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L’Humanité disparaîtra, bon débarras !, Yves Paccalet, 2006

Publié le 23 août 2012 par Simplicitevolontaire

Posted in témoignage

La couvrture sang annonce la couleur : ce livre est dangereux !

Un livre à lire… si vous en êtes capable. Déstabilisant, anxiogène, cynique : son message peut amener au désespoir et à la plus stériles des apathies. Méfiez-vous, ne sous-estimez pas son impact. Bien que d’un naturel profondément optimiste, j’ai été moi-même profondément touché par ce livre, qui m’a laissé sans énergie, sans envie, (presque) sans espoir.

Loin du positivisme omnipotent, particulièrement écolo, Yves Paccalet livre dans « L’humanité disparaîtra… » les conclusions de 40 ans d’observation de l’humanité. Un constat accablant, dont on ressort accablé… mais aussi transformé.

Comment un livre peut-il vous affecter à ce point ? C’est ce que je vais tenter d’expliquer ici.

Yves Paccalet : philosophe de formation, écrivain de métier, militant de conviction.

Yves Paccalet en manteau jaune

Écrivain, journaliste, philosophe (diplômé de la prestigieuse ENS-LSH), Yves Paccalet a beaucoup écrit : plus de 80 ouvrages !

Passionné de nature, il rencontre le Commandant Cousteau en 1972, avec qui il travaillera durant 25 ans. Ils publieront ensemble une vingtaine de livres.

Yves Paccalet est longtemps resté en dehors du champs politique. Peut-être à l’image de son ami Cousteau, pour qui l’écologie était l’affaire de tous, et pas d’un parti en particulier. Il s’engage pourtant avec Europe Ecologie Les Verts aux régionales 2010 -où il est élu conseiller général- puis aux cantonales 2011 et enfin aux législatives 2012.

Critique sur les manœuvres politiciennes, libre penseur, il dénonce Jean-Vincent Placé (« il a [...] réussi à devenir une caricature d’arriviste ») et Cécile Duflot (« pas moins ambitieuse que Placé »). Il s’énamoure pourtant de Nathalie Kosciusko-Morizet, carriériste notoire. Celle-ci lui ayant remis la Légion d’Honneur, Yves Paccalet aurait-il cédé aux sirènes des honneurs ?

Yves Paccalet tient un blog depuis début 2007, sur lequel il publie régulièrement.

Un pamphlet rageur et ravageur

Attention, âmes sensibles, s’abstenir !

Écrit à l’acide pur, «L’humanité disparaîtra… » est le cri de révolte d’un militant écologiste de la 1ère heure. Les 40 ans de lutte, les batailles perdues ont détruit toute candeur. Ne restent qu’une désillusion profonde, un désespoir terminal.

J’ai cru en l’homme. Je n’y crois plus. J’ai eu foi dans l’humanité : c’est fini.

Yves Paccalet dénonce en 200 pages une humanité incapable d’éviter un désastre, pourtant longuement annoncé.

Nous, les Hommes*, sommes ainsi prisonniers des pulsions animales (sexe, territoire, hiérarchie…) qui nous mènent droit à la catastrophe. Notre intelligence est surestimée et dévoyée, car nous n’arrivons pas à l’utiliser à bon escient. Inaptes à prendre de la hauteur, à faire preuve de bon sens, les décisions nécessaires sont sans cesse repoussées, détournées, enterrées. Cette inconséquence finira par nous tuer, en détruisant la planète au passage.

Nous éliminerons de la planète un nombre élevé d’espèces, à commencer par la nôtre – la plus étonnante et la plus désastreuse ; la seule qui ait beaucoup de matière grise mais qui agisse avec le discernement du concombre de mer.

Yves Paccalet est un homme à la culture large et profonde. « L’humanité disparaîtra… » est truffé de bons mots et de références, les connaisseurs apprécieront. Cela lui permet d’avoir aussi le sens de la formule :

  • « Je pense, donc j’asservis »
  • « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit, à l’exception de la grande majorité d’entre eux »
  • « Aucun chimpanzé […] n’irait se suicider pour l’empereur du Japon des singes ou pour le Ben Laden des anthropoïdes. » [ndlr : ma préférée !]

