Le marché aérien français change de visage
Une nouvelle étude de la DGAC enflamme l’imagination des spécialistes : à propos du marché aérien intérieur, elle renvoie en effet à des jours lointains, ceux d’Air Inter au faîte de sa gloire, alors que de mauvais esprits n’avaient pas encore inventé le TGV, pas plus que les low-cost d’outre-Manche. L’enquête a été menée auprès de 50.000 passagers, un bel échantillonnage, interrogés dans treize aéroports, donnant des chiffres riches en enseignements.
C’est l’analyse des lignes hexagonales qui est, de loin, la plus intéressante. Elle fait apparaître un rapport des forces en présence qui, bien sûr, n’a rien de nouveau, si ce n’est qu’il confirme la réalité tangible d’un véritable changement d’époque, résultat de tendances qui se sont installées à doses homéopathiques. Ou, à l’opposé, sont liées à l’inoxydable centralisation économique de la France, confirmée par le lieu de résidence des voyageurs qui, pour un bon tiers, entament leurs déplacements au départ de Paris et des départements limitrophes. Et, bien sûr, ils sont cadres ou exercent une professions libérale ou «intermédiaire», une topologie, à condition d’inclure les employés, qui compte pour plus de 69% du trafic intérieur d’origine Ile-de-France. Mais, à l’échelle nationale, les déplacements à titre personnel comptent pour les deux tiers. Enfin, point remarquable, les low cost détiennent 17% du marché, ce qui permet d’affirmer sans grand risque de se tromper que leur irrésistible attention est loin d’être terminée. Mais, cela, les économistes de la DGAC ne le disent pas, soucieux d’impartialité et de neutralité.
Les chiffres, eux, sont bavards. A condition de se livrer à une arithmétique prudente, on découvre que le trafic intérieur («domestique») d’Air France représenterait 16,6 millions de passagers, chiffre de 2011 obtenu en soustrayant le nombre de passagers internationaux du total européen. C’est un repère que l’on cherche en vain dans le rapport annuel d’Air France, ou dans les dossiers de presse de la compagnie. S’il est exact, il signifie que la compagnie transporte sur ses lignes intérieures moins de passagers que n’en comptait jadis Air Inter, 17 millions environ. Mais il convient de tenir compte de l’effet groupe et d’y ajouter les chiffres de Régional et Britair, un peu plus de 5 millions de passagers annuels à elles deux.
Les grands axes ne sont plus les mêmes, cela en traitant comme un tout les données Air France et EasyJet, Vueling venant à peine d’apparaître et Ryanair n’était pas concernée. Il n’est évidemment plus question depuis longtemps de la ligne de référence qu’était Orly-Lyon, carbonisée par la première ligne TGV inaugurée en septembre 1981. Et, comme par hasard, c’est Paris-Toulouse qui est en tête du palmarès (3,14 millions de passagers l’année dernière) grâce à l’absence remarquable de ligne ferroviaire à grande vitesse, un vrai-faux TGV couvrant la distance en cinq heures et demie. De quoi perdre patience et d’opter pour l’avion.
De même, Paris-Nice talonne la ligne de Toulouse, avec un peu plus de 3 millions de passagers, pour les mêmes raisons, l’absence de TGV. A l’opposé, Paris-Marseille suit à distance respectable, à peine 1,66 million de passagers, Aix-en-Provence et la gare Saint-Charles étant à 3 heures de Paris grâce à une grande vitesse ferroviaire à part entière.
Les transversales se traînent en bas du tableau (Bordeaux-Lyon, Toulouse-Lyon, etc.), toutes avec moins de 450.000 passagers par an. Les autres intervenants du paysage aérien français, Airlinair mise à part, jouent la carte du moyen-courrier, voire des longues distances. C’est le cas de Transavia, Aigle Azur, Corsairfly, Air Austral, etc. De manière générale, malgré quelques efforts méritoires (Air France à Lyon, notamment), le réseau en étoile centré sur Orly est immuable et, là encore, renvoie inévitablement à l’époque Air Inter. Autant les colonnes de chiffres Paris-régions sont richement garnies, autant celles qui recensent le trafic de région à région restent maigrelettes.
Du coup, crise ou pas, on finirait par négliger la bonne tenue de la demande, en hausse l’année dernière de 6,5% sur les lignes intérieures, grâce à un solide effet EasyJet et, sans doute, pour la suite des événements, au bon comportement des bases régionales d’Air France nouvellement créées. Reste que la domination parisienne est absolue, environ 88 millions de passagers enregistrés à CDG et Orly l’année dernière, tous réseaux confondus, Nice suivant de très loin avec un peu plus de 10 millions de passagers. Du coup, les mauvais esprits se posent une bien inutile question : si elle avait survécu, Air Inter aurait-elle fait mieux ?
Pierre Sparaco-AeroMorning