Quand Washington envoie des troupes d'assaut contre une exploitation laitière, et qu'un juge interdit de boire du lait à même le pis car non pasteurisé.
Par Baylen Linnekin (*), depuis Washington, D.C., États-Unis.
Pour les amateurs de lait frais et ceux qui comme moi ne consomment pas de lait, pasteurisé ou non, mais luttent pour la liberté de se nourrir sous toutes ses formes, les deux dernières années ont marqué un certain nombre de reculs sur le front de la cause du lait non pasteurisé.
La FDA [NdT : Food and Drug Administration, qui comme son nom l’indique est l’organisme qui autorise la mise sur le marché américain des médicaments et de certains aliments] a mis la pression sur les États fédérés pour qu’ils sévissent contre le lait non pasteurisé. Et les Centers for Disease Control and Prevention ont intensifié leurs efforts de lutte contre ce type de lait après que cette agence a affirmé avoir « trouvé que l’incidence des maladies associées aux produits laitiers non pasteurisés était 150 fois plus élevée par unité consommée que celles associées aux produits pasteurisés ».
Des fermiers et d’autres gens à travers le pays qui fournissent du lait non pasteurisé aux consommateurs, de la côte Est au Midwest, du Nord-Est à la côte Ouest, ont été traînés devant les tribunaux locaux ou fédéraux et accusés de vendre illégalement du lait non pasteurisé.
Dans un affaire datant de l’an dernier, le fermier amish Dan Allgyer de Pennsylvanie, dont la ferme a été prise d’assaut par des sheriffs en armes, des U.S. Marshals et des agents de la FDA (j’ai relaté cet événement l’an dernier), a été forcé sur décision de la Cour de cesser de fournir du lait frais aux consommateurs du Maryland et du District de Columbia.
Dans un autre cas bien connu, des agents fédéraux et de l’État de Californie ont mené deux assauts sur la coopérative Rawesome, basée à Venice. Après le dernier raid, le propriétaire de Rawesome, James Stewart, a été mis en prison et sa caution fixée à plus de 100 000 dollars.
Si l’idée que le SWAT [NdT : unités d'élite de la police] mène des attaques sur des coopératives agricoles vous frappe par son absurdité, la saga Rawesome a pris une tournure encore plus bizarre fin juillet. Stewart, qui a manqué deux audiences du tribunal et dont certains pensaient qu’il allait quitter la Californie a été arrêté et menotté par des chasseurs de prime dans une rue de Los-Angeles ; la capture a même été filmée.
Encore plus étrange sont les informations sur qui a prévenu ces chasseurs de primes : Marc McAfee, le propriétaire de la plus grande laiterie non pasteurisée de Californie, Organic Pastures [NdT : littéralement, « Pâturages bio »], l’homme même qui avait fourni sa maison en guise de caution pour permettre à Stewart de sortir de prison.
« C’est moi qui ai missionné ces gens pour qu’ils arrêtent James », a expliqué McAfee à Food Safety News.
Et qui blâmerait McAfee, qui s’est personnellement engagé pour Stewart, pour voir que ce dernier le remerciait façon Assange, en lui faisant courir le risque de perdre sa propre maison.
David Gumpert, auteur du livre Raw Milk Revolution, a écrit un excellent billet sur la capture de Stewart sur son blog The Complete Patient. Cookson Beecher de Food Safety News a aussi rédigé un bon texte à ce sujet.
Cette dramaturgie et cette politisation autour du lait frais n’ont pas toujours existé dans ce pays (en particulier et à l'évidence avant l’invention de la pasteurisation). En fait, il n'y a que cent ans (en 1908, pour être précis) que les premières lois américaines ont commencé à imposer la pasteurisation du lait. (Pour ceux qui veulent en savoir davantage sur les intrigues politiques qui ont mené aux premières interdictions, je recommande l’article très accessible qu’Alan Czaplicki a écrit en 2007, « Pure Mikl is Better Than Purified Milk », dans la revue Social Science History.)