L’humour, très présent, est aussi noir que la couverture est rouge. Il égaye -mais est-ce possible ?- un discours radicalement corrosif. « L’humanité disparaîtra… » est ainsi une véritable satire, qui (dé)tourne en dérision et tape là où ça fait mal. Et fait souvent mouche.

Les titres des chapitres sont révélateurs : « Dévorons nos bébés ! », « Quelque chose en nous d’un peu nazi », « Ah ! Dieu que la guerre est jolie », ou encore « Treize bonnes raisons de mourir ». Un humour au 4e degré, qui peut laisser un goût très amer.

Personnellement, je n’ai pas souvent ri, malgré la qualité des jeux de mots. Par contre, la vision de l’auteur, et plus encore le contexte, m’ont amené plusieurs fois au bord des larmes.

Sur la forme, on peut sentir quelques longueurs, un message (aigre) répété ad nauseam. C’est dommage car une démonstration plus concise et structurée aurait gagné en puissance. Il reste une vague impression d’inachevé : le nombre de pages augmente avec les chapitres, comme si le texte avait été de moins en moins retravaillé. Le feu d’artifice final se termine en pétard mouillé, le dernier chapitre étant particulièrement bâclé. Les « Treize bonnes raisons de mourir » rassemblent d’avantage à une collection sans queue ni tête de scénarios catastrophes. Plusieurs ne dépendent même pas des Hommes : à quoi bon jouer à se faire peur, sur des éventualités sur lesquelles nous n’avons pas prise ? Serait-on revenu aux temps des Gaulois, avec la peur permanente de recevoir le ciel sur la tête ?

« L’homme est le cancer de la Terre » : aigreur ou lucidité ?

La Bruyère disait que Corneille « peint les hommes comme ils devraient être », tandis que Racine « peint les hommes comme ils sont ».

Yves Paccalet, comme beaucoup, avait surtout fait du Corneille : optimiste, volontariste, partial. Il a ainsi participé à une vision déformée de la réalité.

Trois raisons à cela :

  1. Soi-même : tout militant cherche à convaincre. Il faut « vendre » ses idées, défendre sa cause, les rendre désirables aux autres. Difficile d’être à la fois commercial et journaliste, à la fois optimiste et réaliste.
  2. Les médias : ils formatent l’information. Toute idée qui s’éloigne trop des concepts communément admis est systématiquement ignorée voire dénigrée. Une « pensée unique » démontrée et dénoncée efficacement par Bourdieu et Noam Chomsky, entre autres.
  3. Le public (nous) : Personne n’aime les porteurs de mauvaises nouvelles. Personne n’écoute les Cassandres, même (et surtout) si leurs prévisions sont justes. Être réaliste, ce n’est pas bon pour l’audimat.

Cet optimisme béat, forcené, encadré, n’est pas le signe d’une société en bonne santé. L’histoire prouve que le refus de se remettre en cause est souvent le précurseur du déclin, voire de l’effondrement.

« Je n’entends partout que ces mots : ‘Parlez-nous d’autre chose ! Soyez positifs ! Divertissez-nous !’ ». ‘Du du pain et des jeux, pour ne pas voir que l’Empire s’écroule ?

Ne pas parler, ne pas voir, ne pas écouter

Ne pas parler, ne pas voir, ne pas écouter

A 60 ans, Yves Paccalet est fatigué de « singer l’optimisme », et d’ « entretenir des illusions – pour les autres comme pour moi-même ». Il se met donc à faire du Racine, et le résultat est un réquisitoire sans appel… contre l’humanité.

« Nous ne sommes ni le fleuron, ni l’orgueil, ni l’âme pensante de la planète : nous en incarnons la tumeur maligne. »

Un cri d’aigreur malheureux, ou bien une critique lucide et justifiée ?

