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Thule ou la magie d’un nom:geographie, mythes et poesie(1)

Publié le 20 août 2012 par Regardeloigne

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Au-delà du Nord, de la glace, de l'aujourd'hui -delà de la mort à l'écart
Notre vie, notre bonheur
Ni par terre, ni par mer
Tu ne pourras trouver le chasseur qui mène
Jusqu'à nous, hyperboréens.
C'est de nous, qu'aussi
Une sage bouche a prophétisé ".
NIETZSCHE.

« ... ou bien deviendras-tu dieu de la mer immense, les marins révéreront-ils ta seule divinité, et Thulé l'Ultime te sera-t-elle soumise? » VIRGILE, GEORGIQUES, I, 29-30.

"La dernière de toutes celles qu'on cite est Thulé. Nous avons dit qu'au solstice d'été elle n'a point de nuit, le soleil traversant alors le signe du Cancer, et, au solstice d'hiver, point de jour: quelques-uns pensent que la lumière et les ténèbres y durent six mois alternativement. Timée l'historien dit qu'à six jours de navigation de la Bretagne, et en deçà, est l'île Mictis, qui produit le plomb blanc, que les Bretons s'y rendent dans des barques d'osier garnies de cuir. On cite encore d'autres îles, Scandia, Dumna, Bergos et Nerigon, la plus grande de toutes, où l'on s'embarque pour Thulé; de Thulé, un jour de navigation mène à la mer congelée, appelée par quelques-uns Cronienne." Pline Histoire Naturelle.

« Simultanément, on a du mal à croire ce qui nous est étranger {...]. Les campagnards d'ici ont la même attitude d'esprit que nous quand nous entendons parler des contrées sises au-delà de Thulé - quelle que soit en vérité cette Thulé, qui permet à ceux qui l'ont dépassée de débiter des racontars invérifiables et irréfutables… » SYNESIOS DE CYRENE.

« Tous sortent de la mort comme l'on sort d'un songe.
Les corps par les tyrans autrefois déchirés
Se sont en un moment en leurs corps asserrés,
Bien qu'un bras ait vogué par la mer écumeuse
De l'Afrique brûlée en Thulé froiduleuse. »
AGRIPPA D'AUBIGNE. LES TRAGIQUES

 

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Le mythe comme le montre, l'étymologie du mot (muthos) signifie d'abord une histoire, un récit, et plus tard plus tard une fable au sens surtout péjoratif.Selon Mircea Eliade   il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des commencements... C'est toujours le récit d'une création »: on rapporte comment quelque chose a été produit, a commencé à être.

S'il y a dans la destinée des mythes passage de l'oralité à la littérature, parfois présenté comme une exténuation du mythe selon Lévi-Strauss, le même insiste surtout sur le fait que, plus que pensés par les hommes, « les mythes se pensent entre eux » : on ne peut considérer qu'il y aurait un état originel du mythe dans sa forme pure, une version authentique ou primitive.

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Le plus souvent, nous n'avons pas accès aux mythes antiques tels qu'ils auraient existé dans leur transmission orale, c'est par le biais des textes que nous pouvons les reconstituer et en comprendre le sens. Et ces textes se présentent parfois d'emblée comme des oeuvres littéraires, même s'ils ne correspondent pas à notre conception moderne de la littérature (c'est le cas de L'Iliade et de L'Odyssée d'Homère. Nous ne connaissons les mythes qu'à travers des mythologies toujours changeantes, qu'à travers des contextes particuliers, médiatisés par d'autres textes.

 Les mythes entretiennent donc les uns avec les autres, à l'intérieur d'une même culture, ou d'une culture à une autre, des relations complexes (correspondances, filiations, parallélismes, convergences, etc.); ils se ressemblent et paraissent s'appeler et se répondre les uns aux autres, mais correspondent à des conditions d'élaboration très variables (sans quoi, comment comprendre la variété des différentes versions d'un même mythe) -

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ils révèlent des préoccupations communes : recherche du sens de l'existence, souci d'expliquer la création du monde (cosmogonies), les origines de la vie ou de l'humanité, désirs d'amour, de gloire, de puissance, de protection, angoisses des hommes devant une nature hostile, la maladie, la souffrance, la mort et un au-delà de la mort, la fuite hors du monde ou hors du temps, la communion avec le divin, etc.
- ils manifestent l'attrait des hommes pour le surnaturel, le merveilleux, ils charment, séduisent, font plaisir à ceux qui l'entendent.

