L’équation santé du XXIème siècle, pour nous les femmes, elle est très simple:
T’es enceinte = t’es malade.
Cette équation s’exprime également de la manière suivante, équivalente:
T’es enceinte = t’es une pintade décérébrée incapable de tout jugement concernant ton propre corps.
Du moins pour le corps médical. Si t’as le malheur de te précipiter chez ton gynécologue dès le pipi bâton viré au rose, il va commencer par t’examiner les amygdales, mais pas par la voie habituellement utilisée par ton généraliste en cas d’angine. Et puis il va gribouiller un tas de trucs sur un papier, et t’envoyer au labo d’analyses où on va te prélever assez de tubes pour transfuser tous les accidentés de la route du week-end de Pentecôte à toi toute seule. Il veut a-bso-lu-ment vérifier que t’as pas chopé la toxoplasmose, immunisée que tu es depuis la nuit des temps, tu comprends. Et puis aussi vérifier ton groupe sanguin, des fois que ça aurait changé le mois dernier, on ne sait jamais.
C’est comme ça, de mois en mois. Tu fais ce que le doc te dit, parce que bon, toi t’es pas doc, et il sait mieux que toi, il paraît. Et puis, tu veux pas trop te fâcher avec lui, rapport à l’examen des amygdales, tu te souviens? Donc tu finis exsangue, et on s’étonne de la seconde équation, hein.
Des fois, tu émets un doute, un peu comme quand on te dit qu’il faut filer du lait de croissance à tes aînés, et que tu sais très bien qu’à part un arôme vanille prononcé qui ne fait que te ruiner au prix du litre leur donner le goût du sucré, pour ensuite ne plus supporter de boire un truc neutre, y a rien de plus ni d’indispensable dedans pour peu que tu les nourrisses à peu près correctement le reste du temps. Alors, tu mens au doc, quand il te demande si tu obéis bien à Nestlé et ses petits copains. Mais là, c’est que t’es déjà une routière de l’arnaque pseudo santé-scientifique.
Alors que quand t’es juste enceinte, tu voudrais pas tuer ton bébé en prétendant que tu es A+ depuis ta naissance, des fois qu’ils t’auraient échangée avec la voisine de couveuse.
Après, si le doc il veut te voir tous les cinq jours, avec batterie d’analyses sanguines et urinaires systématique, rapport que t’as les mains de Cassius Clay, et les yeux aussi, mais après combat, alors qu’il fait même pas chaud et que t’es même pas très enceinte, même si c’est ton quatrième mouflet, tu obéis. ON NE SAIT JAMAIS. Tu te dis juste au passage qu’heureusement que tu bosses plus, sinon c’est BigBoss qui serait ravi de ton emploi du temps à trous d’Emmental.
Et puis arrive la fameuse journée de transmission de dossier à la maternité. Où tu répètes tout ce que tu as déjà dit en huit mois. Parce que le dossier de la maternité, il a pas les mêmes petites cases que celui de ton doc, sinon ce serait infiniment moins drôle, moins coûteux, et des tas de gens très bien seraient au chômage, et on parlerait plus tant du trou de la sécu, mais de celui du chômage, ça ferait désordre. Le trou de la sécu, ça fait pays qui s’occupe trop trop bien de ses citoyens. Le trou du chômage, ça fait gouvernement d’incapables. Tout de suite moins glamour, qu’est-ce que tu veux. Donc, toi, petite moutonne, tu vas faire ton dossier.
Le gynéco de la maternité a apparemment fréquenté la même école que l’autre, rapport à nouveau à l’examen approfondi des amygdales. Il est un peu teubé aussi, vu qu’il te pose des tas de questions dont les réponses sont sur la jolie lettre que ton doc lui a transmise par tes blanches mains: oui, c’est moi, Mentalo, oui, j’ai 37 ans, oui, j’avais déjà un gros cul avant la grossesse, oui, c’est mon quatrième, faut bien penser à ma retraite, oui, je suis A+ depuis la naissance.
Il est gentil. Il se dit que si l’autre te surveillait tous les cinq jours en enfonçant ses doigts dans ta chatte tes pieds pour voir si ça faisait godet ou pas, il va pas faire moins, ou juste un peu, pour pas avoir l’air d’un con qui passerait à côté d’un truc alors que son copain lui avait bien dit, hein. Donc il varie, et il te file une heure de monitoring avec prise de tension toutes les cinq minutes par semaine. Et quand tout va bien, et que la sage-femme l’appelle pour être sûre qu’il faut continuer, il dit oui-oui, même si tu doutes en fait qu’il se souvienne de toi – sauf au moment de réclamer le supplément d’honoraires de 250 euros s’il passe la tête dans l’entrebâillement de la porte le jour où tu seras en train de démouler (en décembre 2016, selon toute vraisemblance actuelle).
Et puis tu as le rendez-vous o-bli-ga-toi-re chez l’anesthésiste. Dans la salle d’attente, t’as les vieilles peaux, le nez pincé de dégoût, qui racontent qu’elles en ont démoulé huit, elles, et sans anesthésie, elles, parce que de leur temps, les femmes n’étaient pas si douillettes, et surtout pas si feignasses à se prélasser comme ça dans leur lit d’hôpital avec les repas servis, pendant que le mari il fait tout à la maison!
C’est tellement drôle que tu regrettes que ce soit ton tour. Mais dans le cabinet, c’est drôle aussi. Parce que le monsieur, il est docteur spécialiste ès dodo pas bobo, et apparemment il sait pas lire, vu qu’il te repose toutes les questions dont les réponses sont écrites juste devant lui. T’as bien envie de le bananer un peu, juste pour rigoler, mais comme tu t’appelles pas Chevènement, tu la boucles.
-Vous voulez une analgésie péridurale?
-Je ne sais pas, ça dépend
ça dépasse. Pas obligatoirement, disons. La dernière fois, aurait pu s’en passer, je pense.-Je ne crois pas, non:
-Ah bon?
mais vous étiez là?…
-Donc votre date de naissance, poids, groupe sanguin, antécédents?
-Ben, les mêmes que dans mon dossier,
ça a pas changé depuis une heure.-Donc là je vous fais l’ordonnance pour la prise de sang relative à l’anesthésie, et la détermination de votre groupe sanguin.
-Hein?
Ta gueule, Mentalo, si c’est lui le jour J, tu risques de le regretter…
C’est ainsi qu’à 37 ans et des brouettes, pour la première fois de ma vie, je pris mon destin en main et je raturai une ordonnance de médecin. Parce que des cartes de groupe sanguin, je dois en avoir une douzaine, il aura qu’à choisir la couleur.