Magazine Journal intime

Cuba et le phénomène des sas touristiques

Par Eric Mccomber
Notre formidable consœur Héléna Blue consacre toute une série de billets à sa visite à Trinidad, le Carcassonne cubain. J'ai mis du temps à répondre, je tripote un commentaire depuis quelques jours, mais finalement, comme c'est long, si long que ça serait envahir une consœur et l'engloutir de ce qui pourrait passer pour du spam-politique ou presque tu trolling invétéré, je poste ici. À ceux et celles qui en ont la patience de se taper tout le truc de se faire leur opinion.
J'en ai pleuré. Oui. J'ai même fait une mini-tristesse de quelques jours. Stie, comment ma pote si sensible et intelligente peut-elle écrire de pareilles choses ?! Je crois que tu t'es fait un peu balader, chère amie Blue. Voici ce que j'ai à dire dans les circonstances; il y a plus, mais j'ai pas trop le temps.
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Sauve, Gard,
24 août 2012,
C'est systématique, les Français qui passent leur semaine à Cuba reviennent toutes et tous (et même vous deux, Blue et Pat, aye aye aye!) avec le même discours. Je suis d'avis qu'il aurait fallu y rester plus longtemps, pour en apercevoir même un minimum. Je ne prétends pas connaître ou comprendre Cuba. Je n'y suis allé que 11 fois, pour un piètre total d'une douzaine de mois. Mais… J'ai fini par piger ceci :
Là-bas, ils sont habitués à recevoir. Il y a une caste de parasites qui n'existent que pour ça. Dans les premières minutes, ils te classent. Ils posent trois questions, ils te jaugent, ils attendent de savoir… Si t'es du genre militant, ils te flattent dans le sens révolutionnaire, «el Che, Con Fidel y seguimos, aapreeeendimos a quererteeeee… blabla» (mon casting), si t'arrive plutôt désinformé par la vraie droite canadienne ou par la fausse-gauche hexagonale (99.999% des Français), ils te la jouent «ici, grossse dictature, pas le droit de parler, on doit se taire tous sinon…». Pas un voyageur pour s'étonner que ces-mêmes locaux aient justement «parlé» en leur présence en pleine rue, devant témoins, en face du local grand ouvert du terrible, sanguinaire, stalinien Comité de Defensa de la Revolución (deux grand-mères qui s'en foutent infiniment, assises à une table avec un Cubay et un paquet de cartes), après tout, nous sommes des occidentaux spéciaux… Pas comme les autres, uniques. Ils n'ont pas le droit de parole, mais ils osent avec nous, car ils sont en confiance (et chacun revient à la maison pour répéter cette super-confidentielle-révélation sur son blogue, au café, à la télé). Et on est séduit et on file en chuchotant un billet pour-ci, on paie une assiette par-là, et on sort, et un autre prend notre place et le discours s'inverse complètement ou se confirme… Je sais, je l'ai fait aussi. J'étais un véritable héros blanc libérador de las pobres mulatas… opprimées…
Évidemment, Cuba n'est ni l'un ni l'autre. Ce n'est pas le pays de Cocagne rêvé par le Che. Ce n'est pas non plus le pays Réaliste de Socialismo Tropical fantasmé par Castro. Sauf que c'est encore moins l'URSS caribéen rêvé par la CIA et son hochet hollywoodien. C'est un projet à moitié abouti, un chantier coincé, bloqué par l'embargo, par l'Armada, par tout ce qui peut bloquer un véritable agent de changement en ce monde où le mouvement est si pénible à initier, à commencer par les Cubains eux-mêmes ! Tant ceux qui sont arrivés aux postes clés et ne veulent pas risquer leur voiture de fonction que ceux qui sont confortables dans leur posture d'assistés râleurs ou de poètes d'état assurés d'un revenu minimal.