Véhiculés par les mythes, source de nouveaux mythes eux-mêmes, certains noms ont ainsi un fort potentiel symbolique et onirique et hantent notre imagination à travers le temps. Ainsi de Virgile et Sénèque à jean Malaurie et antonin Artaud en passant par Goethe, il suffit pour susciter l'enchantement d'écouter le nom magique tel que l'évoque le premier vers d'une ballade. « il était un roi de THULE…...»" Ce mythe de Thulé, nous rappelle Monique Mund-Dopchie, sera repris dans toutes les littératures, au Moyen Âge dans le cycle de la Table ronde, et à l'époque romantique par Goethe dans sa lyrique Ballade du roi de Thulé.

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Ce poème chanté, ou lied, sera mis en musique par Gounod et par Berlioz. Goethe chante ce noble royaume lointain où l'amour fidèle (comme le mythe) transcende le temps: Es war ein Kônig in Thulé... Cette ballade, traduite par Gérard de Nerval, eut un succès immense. Ultima thule, la magie du mot, l'évocation mystèrieuse de l'insondable reposent d'ailleurs peut être plus sur la consonnance des syllabes frappant l'oreille et donc sur la musique de la phrase, que sur une description géographique précise qui fera toujours défaut. Dans une séquence saisissante, Sami Frey jouant Antonin Artaud nous restitue ce qui est peut être la poésie originelle du nom. video ci-dessous- (la séquence est à la 20ème minute)


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Selon Jean Malaurie, la simple géographie se double toujours d'une géographie sacrée et mythique des points cardinaux présente dans la tradition gréco-latine, aussi bien qu'en Eurasie, en Inde, Chine, et jusque dans certaines régions africaines :

« Le septentrion est fréquemment sous le signe du mâle, de la création, de la force, de la lumière, de l'innocence virginale et de la justice, le midi étant " femelle " et " matriciel ".
Apollon, le dieu grec le plus singulier, est le dieu du Nord, le dieu des Hyperboréens. Au Moyen Age et à la Renaissance, la tradition géographico-mystique de Guillaume Postel situe le paradis au pôle Nord. Au XVIIe siècle, le pôle Nord était souvent apprécié comme un gouffre d'eau et comme un lieu de renaissance et de mort. Au XIX', la géographie savante le considérait comme une mer " libre de glace ". L'Étoile polaire, enfin, référence de tous les navigateurs, est souvent considérée comme le centre absolu autour duquel tourne le ciel, le " nombril " du ciel pour les Yakoutes, le " pilier " pour les Lapons »
.

Une croyance diffuse de la pensée grecque, fondement des cultes apolliniens,

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voit l'hyperboréen, descendant de peuples géants mi-divins des temps antédiluviens, vivre donc dans le Grand Nord, l'espace légendaire du bonheur. On peut se demander si des mythes conservant le culte de « grands ancêtres »n'ont pas origine réelle, une histoire et une géographie, celles des peuplements méditerranéens, et des migrations successives de peuples nomades de l'Asie centrale venues de pays périglaciaires: le Caucase, la Scythie, la Mongolie. Se conserverait ainsi au travers des mythes, la nostalgie d'un espace originel, uniformément blanc, couleur devenue symbole de pureté et de paix; une nostalgie d'un âge d'or perdu au Pôle où l'Hyperboréen poursuivait fraternellement une vie communautaire avec les dieux sans guerroyer avec les peuples voisins; une société arctique d'hommes forts et puissants.