Regarder le passé pour comprendre le présent : l’écologie de 1972 à 2012

L’écologie est globalement un mouvement qui prends son essor au début des années 1970 :

  • 1972 : 1er rapport du Club de Rome, fameux rapport Meadows « The Limits to Growth »
  • 1972 : 1ères victoires juridiques comme l’interdiction du DDT
  • 1972 : 1er sommet de la Terre à Johannesburg. Création du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement)
  • 1973 : 1er choc pétrolier, prise de conscience sur la dépendance aux énergies fossiles
Les prévisions de 1972 du Club de Rome se révèlent très justes 40 ans plus tard

Les prévisions de 1972 du Club de Rome se révèlent très justes 40 ans plus tard

40 ans donc que les discussions ont commencé. 40 ans que les limites d’un système non-renouvelable sont connues. Et 40 ans que le gouffre s’agrandit entre ce qu’il faudrait faire et ce que l’on promet, et entre ce que l’on promet et ce que l’on fait.

Même des avancées importantes, comme le protocole de Kyoto (malgré tous leurs défauts et limitations), sont aujourd’hui moribondes.

Cette lente dégradation peut être constatée dans les résultats des Sommets de la Terre :

  • 1992, 3e sommet de la Terre à Rio. 5 millions de personnes signent une pétition, présentée par le commandant Cousteau, alors surnommé « Captain Planet ». Lancement de l’ambitieux « Agenda 21 », constitué de 2 500 recommandations. La plupart ne seront jamais appliquée…
  • 2012, 5e sommet de la Terre à Rio (Rio+20). Des chefs d’États importants ne se déplacent même plus : Barak Obama, Angela Merkel, David Cameron… Les états abandonnent toute volonté politique, et s’en remettent à « l’économie verte » pour résoudre les problèmes : « Green is Green !». Un grand pas en arrière pour l’écologie, un grand pas en avant pour la marchandisation du monde.

Autre exemple : en 2002, Jacques Chirac, certes plus doué pour la prose que pour l’action, clame :« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». En 2012, son dauphin illégitime Nicolas Sarkozy résume d’un lapidaire : « L’écologie, ça commence à bien faire ! ».

La dévastation, elle, continue pourtant :

  • Épuisement des ressources : énergies, métaux, terres arables, halieutiques… Notre économie, notre vie, notre technologie sont basés sur l’exploitation à grande échelle de ressources non-renouvelables. Les stocks de beaucoup d’entre elles s’épuisent et deviennent de plus en plus difficile d’accès. Jusqu’à quand ?
  • Chute dramatique de la biodiversité : une espèce disparaît toutes les 5 minute ! Il ne s’agit pas seulement de quelques insectes et autres fleurs exotiques, mais bien des organismes au fondement de l’écosystème qui nous nourrit. Sans eux, on meurt. Point.
  • Chaos climatique : la concentration de CO2 dans l’atmosphère approche aujourd’hui les 400ppm, alors que 350ppm aurait dû être notre objectif. Même si nous arrêtions soudainement d’émettre du CO2 demain, la concentration reste environ une centaine d’année avant de diminuer (en ordre de grandeur). Le climat de ces dernières années montre des signes inquiétants, qui empirent… aurions-nous déjà franchi la ligne rouge ?
  • Les pollutions s’accumulent, et elles sont là pour longtemps : le CO2 en fait partie, mais aussi molécules chimiques (demi-vie du DDT : 15 ans !), « continent » de plastique poubelle flottant dans l’océan Pacifique, terres arables mortes et polluées, déchets nucléaires sur des centaines de millier d’années…

Yves Paccalet aurait-il donc raison ?

Un constat accablant : et après ?

Le livre propose un constat impeccable et implacable. Mais Yves Paccalet s’arrête là, et ne s’aventure pas sur le terrain des solutions. Un parti pris qui peut se justifier (rôle exutoire, rôle d’une satire). Difficile cependant dans ces conditions de ne pas ressortir du livre bouffi de désespoir !

C’est sûrement pour cette raison qu’Yves Paccalet corrigera le tir dès 2007, avec son livre suivant, « Sortie de Secours ». Ce livre, axé sur les solutions, constitue une sorte de ‘jumeaux positif’ de « l’humanité disparaîtra… ».

En attendant, on peut légitimement se demander quelles étaient les motivations de l’auteur en écrivant ce livre. A quels lecteurs est-il destiné ? Ce livre aide-t-il à résoudre ou dépasser les problèmes qu’il dénonce avec force ? Cette dénonciation plutôt violente, aide-t-elle à rendre le monde meilleur ?

