essentiellement sur les catégories sociales les moins aisées.
Ces mécanismes compensatoires sont séduisants. Ils représentent pourtant des choix discutables et dangereux à terme. Discutables car ils vont rajouter de la complexité à une fiscalité déjà incompréhensible pour nos citoyens: dans l'"usine à gaz" du système fiscal, c'est rajouter de nouveaux "tuyaux", de nouveaux flux qu'il va falloir réguler et qui auront probablement des effets pervers. Dangereux à terme par leurs effets indirects: par exemple, des réductions d'impôts signifie reprendre la valse des niches fiscales dont on a pourtant compris qu'elles participaient aux déficits publics.
Que faut-il proposer alors?
D'abord, organiser de manière systématique la tarification progressive des différentes énergies. Entreprises et ménages devront profiter de ce système. Les premiers métres cubes de gaz, les premiers kilowatt devont être à bas prix. Puis une deuxième tranche sera à prix moyen, la troisième et dernière tranche aura un prix unitaire plus élevé. La troisième tranche financera la première. Cette mesure aura deux avantages : d'abord, elle favorisera les ménages modestes qui consomment peu, ensuite, elle agira sur les comportements des consommateurs en avantageant la sobriété énergétique.
La véritable difficulté de la tarification progressive sera de déterminer les seuils des différentes tranches. Le risque étant grand d'aboutir, là encore, à une nouvelle "usine à gaz" avec de multipes seuils et pressions de toutes sortes de lobby défendant les intérêts particuliers et non l'intérêt général.
Pour sortir de cette difficulté, il paraît préférable de proposer une tarification simple, avec des différentiels de seuils peu élevé pour les rendre acceptables. Par contre, l'évolution des tarifs sera prévue et connue sur un temps assez long (une dizaine d'année) avec un creusement progressif entre les trois tranches, ce creusement se faisant avec des tranches définies en pourcentage pour pouvoir tenir compte de l'évolution économique du prix de l'énergie. De cette manière, les ménages et les entreprises pourront faire évoluer leur comportement et leur équipement pour s'adapter à une sobriété de plus en plus nécessaire.
Une définition en pourcentage aura l'avantage de permettre de financer intégralement la mesure puisque la compensation se fera automatiquement.
Pour permettre de financer la transition, on propose aussi d'instituer une fiscalité environnementale sur le gaz, énergie d'origine fossile, émetteur de gaz à effet de serre. Elle sera payé par le consommateur mais lui sera rendu -intégralement- quand il désirera investir pour sortir de sa dépendance à cette énergie. Ces contributions incitatives vont permettre au chef d'entreprise ou au propriétaire d'une maison ou d'un immeuble d'installer un système de chauffage et de production d'énergies plus économe et moins polluant.
Là encore, il faudra faire simple, taxer avec modération et de manière progressive. Cela serait une grave erreur de vouloir installer une taxation punitive car de nombreuses familles subissent un système de chauffage qu'elles n'ont pas choisi et elles n'ont pas forcément les moyens d'investir dans un système plus propre et plus économe.
Comment agir alors? En instaurant une double contribution, l'une assise sur la taxe foncière (à destination des propriétaires du logement), l'autre assise sur les consommations de gaz (à destination des habitants du logement). Cette double contribution sera très faible au début (quelques dizaines d'euros par an) avec une progression connue sur une décennie. L'intégralité des sommes récoltées par ces deux contributions va servir à investir dans des appareils plus économes.
Enfin, parler uniquement de la consommation de gaz dans les habitations serait oublier que 75% de la consommation de gaz est réalisée par les industriels et les entreprises.
Il n'est pas sain, économiquement parlant, de laisser les industriels bénéficier de tarifs préférentiels, qui participent àl'augmentation de l'effet de serre d'une part, mais qui, d'autre part, vont plomber -sur le long terme- les profits d'entreprise dont l'énergie dépend d'une ressource non-renouvelable dont les prix sont condamnés à monter.
Le mécanisme de contributions incitatives, que nous avons décrit plus haut pour les ménages, doit donc s'appliquer de la même manière. Les chefs d'entreprises vont payer une très faible contribution au début, mais ils savent qu'elle va augmenter. Ils pourront alors faire des choix rationnels en connaissance de cause. Ils savent aussi qu'ils pourront bénéficier du produit de cette contribution pour faciliter les investissements nécessaires pour sortir de leur dépendance au gaz.
Conclusion: contrairement aux mécanismes fiscaux classiques envisagés (taxe carbone, création de niches fiscales, taxation écologique compensant les "charges" sur le travail, ...), les contributions incitatives sont simples, cohérentes, lisibles et logiques: on contribue simplement au financement du changement de système.
Le gaz constitue une de nos principales sources d'énergies, nous n'avons pas d'autres solutions que d'en sortir en investissant dans d'autres systèmes énergétiques. Il va bien falloir en payer le prix. C'est la seule fonction d'une fiscalité environnementale mature: favoriser cet investissement.