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« Nord, montagne, humanité primordiale, peuple heureux et immortel: ces idées se retrouvent comme en gigogne dans plusieurs civilisations anciennes. Des fragments de ces idées mythiques se retrouvent dispersés dans toutes les civilisations jusque dans l'Arctique. Les Esquimaux, bien que tard venus dans l' Arctique - 10000 ans au plus tôt - gardent de la Sibérie au Groenland la mémoire d'un peuple pré-Esquimau, plus fort et plus conquérant, les Tornit ou Tunit, peuple anti-ethnique. Il est remarquable, en effet, que le Sud groenlandais ait, encore au XIX' siècle, une conscience aiguë de l'existence au nord, très au nord, d'un peuple de géants plus grands, plus forts et cannibales.On m'a montré, dans la région de la péninsule de Boothia les énormes pierres avec lesquelles ces " Tunit " construisaient de grands iglous. A Thulé, on a même gardé quelques mots du vocabulaire de ce peuple perdu dans la brume des siècles obscurs. " Ce sont nos pères ", me disaient les Inuit de Thulé… »
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« Cet espace nordique a un nom: Thulé. Thulé- Tele : loin; Thu-al : Nord (Celte); Tholos ou Tolos : brouillard (grec); Tula: balance (sanscrit); Tulor mexicaine est dans la tradition ésotérique, la Terre lointaine, l'Ile blanche, le Pôle des lumières, le Sanctuaire du Monde. Thulé, baie de l'Étoile Polaire, est à l'aplomb du Pôle céleste. Telle Jérusalem, pôle judéo-chrétien ou La Mecque, avec la Kaaba, pôle de l'Islam, Thulé est le pôle des hyperboréens. »
« Les invasions se succèdent en Occident. Le mythe demeure: Atlantide de Platon ou Ifverboren, selon les vieux mythes suédois, le jardin des Hespérides, le berceau de la première race des hommes, nouveau Saint Graal, Thulé exprima la tradition celto-germanique la plus ténébreuse, où auraient vécu avant le déluge un peuple d'hommes proches des Dieux, les Atlantes, qui n'auraient survécu à l'engloutissement qu'en fuyant vers l'hypothétique Agaretha. Le Pôle du monde, la capitale, l'île, la montagne des " Maîtres de la Nuit ", des " Douze Sages ". Cette île ou montagne initiatique, où se situerait elle ?
 »…(c'est moi qui souligne !) ».
Jean Malaurie.l'APPEL DU NORD

 

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« Le nom de Thulé, cité pour la première fois par le navigateur Pythéas, remonte aux premières populations indo-européennes ; il a pris en chaque langue une nuance différente: Thuath en gaélique veut dire "le nord" ou "la gauche", Thyle en vieux saxon et Tiule en goth signifient "la limite extrême" et, en sanskrit, Tula, "la Balance", désigne la constellation de la Grande Ourse située au Nord. Cette île lointaine, cette colline sacrée, située "là-bas" au Nord-Ouest, est l'île de l'Autre Monde, le Sid irlandais, paradis celtique, havre de paix et de délices où le temps s'écoule éternellement, sans maladies, sans contraintes morales ni hiérarchie sociale. Thulé, île fabuleuse où les jours sont sans fin, terre mythique sur laquelle on racontera des choses prodigieuses.

 

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Autour du nom va ainsi se construire au fil du temps et des cultures, tout un labyrinthe de mythes rejoignant l'Hyperborée, voire l'Atlantide, mais aussi de voyages et de découvertes réelles. La magie du nom de Thulé repose peut être justement sur le fait qu'il mêle constamment le réel et l'imaginaire, la géographie et l'histoire mais aussi la poésie mythologique, source de littérature. Ironie de l'histoire réelle, le destin de Thulé remonte au récit d'un voyage, source de débats passionnés de la part des géographes de l'antiquité, comme du Moyen Age et de la Renaissance. Un récit en grande part perdu mais vivace dans les mémoires et dont les imprécisions ouvrent justement une brèche d'où peuvent surgir l'imaginaire et les mythes. L'expression « Ultima Thulé » a traversé les siècles pour nous parvenir, auréolée de la magie des terres lointaines et du mystère des limites du monde connu.
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C'est ainsi que des poètes et des philosophes du début de l'Empire romain, tels Sénèque et Virgile, l'utilisèrent les premiers, loin des débats qui n'ont cessé autour de la réalité géographique. Ceux qui vinrent après se contentèrent de reprendre l'image romantique de Thulé, qui, comme toutes les bonnes images, côtoie les frontières de l'irréel et fascine. Au départ pourtant, un voyage attesté et un récit mais en grande partie perdu et connu seulment par d'autres récits, celui de l'astronome et navigateur marseillais PYTHEAS. Explorateur audacieux, marin, scientifique et géographe de premier plan (étude des marées, calcul de la latitude de sa ville natale et de la pointe sud-est de la Grande Bretagne, etc.) et aussi économiste, son voyage (non dénué d'arrières pensées commerciales) durera 3 à 4 ans selon la tradition et se situe vraisemblablement entre 330 et 320 avant J.-

