Sur son Blog et dans l'hebdomadaire l'Express', Jacques Attali vient de rédiger un billet intitulé L'audace par nécessité. Il y fait l'inventaire des réformes "ne coûtant rien" et "pouvant engendrer de la croissance".
Or, j'ai découvert, avec plaisir, que certaines de ses propositions sur la fiscalité et l'urbanisme allaient dans le sens des idées que je défend depuis des années. On dirait parfois que Jacques Attali m'a lu ! Mais, comme nous allons le voir, c'est peu probable car sa réflexion générale me semble très critiquable et je ne vais pas me priver d'exercer mon regard critique sur sa réflexion !
Revenons sur ses propositions.
"3: Reprendre aux maires le pouvoir d'attribuer les permis de construire afin de donner à l'Etat les moyens de libérer des espaces destinés à la construction et d'augmenter massivement la hauteur des immeubles dans les grandes villes ..." Jacques Attali utilise une idée que je défends depuis des années et qui peine à s'imposer pour l'instant : il faut reconcentrer notre habitat et faire baisser les tensions sur le marché immobilier. La seule solution est donc le rehaussement des immeubles existants. J'ai écris de nombreux articles sur cette question, on lira particulièrement La surélévation d'immeuble, une solution concrète à nos crises qui contient tous les liens vers les autres articles consacrés à ce thème.
"7: Créer des emplois de chauffeur de taxi en accordant, partout dans le pays, de nombreuses nouvelles autorisations, en priorité aux salariés des compagnies, en compensant les éventuelles pertes de patrimoine des détenteurs de plaques actuelles par une minuscule contribution des utilisateurs. Jacques Attali a compris l'utilité des mécanismes des petites contributions qui peuvent servir de leviers pour déclencher des réformes de fond, idée que je défend autour d'une évolution de la fiscalité vers des systèmes de contributions incitatives.
Le débat récent autour du prix de l'essence a montré ce chiffre édifiant : 1 centime d'augmentation du prix de l'essence, c'est 500 millions de recettes supplémentaires, c'est bien peu pour le consommateur (et pour les multinationales pétrolières!) mais c'est beaucoup pour les pouvoirs publics qui cherchent des moyens de continuer à investir pour sortir de la crise et réussir la transition énergétique. Cette idée de "minuscules contributions" mérite réflexion à condition de réfléchir à leur progressivité.
Jacques Attali a aussi compris l'intérêt d'augmenter le nombre de taxis, il le voit comme un moyen de créer des emplois. Il n'est pas sûr qu'il le comprend aussi comme un moyen de remplacer une partie des voitures individuelles, solution particulièrement intéressante à condition d'avoir une politique globale d'offre en temps réel, à partir d'un système de réservation par téléphone portable.
Par contre, Jacques Attali ne fait pratiquement jamais référence à l'écologie, qu'il limite en général dans ses écrits à la défense de la nature. Il ne semble pas faire le lien entre crise économique et crise écologique. Il a une vision du monde, hélas banal et dépassé, qui considère l'horizon des sociétés humaines dépendantes uniquement du Graal de la Croissance. Sans elle, point de salut !
Finalement, Jacques Attali correspond assez au portrait que j'esquissais dans un article intitulé Pourquoi tant de scepticisme devant le réchauffement climatique et autre catastrophes annoncées?:
Prenons (...) le cas d’un homme d’une soixante d’année, né après la seconde Guerre mondiale, vivant dans un pays développé, et disposant de revenus corrects ou confortables. Celui-ci ne peut souvent comprendre ce qui est en train de se passer car il a connu les décennies de développement fulgurant qui ont suivi le second conflit mondial. Les ralentissements économiques qui ont eu lieu après cette période n’ont guère ébranlé son niveau de vie, et des périodes d’embellies (la révolution internet et numérique de la fin du XXéme siècle) ont renforcé sa croyance en des périodes cycliques avec des hauts et des bas. La victoire du capitalisme sur le communisme a accru sa confiance dans un système économique et politique qui lui a apporté prospérité et santé. La notion de progrès de l’Humanité est fortement ancré dans sa mentalité. On comprend mieux alors son incrédulité devant la crise planétaire dont on lui raconte la menace. Les ours polaires qui nagent dans l’eau glacé lui semble bien lointain et il ne se voit pas changer un mode de vie qui lui a toujours réussi.
Jacques Attali est un homme intelligent mais les historiens savent bien que les hommes sont représentatifs de leur époque: leur intelligence est bornée par leur environnement et leur propre histoire. A cet égard, Jacques Attali est emblématique de son temps et de son milieu. C'est regrettable car les Elites occidentales et françaises ont besoin de comprendre la dimension écologique de nos crises, s'ils veulent la dépasser et proposer des voies pertinentes pour en sortir.
PS: Sur un sujet différent, que je connais bien puisqu'il s'agit de ma profession, on voit aussi à quel point la méconnaissance et les représentations fausses peuvent réduire le jugement de nos Elites:
"2-Réformer l'école primaire en développant l'enseignement sur mesure pour réduire l'échec scolaire". Belle et noble idée ! Mais idée qui ne tient pas pour deux raisons:
-la personnalisation des parcours est une réforme en cours dans l'école française, elle est complexe et demande du temps pour se mettre en place, du temps de travail pour les enseignants, du temps de formation pour faire évoluer les pratiques, il faut une ou deux décennies pour voir les résultats d'une réforme aussi ambitieuse.
-cette réforme-là a un coût car, pour personnaliser les parcours des élèves, il faut davantage de temps qu'un enseignement qui serait le même pour tous et parce que la formation des professeurs coûte de l'argent public.
Mais, nous sommes bien d'accord, l'Education est un investissement indispensable pour notre Nation.