Au niveau national ça n’est qu’en 1987 que les réglementations de la FDA imposèrent que le lait non pasteurisé ne puisse plus être vendu entre États fédérés. L’agence a réussi à faire pression pour obtenir une telle interdiction, mais y a été forcée par une décision de justice obtenue en 1986 par Public Citizen, l’association fondée par Ralph Nader. Sans cette décision, il n’est pas certain qu’une interdiction fédérale soit en place aujourd’hui.
Malgré tous ces reculs, il y a des nouvelles plus réjouissantes. Par exemple, le « Lemonade Freedom Day » de l’an dernier, qui fut un succès, aujourd’hui renommé « Lemonade and Raw Milk Freedom Day », aura lieu dans tout le pays le 18 août.
Un autre point réjouissant à souligner, une décision d’une cour de l’État du Wisconsin de 2011 est généralement perçue par les consommateurs et partisans de lait frais comme une vexation détestable et un recul. Dans cette décision, le juge Patrick J. Fielder a écrit que les plaignants n’avaient pas de droit fondamental « de boire le lait de leur propre vache » ou « de produire et de consommer les nourritures de leur choix ».
Les sympathisants du lait frais ont été choqués. Mais dans les mots du juge Fiedler, je vois plus qu’une lueur d’espoir. Pourquoi ?
Parce que le juge, qui officie maintenant dans le privé, a aussi écrit dans sa décision que les « revendications constitutionnelles [des plaignants] sont totalement dénuées de fondement parce qu’elles sont extrêmement rudimentaires » et qu’ainsi la cour « n’est pas disposée à déclarer qu’il existe un droit fondamental à consommer la nourriture de son choix sans qu’on lui présente préalablement des arguments significativement plus élaborés » (c’est moi qui souligne).
Pour un étudiant ou un spécialiste de droit constitutionnel, on peut sans doute lire une telle formulation comme un pied dans la porte pour les défenseurs de la liberté de se nourrir. Il n’y a pas à lire entre les lignes pour voir que la décision fort critiquée du juge Fiedler était presque une invitation aux partisans du lait frais à revoir leur copie et à forger une meilleure défense que lui et d’autres juristes pourraient accepter pour relier la vente de lait frais (et d’autres questions relatives à la liberté de se nourrir) à des droits fondamentaux, énumérés ou non.
Est-ce que je lis cette décision comme il convient ? Je l’ai demandé à M. Fiedler (qui avait déjà quitté son poste de juge) dans un e-mail cette année : « Je crois que vos mots ne vous dépeignent pas comme opposé à la requête du plaignant. Si j’ai correctement lu votre décision et vos attendus, vous exercez une retenue judiciaire (une pratique que j’admire) plutôt que de claquer la porte à la notion d’un droit fondamental de choisir sa nourriture. En fait, je lis votre décision non comme une attaque de la liberté [alimentaire], mais comme une invitation faite aux défenseurs de forger une meilleure argumentation qui pourrait vous mener (vous et vos homologues, au niveau fédéral comme de l’État fédéré) à soutenir le droit revendiqué. ».
La réponse de Fiedler, polie, indiquait son refus de formuler des commentaires sur cette décision ou toute autre qu’il aurait rendu.
Bien que cet événement soit malheureux, comme tous les revers subis depuis un an ou deux, l’idée me réconforte qu’il existe des juges comme Fiedler qui semblent ouverts à l’idée de la liberté de choisir sa nourriture, même si ils ne sont pas encore prêts à admettre que ce droit est protégé par la constitution.
Pour les amateurs de lait frais et les défenseurs de la liberté alimentaire, notre travail au cours de l’année prochaine sera de passer outre ces revers et de travailler à créer des argumentations juridiques enracinées dans l’histoire, la liberté et les précédents judiciaires, qui convaincront les cours d’adopter ces droits qui semblent si évidents à beaucoup d’entre nous aujourd’hui.
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Publié sur Reason.com sous le titre Setbacks and Bizarre Turns in the Raw Milk Saga.
Traduction : Benjamin Guyot pour Contrepoints.
(*) Avocat, Baylen J. Linnekin est le directeur de Keep Food Legal, une organisation à but non lucratif basée à Washington, D.C. qui milite en faveur d'une alimentation libre.