   

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« S'il existe aujourd'hui un dossier antique sur Thulé, le mérite en revient incontestablement à Pythéas de Marseille, qui a révélé l'existence de cette île lointaine au monde gréco-romain. Cependant la célébrité de l'astronome-voyageur et le nombre d'études que celle-ci a suscité sont inversement proportionnels à l'information dont on dispose à son sujet. Son traité Sur l'Océan est perdu, ainsi que sa description de la terre . Sont également perdus les travaux des érudits alexandrins qui avaient eu un accès direct à ses œuvres. On ne dispose dès lors que d'une tradition indirecte.), relativement ample au demeurant, dont les références à Pythéas et à ses écrits se fondent le plus souvent sur des informations de seconde main.

Seuls deux textes nous renseignent avec quelque précision sur le mode de rédaction adopté par le Découvreur. Le premier, livré par Strabon, nous montre un Pythéas distinguant, à la manière d'Hérodote, ce qu'il a appris en vertu de son autopsie de témoin ou par ouï-dire() Le second texte, fourni par l'astronome Géminos (Ier s. A.J.C.), cite littéralement un bref extrait de Pythéas et nous apprend à cette occasion que notre explorateur s'est rendu dans des contrées où le jour le plus long dure entre 2l et 22 heures et qu'il a bénéficié de l 'aide d'interlocuteurs locaux dans son entreprise :

(Dans ces parages, il semble que Pythéas le Massaliote soit aussi allé. Il nous dit en effet dans son livre Sur l'Océan : « Les barbares nous montraient où se couche le soleil ». Car dans ces lieux il arrivait que la nuit était tout à fait petite, pour les uns de deux heures, pour les autres de trois, de sorte que le soleil s'étant couché, après un petit intervalle, il se relevait aussitôt.). Monique Mund-Dopchie. Ultima Thule.Histoire  D'un Lieu et Genèse D'un Mythe.DROZ. 2009

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Les références aux travaux de Pythéas resteront problématiques parce que résultat de sélections opérées par des auteurs différents en vertu de préoccupations différentes et autorisent régulièrement de ce fait des interprétations contradictoires.

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Certains auteurs antiques le considèrent comme un affabulateur(un mythomane !). C'est en particulier l'opinion de Polybe et du géographe Strabon, pour qui il est inconcevable qu'une mer puisse être entièrement gelée. (Et qu'il puisse exister une terre que l'empire romain ne contrôlerait pas) La biographie de Pythéas n'est que le produit d'hypothèses même si les spécialistes de ces dernières décennies voient unanimement en Pythéas un astronome de génie, qui tint à voyager dans l'Extrême-Nord pour trouver des réponses scientifiques aux problèmes posés par le monde savant de son époque ou pour également ouvrir de nouvelles voies maritimes au commerce de l'étain et de l'ambre. De même, ils s'accordent pour situer la navigation au IVe siècle A.C.
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Il apparait ainsi comme le plus ancien auteur de l'Antiquité à avoir notamment décrit les phénomènes polaires, les marées  ainsi que le mode de vie des populations de la Grande Bretagne et des peuples  germaniquesdes rives de la mer du Nord  voire, peut-être, de la Baltique. Mais de profondes divergences surgissent dès qu'ils tentent d'affiner cette date, d'établir la chronologie de la rédaction, de calculer la distance qui sépare celle-ci de l'exploration qui l'a fondée et de retracer l'itinéraire suivi par l'explorateur, notamment le long des côtes de la Grande-Bretagne. Elles sont particulièrement importantes lorsqu'il s'agit de fixer Thulé sur une carte et de déterminer la manière dont Pythéas fut informé à son propos. Les identifications proposées pour Thulé demeurent en effet nombreuses aujourd'hui : l'ensemble du Septentrion, le Groenland, les Féroé, Héligoland, l'Estonie (île de Saarema), la Suède, la péninsule Scandinave — dans son ensemble ou partiellement —, les Shetland, l'Islande ; les trois dernières sont toutefois les plus régulièrement avancées. Par ailleurs, d'aucuns suivant Strabon se demandent si Pythéas s'est rendu personnellement à Thulé ou s'il en parle par ouï-dire.

