Je n’ai pas pour habitude de parler de moi et de ma vie personnelle sur ce blog, privilégiant les idées, les opinions, autrement dit mon positionnement politique. Mais je vais faire aujourd’hui une exception, actualité oblige. Il se trouve que je suis un vieux routard de ce que l’on nomme dans notre jargon l’insertion sociale et professionnelle de publics en difficulté, dont les jeunes sans qualification sont une variante. J’ai travaillé pendant plus de 20 ans dans ce domaine, sous différents angles : « formation », accompagnement à la recherche d’emploi, mission locale pour l’emploi des jeunes, insertion par l’activité économique, cabinets de « consultants », développement local en milieu rural, etc… Aussi, inutile de vous dire que des mesures pour l’emploi, j’en ai connues, des vertes et des pas mûres, avec lesquelles j’ai jonglé parfois. J’en ai même expérimentées personnellement, ayant eu l’insigne honneur de subir à l’occasion de mon entrée (très pénible) dans la vie active les premiers TUC (Travaux d’Utilité Collective) sous l’estimé patronage de Monsieur Seguin, alors maire de la ville d ‘Epinal, où j’habitais. Emplois à mi temps, payés même pas le smic, sous prétexte que le statut était celui de stagiaires, et non de salariés. Baisé sur toute la ligne. Comme dirait quelqu’un que j’ai connu, « vive l’exploitation de l’homme par l’homme », alors que lui-même, autrefois commercial avec des paies royales, se voyait contraint à son âge par les vicissitudes de l’existence à occuper un CES, dont le TUC était l’ancêtre. Il y avait pourtant du mieux : emploi à mi-temps, payé un demi-smic. Pas de quoi vivre cependant. Puis vinrent les emplois jeunes. Souvent dévoyés par des employeurs qui saisissaient l’effet d’aubaine en utilisant une main d’œuvre certes jeune mais souvent d’un niveau d études supérieur afin de développer à peu de frais leurs activités, cette mesure suscitait de grosses illusions chez les jeunes qui se donnaient à fond, sans compter pour la plupart, dans l’espoir de bénéficier à l’issue d’un emploi durable, ce qui n’était pas toujours le cas.
Les contrats d’avenir présentés aujourd’hui, qui s’en inspirent, sauront-ils éviter cet écueil, en restant réservés véritablement aux jeunes les plus en difficulté ? Contribueront-ils vraiment à leur insertion durable ? J’en doute fortement. Le marché du travail ne se montre déjà pas en capacité d’intégrer ces jeunes à cause de l’insuffisance d’emplois peu qualifiés, et cela depuis plus de vingt ans. Alors, vous pensez, en période de crise et de raréfaction des emplois, quel avenir pour nos jeunes ? Considérer qu’alors qu’ils sortent du système éducatif, il suffirait de les former (à moindre frais probablement, et donc sur des formations courtes, d’autant plus que la durée minimale possible est d’un an…) pour que le problème soit résolu m’apparaît naïf et illusoire.
Il serait en outre intéressant, comme l’UGICT-CGT se le demande, de savoir si ces contrats, déjà dérogatoires au droit commun, ne seront pas de nouveaux contrats précaires qui se substitueraient à d’autres emplois ou recrutements prévus. Je me posais moi-même la question. De plus, ces contrats d’avenir, ciblés sur les collectivités territoriales, entreront en contradiction avec la loi du 12 mars 2012, qui prévoyait de limiter les emplois de contractuels dans la fonction publique afin de lutter contre le phénomène de précarité dont souffre ce corps d’Etat.
De toute façon, par delà cette mesure qui risque fort de se révéler anecdotique et qui n’entamera en rien sauf à la marge le chômage de masse des jeunes, c’est selon moi tout notre système économique qu’il s’agit de réformer. Et tant qu’il sera basé sur la seule recherche de profit à court terme au détriment de toute autre considération, notamment d’équilibre sociétal, nous ne verrons pas le bout de ce chômage récurrent, qui à présent ne touche plus seulement les jeunes, mais toutes les populations, y compris les plus qualifiées. L’emploi se fait de plus en plus rare, ceux qui en cherchent le savent bien, et ce ne sont pas ces contrats qui y changeront quoi que ce soit.
Mais il est probable que d’habiles commentateurs pourront toujours se rassurer avec la théorie du « c’est toujours mieux que rien »… Ce rien dont notre société se contente depuis trente ans. Et toi, ami lecteur, à quand ta prochaine charrette ?