Il faut dépasser les trois semaines dans le même bled. À la deuxième semaine, une nouvelle vague de mains se tend, les plus subtils, les «amis». Ils vont te révéler des secrets, t'inviter dans l'intimité, quand c'est possible, ils te roulent des pelles, te donnent leur cul ou leur bite, te prennent avec eux dans le cercle d'amis. Ce n'en sont pas. Si t'as pas grand chose à plumer et que tu tombes pas en amour, que tu parles pas de mariage, le douzième, treizième jour, ces amis, hier intimes, se dématérialisent. Sshhhppp ! Dissous dans l'air ! C'est un phénomène qui se répète chaque fois. Tu les re-croises dans la rue, ils ne te saluent même plus. Ils voient à travers ta tête, le groupe qui descend du grand car à clim sur le Paseo derrière toi.
Tu passes ensuite cinq à dix jours très seul. Y a plus que les cafetiers à qui tu files plein de propino et les handicapés à qui tu passes des cigs qui te voient encore. Enfin, au début de la quatrième semaine, le Cubain ordinaire, celui ou celle qui vaque à sa vie hors du tourisme, qui ne fait pas partie des goélands embusqués, de ceux qui t'attendent avec leur histoire de «c'est atroce ici, on a pas de savon, ma grand-mère est malade, machin» ou leur roman de «yanqui no cuba si, hasta la victoria ñañaña…», ceux qui sont juste infirmière, instituteur, ingénieure, chauffeur de camion, journaliste même (dans ces journaux ou ces radios qui n'existent supposément pas), ceux-là soudain t'approchent sans mettre la main dans ta poche, même de la manière la plus sympa et subtile. Ceux-là n'en ont rien à foutre de ton plumage. Ils se demandent ce que tu fous là, alors que les plus acharnés ne restent que deux semaines… Ils sont curieux. Peut-être même qu'éventuellement, si véritables affinités, ils t'emmèneront voir du cinéma cubain, très fort et vivant, ou du théâtre expérimental, ou simplement un groupe de zique qui sort des normes (mais là, c'est fini pour toujours, tes croyances dans la dictature qui ne laisse personne s'exprimer ou dans le paradis du prolétariat).
C'est marrant, Blue, tu fais jouer du Orisha sur ton blogue, band tout de même plutôt dissident, connu pour des prises de position peu compatibles avec la ligne du parti, qui sont là-bas immensément populaires, mais tu maintiens cette imperturbable ligne éditoriale, selon laquelle il n'y a pas de liberté d'expression à Cuba. Le film cubain le plus connu et populaire demeure Fresa y chocolate, film hyper critique de la situation cubaine et de la réalité quotidienne et de l'état; le romancier vivant le plus sérieux de l'île (à mon avis) est Pedro Juan Guttierez, très cynique, très crade, sarcastique, sardonique, révolté (essaie juste de te faire diffuser dans notre bel occident liiibre avec pareil agenda); mais pas grave, on perpétue encore et toujours les mêmes vieux clichés anti-révolutionnaires.
N'a-t-on pas envie de rentrer au pays très sages de notre profonde expérience, convaincus plus que jamais que nos médias-si-libres donnent une vision juste et équitable de ce qui se passe là-bas, de ce qui se passe partout ? Il ne faudrait surtout pas parler de la révolution cubaine à des ouvriers cubains, honduriens ou guatémaltèques, il ne faudrait surtout pas lire leurs journalistes, leurs essayistes, leurs romanciers, écouter leurs reporters, non, non, non, il suffira toujours de dire aux compatriotes ce qu'ils savent déjà, ce qu'ils ont hâte de réentendre.
Cuba=dictature, Chavez=fou furieux, lutte sociale=voter tous les 5 ans, propos inhabituels=suspects. Ça sort de la même usine que Hemingway=macho, Bukowski=ivrogne, Fante=diabétique, Hamsun=nazi, Beauvoir=femme de Sartre, Bernhard=homosexuel… Ça sort de la même usine que BHL=de gauche, Hollande=de gauche, Libération=de gauche, Le Monde=de gauche, autrement dit, LES BANQUES=bon.