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A l'époque de Pythéas, au milieu du IV ème siècle AC, la majeure partie des déplacements se fait sur la Méditerranée. Elle est parfaitement connue, même si l'on utilise principalement la partie orientale, berceau des Grecs. La Méditerranée apparait donc comme le centre du monde. Mais on est déjà allé au-delà de la méditerranée et de la mer noire. Les Egyptiens connaissent l'Afrique intérieure et ont exploré le cours du Nil jusqu'à la IVème cataracte.la tradition rapporte que le pharaon Nécho II, aurait ordonné un voyage autour de l'Afrique aux environs de l'an 600. L'Inde a été reconnue jusqu'à l'Indus par Alexandre le grand.
Quant aux fameuses colonnes d'Hercule (détroit de Gibraltar) elles ont déjà été franchies. Les phéniciens possèdent le comptoir de Gadir (Cadix) sur les cotes atlantiques .le Carthaginois Hannon, aurait descendu les cotes de l'Afrique de l'ouest, jusqu'au golfe de Guinée et peut être au Cameroun.
Surtout, vers le Vème A.C, le navigateur Hamilcon aurait effectué un « long « périple de 4 mois dans l'océan atlantique. Il serait allé jusqu'en Bretagne.

A l'inverse, l'intérieur de l'Europe est ignoré, grecs et phéniciens n'explorant que les régions côtières .C'est le vaste mondes des « Barbares », (ceux qui auraient un langage inarticulés et vivraient dans des forets) : on commerce pourtant avec eux, leur aristocratie cherchant les objets précieux en échange de l'étain, de l'ambre et des fourrures. Toute la partie nord serait en, outre, inhabitée, car trop froide.

 

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"Par une opération géométrique de projection et de calculs astronomiques, les géographes anciens avaient établi la représentation durable d'un globe terrestre divisé en cinq zones, à savoir une zone torride, deux zones tempérées qui enserraient celle-ci de part et d'autre et deux zones froides aux extrémités; toutefois, ils n'avaient pu éviter les ambiguïtés engendrées par un tel découpage.

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Ainsi, ils avaient situé dans la zone tempérée septentrionale — dont la température leur paraissait favoriser un établissement humain — leur œcoumène (ensemble des terres habitées) conçue comme une grande île ovale intégrant l'Europe, l'Asie et l'Afrique. Mais ils n'osaient supposer que celle-ci fût unique et ils s'interrogeaient dès lors, comme Cratès de Mallos (IIe siècle A.C.), sur l'existence d'autres œcoumènes à la surface du globe, en particulier sur celle d'un «antipode» dans l'hémisphère austral. De même, ils avaient été contraints d'admettre que l'espace de terre habitable qu'ils s'étaient attribué n'était pas nécessairement homogène : selon leur construction théorique du globe terrestre, du fait que la zone torride et les zones froides étaient peu propices au peuplement eu égard à leurs températures extrêmes, il ressortait que les bordures méridionales et septentrionales de leur œcoumène étaient moins habitables que son centre : ensemble des terres formé par l'Europe, l'Asie et l'Afrique ne constituait :onc pas en tous points une surface de peuplement de l'œcoumène. Enfin,l es explorations et voyages introduisaient des nuances dans le propos : l'une part, ils avaient révélé l'existence de déserts de sable dans les profondeurs de l'Afrique et d'espaces faiblement peuplés dans les plaines du grand Nord, qui confirmaient la vision préconstruite ; d'autre )art, ils avaient également révélé que, contrairement à l'opinion reçue, la partie située entre les tropiques était habitable Monique Mund-Dopchie. Ultima Thule.Histoire  D'un Lieu et Genèse D'un Mythe.DROZ. 2009