C’est là que le bât blesse. D’une part, il est peu probable que des « non-convaincus » décident de lire cette démonstration à charge. De l’autre, pour quelqu’un d’informé, de convaincu, d’engagé, que va-t-il retirer de ce livre, si ce n’est un vain désespoir, et des excuses pour ne surtout pas agir ?

Il est compréhensible et habituel qu’avec les années -et l’expérience- la candeur s’évapore, que l’envie, la volonté -et parfois l’illusion- de pouvoir changer le monde se muent peu à peu en acceptation et en renoncements. Plus la personne est engagée, militante, volontaire, plus la chute est dure. Les attachements les plus forts créent les désillusions les plus dévastatrices. Le stéréotype du militant fatigué, fermé, aigri, n’est malheureusement pas une invention. Lorsque l’envie disparaît et fait place à la déception… est-il utile d’en faire profiter les autres ?

Ce que résume très bien l’adage : « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait ! ».

Pour nuancer ce propos, il faut tout de même remarquer que « L’humanité disparaîtra… » a eu un succès certain. C’est le livre d’Yves Paccalet qui s’est le mieux vendu, parmi 80 ouvrages ! C’est bien qu’il a trouvé son public. Il est même fort probable que ce livre aura finalement permis d’ouvrir les yeux à certains parmi ses nombreux lecteurs.

Table des matières :

  1. Un barbare à deux pieds sans plumes (page 9)
  2. Nous sommes tous des Papous (page 21)
  3. Dévorons nos bébés ! (page 39)
  4. Quelque chose en nous d’un peu nazi… (page 61)
  5. Ah ! Dieu que la guerre est jolie… (page 87)
  6. Treize bonnes raisons de mourir : (page 133)
    1. La météorite tueuse
    2. Le nuage interstellaire amenant un hiver perpétuel
    3. Les volcans en furie
    4. Le destin de l’île de Pâques (la déforestation généralisée)
    5. Les armes de destruction massive
    6. Gaïa défigurée (la révolte de la terre-mère)
    7. Le destin de la mer d’Aral (assèchement de toutes les réserves d’eau)
    8. Le sida du dauphin
    9. L’effondrement de la bio-diversité
    10. L’explosion de nouvelles épidémies
    11. Les moissons d’OGM
    12. Les trous dans la couche d’ozone
    13. Les climats en folie
  1. Conclusion : Fin de partie (page 183)

Liens :

Citations choisies :

«  Et Dieu les bénit, et il leur dit : « Croissez et multipliez, et remplissez la Terre ; et assujettisez-la, et dominez les poissons de la mer, et les oiseaux du ciel, et toutes les bêtes qui bougent sur la Terre ».

La Bible, Génèse, 28

« Seul un espace vital suffisant sur cette Terre peut garantir à un peuple sa liberté d’existence ». Mein Kampf, Adolf HITLER

« Partout où j’ai trouvé du vivant, j’ai trouvé de la volonté de puissance ; et même dans la volonté de celui qui obéit, j’ai trouvé la volonté d’être maître. »

Friedrich NIETZSCHE

« Les hommes d’aujourd’hui ont poussé si loin la maîtrise des forces de la nature, qu’avec leur aide il leur est devenu facile de s’exterminer mutuellement jusqu’au dernier. Ils le savent très bien,  et c’est ce qui explique une bonne partie de leur agitation présente, de leur malheur et de leur angoisse. »

Sigmund FREUD, Malaise dans la civilisation. (p133)

« Les hommes sont pervers ; ils seraient pires encore s’ils avaient eu le malheur de naître savants »

Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur les sciences et les arts.

« Partout, l’individu affronte l’individu, le groupe défie le groupe. Voyez ces philosophes qui se haïssent en dissertant sur la bonté universelle ! Regardez ces humanitaires qui se disputent l’aide aux victimes ! Examinez ces soldats de la vraie foi qui égorgent l’infidèle en psalmodiant : ‘Dieu est amour !’. »

* Homme = femmes + hommes = l’humanité. Que les lectrices me pardonnent ce machisme primaire, le féminisme ayant été sacrifié à l’autel de la légèreté du texte.


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