Bref… Chus bien triste, depuis que t'es revenue. Jolies photos, cependant.
Nota bene 1
En passant, c'est pas de la menthe, qu'ils mettent dans le mojito, c'est de la yerba buena, une plante vaguement apparentée, mais dotée de vertus médicinales qui lui sont propres, et dont un des ingrédients actifs interagit avec le rhum et les agrumes pour engendrer une sorte d'ouverture de la conscience du flux créatif, qu'Hemingway comparait aux effets de l'absinthe.
Nota bene 2
Vingt € par mois à Cuba, t'as rien dit, quand t'as dit ça. Évidemment qu'ils vivent tous, puisque sinon, ils serait morts ! Grr. Ils vivent d'aides, mais ces aides viennent justement des ponctions, de ce que la corruption laisse passer (même taux que chez nous ou chez vous, à peu de choses près). Ils vivent aussi de boulots, évidemment. Si tu vis dans une ville comme la Havane, où tu peux acheter ton appart pour 500$, gagner 240$ par année, c'est pas trop mal. C'est pour ça que les Cubains sont propriétaires de leurs habitations à 85%, contrairement aux Québécois, par exemple, qui aux dernières nouvelles se maintenaient de peine de de misère autour des 45%. Quand une formule soupe-plat-dessert-café-pinard coûte .80€, vivre de 20€ par mois devient possible. Ça sert à quoi, ce genre de statistocs, extraites de leur contexte !? C'est simplement que la spéculation et l'inflation à Cuba ont été enrayées vers le début des années 70. Du coup, localement, leur monnaie achète une fortune. Sa valeur sur les marchés mondiaux est fixée par les grandes banques à devises comme la Federal Reserve, qui appartiennent aux mafieux que les révolutionnaires ont foutu à la porte et expropriés de Cuba en 58. Puedes ver, a hora ?
Nota bene 3
Je ne saurais trop te recommander de lire un peu de Jose Marti, de te taper quelques livres d'histoire écrits par des non-nordistes, Eduardo Galeano, Paco Ignacio Taibo, ou même Ernesto Guevara Lynch de la Cerna lui même (plutôt que d'avaler directement ce qu'on en dit dans les rédactions des Rothschild). Après, y aura moyen de te faire ta propre idée.
Nota bene 4
Sur l'absence de médias à Cuba, je dois protester avec une certaine lassitude. Voici déjà quelques journaux cubains à découvrir (mais il y a aussi une vraie pizza de périodiques, de feuillets, de samizdats) :
5 de Septiembre ; Adelante (Habana) ; Ahora (Habana); Bohemia (Habana); El Economista ; Le Habanero (Habana); Escambray (Habana); Escambray (Sancti Spiruts) ; Girón (Habana); Granma Internet; Invasor (Habana); Juventud Rebelde ; La Demajagua (Habana); La Nueva Cuba ; Notinet (Habana); Nueva Prensa Cubana (Habana); Opciones ; Periódico 26 ; Victoria (Isla de la Juventud); Pionero (Habana); Prensa Latina ; Sierra Maestra (Habana); Trabajadores; Tribuna de La Habana (Habana); Vanguardia (Habana); Venceremos
Journaux cubains
Quelques radios cubaines :
Amancio; Arroyo Arenas; Artemisa; Bayamo; Camagüey; Central Brasil; Cienfuegos; Guaimaro; Guines; Havana; Holguín; La Habana; La Salud; Las Tunas; Matanzas; Nuevitas; Nuevitas; Palma Soriano; Pinar del Rio; Puerto Padre; Rodolfo Ramire...; Santa Clara; Santa Cruz del...; Santiago de Cu...; Trinidad; Yaguajay
Radios cubaines
Un poste de télé cubain en-ligne (attention, je chie avec autant de vigueur sur leur télé que sur les autres, toutes sans exception et par nature même, au service du statu quo, mais, j'inclus pour la forme) :
Télé cubaine
© Éric McComber

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