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Comment Pytheas intervint il dans ce débat qui va le mener à un fameux périple ? Comme déjà dit, on sait peu de choses sur lui et la tradition en fera un homme pauvre, comme plus tard Socrate(n'est ce pas là une composante fréquente des mythologies qui font du personnage historique un héros ?). Il occupe sans doute la charge d'astronome à l'observatoire de Marseille et se livre à des observations à l'aide de l'instrument de l'époque ,un gnomon (dont il emportera un modèle réduit dans son voyage) , ici un obélisque de 10ms avec lequel on mesure les ombres portés du soleil pour déterminer en particulier l'heure. On lui attribue toute une série de découvertes astronomiques : il aurait mesuré l'obliquité de l'elliptique, constaté qu'au solstice d'été, l'ombre est la plus courte à midi, tandis qu'au solstice d'hiver elle est la plus longue. Il aurait aussi situé le pole céleste dans le voisinage de la Petite Ourse .Pythéas en quittant Marseille chercherait sans doute à vérifier certaines observations : trouver une terre où le soleil ne doit pas se coucher, mesurer la circonférence de la terre qui pour lui est ronde. Mais les préoccupations scientifiques ne furent sans doute pas les seules pour une expédition surement couteuse à l'époque.Les migrations celtes avaient rendu aléatoire le commerce de l'étain et de l'ambre (Pythéas parlerait le Celte).Aussi la ville et ses commerçants le missionnèrent sans doute pour trouver les sources des matières premières et un passage du nord est de l'Europe, de la mer du Nord à la mer Baltique, en lui donnant le budget nécessaire (peut être plusieurs navires).

Parti de MASSILIA , il aurait gagné l'Atlantique, soit après avoir franchi les "colonnes  D'Hercule" en payant tribut aux carthaginois, soit par un voyage fluvial jusqu'au débouché de la Gironde ou de la Loire.

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Son voyage se serait ensuite poursuivi vers l'ARMORIQUE puis la Grande Bretagne dont il a décrit la forme triangulaire. Il y observe les phénomènes de marée et remarqué la corrélation qui existe entre celle-ci et les phases de la lune. Il rencontre aussi des populations qui exploitent des gisements d'étain. Il existe une forte tradition affirmant que Pythéas aurait voyagé pendant six jours vers le Nord jusqu'aux limites du cosmos (une autre tradition affirme qu'il aurait »affabulé » ou simplement décrit de prodigieux phénomènes astronomiques comme le « soleil de minuit » par simples projections de se calculs).

« Nous pouvons donc imaginer qu'un matin du début de l'été Pythéas, en compagnie de marins locaux, se mit en route dans le détroit de Bressay et que, environ six jours plus tard, il arriva au large de la côte sud-est de l'Islande. Il dut ensuite naviguer vers le nord, le long de la côte est de l'île, et peut-être aborder à Rifstangi, juste à l'intérieur du cercle arctique. Il aurait même pu planifier sa visite de manière à être sur l'île au moment du solstice d'été. Il serait ensuite allé plus au nord pour observer la mer figée, avant de retourner finalement à Mainland.

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En tout, son voyage pourrait avoir duré près de trois ou quatre semaines, et, de retour à Clickhimin, Pythéas aurait alors pris un peu de repos pour repenser à toutes les merveilles qu'il venait de voir.

Tout cela n'est, comme nous l'avons dit, qu'un scénario imaginaire - une histoire à dormir debout peut-être ; le produit de notre fantaisie dont nous aimerions qu'il soit réalité. Pourtant, l'examen de; données dont nous disposons montre que ce type de voyage n'outre passait en aucun cas les capacités techniques des constructeurs de bateaux de cette époque, et qu'il pourrait même avoir été chose courante. Les détails concernant l'Extrême Nord que Pythéas fut le premier à rapporter sont scientifiquement cohérents et, à n'en pas douter, le fruit d'une observation minutieuse. Il faut alors se demander si Pythéas après être parvenu aussi loin, put se satisfaire de ouï-dire. Il affirme qui non ; prenons-le au mot.

. Deux questions demeurent pourtant en suspens : Thulé correspond-elle réellement à l'Islande ? Et jusqu'où Pythéas s'aventura-t-il vraiment ? La première de ces questions divise les spécialistes en trois écoles : Thulé est bien l'Islande ; elle correspondrait plutôt à la Norvège ; ce serait les îles Shetland….Barry Cunliffe, Marie-Geneviève l'Her, Pythéas le grec découvre l'Europe du Nord, éditions Autrement, 2003

