Reparti il y a quelque six mois avec ce fort volume sous le bras et une très amicale dédicace de l'auteur, je me suis demandé alors quand je trouverais le temps de le lire.
Il a donc rejoint ma table de travail où s'amoncellent tous les livres, en grand nombre, qui me semblent, pour une raison ou pour une autre, dignes d'intérêt.
Comme je suis insomniaque je lis surtout la nuit. Avec les températures caniculaires que nous connaissons, mes nuits sont encore plus courtes que d'habitude. C'était le moment ou jamais de faire La remontée du Nil.
Autant le dire tout de suite, j'ai passé trois nuits merveilleuses, à défaut d'être fraîches. Cette lecture était tout à fait de circonstance, du fait que la plupart du temps les événements relatés se passent en Egypte. Où les nuits estivales sont chaudes.
L'écriture de Nabil Malek ne m'était pas inconnue. J'ai rendu compte ici de Dubaï, la rançon du succès, qui est un recueil de nouvelles inspirées de faits réels, à la faveur desquelles l'auteur donne une image nuancée de cet émirat, présenté uniquement, à tort, comme un parangon de la réussite économique et du libéralisme.
Dans le présent et précédent ouvrage, Nabil Malek a voulu remonter aux sources de sa double ascendance, copte chrétienne et juive:
"J'ai appris avec passion par personnes interposées à connaître mes ancêtres et à réaliser pleinement ma double ascendance. Je m'expliquais enfin pourquoi j'ai toujours eu l'impression de n'être à ma place nulle part et en même temps la facilité à me trouver chez moi partout."
Comme Nabil Malek est modeste, il ne prétend pas faire oeuvre d'historien. C'est pourquoi il a choisi de dire que son livre est un roman autobiographique, où Juif arabe il retourne à ses sources. Mais il est en fait très peu autobiographique, puisqu'il parle très peu de lui-même et beaucoup de ceux qui l'ont devancé sur Terre et qui y ont, en quelque sorte, préparé sa venue, dans un cadre particulier, celui de l'Egypte.
Très scrupuleux Nabil Malek le fait notamment à l'aide de photographies, de témoignages et de documents familiaux, qu'il cite parfois in extenso, mais aussi à l'aide de livres et d'articles de journaux, dont il dresse la bibliographie en fin d'ouvrage, avec l'honnêteté qui le caractérise.
Le livre se lit comme un roman, et c'est un véritable roman. En effet, à partir de faits réels, Nabil Malek, comme il le montrera dans son livre suivant, grâce à une imagination fertile, nourrie de nombreuses lectures, reconstitue avec beaucoup de plausibilité des événements qu'il n'a pas connus et des dialogues qu'il ne peut pas avoir entendus.
Il ne me semble pas outrageux de présenter également La remontée du Nil comme un roman historique. En toile de fond se dessine en effet l'histoire du pays natal de Nabil Malek pendant un siècle et demi, du début du XIXe siècle jusqu'à la moitié du XXe, du règne de Mehemet Ali jusqu'à la chute du roi Farouk, en passant par la tutelle pesante des Anglais.
Les histoires des deux familles, paternelle et maternelle, de l'auteur, les Abdel Malek et les Messiqua, sont de véritables sagas. L'ascendance maternelle prend peut-être davantage de place que la paternelle dans ce roman, sans doute parce que l'auteur a recueilli plus de témoignages de ce côté-là et qu'il a pu remonter à des sources plus lointaines.
Des deux côtés les hommes et les femmes sont des personnages hauts en couleur et hors du commun. Ils gravissent les échelons de la société égyptienne - et montent même très haut du côté paternel - avant d'être victimes du nassérisme.
La branche maternelle va devoir quitter l'Egypte parce qu'elle est juive, qui plus est de nationalité française, donc étrangère, effet collatéral de la création de l'Etat d'Israël. La branche paternelle parce qu'elle est immensément riche et que le socialisme nassérien, comme tous les socialismes, ne respecte pas les droits de propriété, nationalise et séquestre.
Nabil Abdel Malek, né en 1950, se retrouvera donc en Suisse, à Lausanne, à partir de 1962, où il passera toute son adolescence avec sa famille maternelle, plus précisément avec sa grand-mère Yvette et sa mère Mona, séparée, puis divorcée de son père Aziz. Il ne retrouvera son père que quatre ans plus tard, à Beyrouth, où il s'est réfugié avec sa maîtresse Nazek...
Ce livre a certes permis à Nabil Malek de faire le deuil de son passé - il n'a pas su, par exemple, qu'il était juif avant ses onze ans -, mais il l'a écrit principalement pour ses enfants et leurs descendants. Cependant il ne leur est pas seulement destiné. Toutes ces vies qu'il conte avec talent ne peuvent qu'enrichir le lecteur d'expériences humaines des plus diverses, au cours d'un voyage, dans le temps et l'espace, propice à son complet dépaysement.
Francis Richard
La remontée du Nil, Nabil Malek, 506 pages, Editions Amalthée ici, 2010