Il y a quelque chose qui me tarabuste dans la polémique qui a fait rage cette semaine, autour des prises de position et de la prière du 15 août de l’Eglise catholique française contre le mariage gay.
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Pas le fait même que l’Eglise, sous une forme plus ou moins franche, prenne position. Nous vivons en démocratie et il va du bon fonctionnement de celle-ci que les corps constitués, quels qu’ils soient, puissent exprimer leurs opinions et leurs divergences. C’est du reste, à mon sens, l’avis de la grande majorité des citoyens français : on peut donc rassurer le bon cardinal Barbarin, qui semble éprouver quelques doutes à ce sujet (« La laïcité interdirait la prière? Est-ce cela que vous me demandez? Sommes-nous en tyrannie? Allons-nous soumettre nos rites et nos formulaires au commandement de la «pensée unique»? »). Ou fait mine de les éprouver (victimisation quand tu nous tiens !).
Que l’Eglise, dans le refus de la « tyrannie » de la « pensée unique », parle, ne me pose donc pas problème, en tant que laïque et athée, tant qu’elle accepte de son côté le libre jeu de la démocratie, en cohérence et réciprocité. Mais c’est là que le bât blesse.
Car que répète avec constance le même cardinal, dans deux interviews d’affilée ? Qu’il y aurait justement des sujets qui échapperaient à la démocratie, et à son instrument que sont les assemblées élues de la République. D’abord dans Le Figaro : « on changerait le mariage, la famille… et quoi encore, demain? Je ne suis pas sûr que cela relève de l’autorité d’un Parlement. Ceux qui nous gouvernent ont de grandes responsabilités […] Je ne voudrais pas qu’ils se croient la mission de changer le monde [sic]. J’espère que le pouvoir politique voit bien, comme chacun de nous, ce qui dépend de lui et ce qui le dépasse! ». Puis dans un (très repris) article du Progrès : « Notre désir est que la loi n’entre pas dans des domaines qui dépassent sa compétence. Un Parlement est là pour trouver du travail à tout le monde, [...] pour s’occuper de la sécurité, de la santé ou de la paix. Mais un Parlement, ce n’est pas Dieu le Père. […] [Il] ne peut pas proclamer « A partir d’aujourd’hui, nous décidons qu’une femme n’est plus ce que vous croyez et nous décidons que le mariage devient autre chose ». Que chacun garde le sens des limites de sa responsabilité! ».
« Dieu le Père », le souverain de toutes choses. C’est justement de souveraineté que l’on parle. Celle du peuple est-elle pleine et entière ? Si je lis précisément les propos du cardinal, non. Il y aurait des sujets sur lesquels le peuple (et ses représentants) n’aurait pas le droit de trancher, des sujets du domaine réservé de « Dieu le Père ». Et on ne parle pas de sujets où il y aurait une impossibilité pratique de légiférer (par exemple, décider que l’eau ne bout plus à 100 mais à 50°), mais de sujets bloqués de manière arbitraire au nom d’un interdit – moral, religieux ? – du fait de l’hypothèse de l’existence d’une puissance supérieure.
La souveraineté populaire s’arrêterait là où commencerait celle de Dieu (qui elle ne s’arrête probablement nulle part). Ce qui est la définition de tous les régimes que l’on voudra … mais pas de la démocratie. Car quand la souveraineté n’est pas pleine et entière, elle n’est pas.
Au nom de la liberté de parole et de pensée propre à la démocratie, le cardinal Barbarin réclame donc la suspension de la démocratie.
Est-ce bien logique ?
Romain Pigenel