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Poussant plus au plus au nord au large des Orcades, puis des îles Shetland, il aurait donc continué au nord, et découvert une île qu'il va donc baptiser Thulé, dans une région où la nuit ne « durait plus que deux heures ». Pays où selon les « barbares » : le « soleil se reposait ». "Au-delà du canal, il suivit les côtes orientales des îles Britanniques, et lorsqu'il fut à la partie la plus septentrionale, poussant toujours vers le nord, il s'avança en six journées de navigation jusqu'à un pays que les barbares nommaient Thulé, et où la durée du jour solsticial était de 24 heures ; ce qui suppose 66 degrés 30 minutes de latitude septentrionale., écrit Pline l'Ancien dans son Histoire Naturelle. Evoquant l'ile de Thulé , Pyrheas décrit aussi un environnement qui fera beaucoup discuter et écrire, celui d'une mer où la navigation devenait impossible, l'océan ressemblant à un « poumon marin ». C'est à ce stade que, par les imprécisions des mesures et des localisations source de controverses scientifiques, par la perte du récit original, par les obscurités des descriptions reprises de secondes mains par de multiples auteurs , par les difficultés de traduction de certains mots ,la géographie et l'astronomie vont désormais côtoyer la légende et ce, pour les siècles à venir .
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L'on se trouve confronté à un explorateur dont la vie comporte de nombreuses zones d'ombre qui ne disparaîtront pas de sitôt
. « Faute de documents nouveaux, les biographes de Pythéas sont dès lors condamnés à enrichir les maigres renseignements transmis à coup de mises en contexte originales et d'hypothèses ingénieuses, dont la combinaison fait surgir un personnage probable plutôt qu'un personnage historique ».

On peut concevoir aussi que ses découvertes heurtaient d'abord les idées communes comme aussi les paradigmes scientifiques de l'époque.

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Strabon ne s'en prive pas : il écrit que celui-ci débite des fables :

« Sur Thulé, l'information est encore beaucoup plus incertaine à cause de l'éloignement de cette île, qu'on donne comme la plus septentrionale de toutes les contrées qui portent un nom. Ce qu'a dit Pythéas à son sujet comme au sujet des lieux avoisinants est de toute évidence pure fiction, si l'on en juge à ses récits sur les régions connues, car, comme presque tout y est contraire à la vérité, ainsi que nous l'avons dit plus haut, il apparaît clairement qu'il est moins véridique encore quand il parle des régions situées au-delà des lieux accessibles » (Géographie, 4.5.5).

 

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Depuis Hérodote, les géographes pensaient surtout que la Terre n'était pas habitable en zone équatoriale, trop chaude, ni en zone arctique, trop froide. Le climat relativement tempéré et océanique que Pythéas découvre à la haute latitude de l'Islande leur semble en totale contradiction avec l'extrême rigueur des climats continentaux rencontrés par les explorateurs partis de la mer Noire vers les pays des Cimmériens (aujourd'hui la Biélorussie). On ne connaissait pas l'influence du Gulf Stream qui rend le climat différent aux mêmes latitudes et donne plutôt raison à Pytheas .

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« C'est à cette confrontation entre l'approche théorique et l'observation de terrain que l'on doit la controverse suscitée par l'émergence de Thulé dans un univers géographique qui ne l'attendait pas.

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Par sa découverte, Pythéas fit en effet reculer la frontière septentrionale de l'œcoumène en affirmant que Thulé, située selon lui sur le cercle arctique, à six jours de navigation de la Grande-Bretagne, était tout à la fois la plus nordique des îles Britanniques et la dernière des terres habitables. Cette latitude de 66° signifiait dans la foulée qu'à Thulé le jour du solstice d'été et la nuit du solstice d'hiver duraient 24 heures, le soleil ne disparaissant pas de l'horizon dans le premier cas et n'apparaissant pas au-dessus de l'horizon dans le second. La localisation de l'île sur le cercle arctique fut adoptée par Eratosthène, nous dit Strabon ; quant à la mention du jour et de la nuit de 24 heures à l'époque des solstices, elle fut explicitement reprise par des auteurs dont l'œuvre nous a été conservée : Pomponius Mêla, Solin et Ser-vius, lesquels ne se réfèrent aucunement à Pythéas. En revanche, la révélation du Massaliote fut rejetée par Strabon, qui s'associait Polybe dans cette opposition. S'il reconnaissait à son prédécesseur des compétences en astronomie et en mathématiques, le géographe d'Amasée refusait de croire à l'existence d'une Thulé dont aucun «explorateur» de la Grande-Bretagne et de l'Irlande n'avait parlé et à l'habitabilité de la terre à des latitudes aussi élevées ; selon ses propres estimations, qui rejoignaient celles de Polybe, l'œcoumène avait pour frontière septentrionale le nord de l'Irlande. Monique Mund-Dopchie.op.cité.

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(A suivre)

 

 

 

 


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