A faire retour sur les époques traversées et leurs vestiges, ce que
nous y apprenons pour nous même : que le monde change continuellement
alors que nous le traversons, et sans forcément qu’on y prête attention. Ce
qu’on perd, ce qu’on gagne procède des mouvements de ces mouvements profonds
qui nous façonnent. Régulièrement et discrètement des objets s’échappent de nos
usages, de notre ordinaire pour rejoindre la nuit hantée des souvenirs et des
histoires qui sont souvent une même chose ; pour rejoindre les livres qui
en font, mine de rien, la collecte patiente. On peut par le ressouvenir des
objets, des visages et des lieux tenter de refaire le chemin à l’envers ;
et tenter d’y lire au présent ce qui nous fonde. Un peu à la manière du je me
souviens ou du W de Perec, l’autobiographie des objets invite à
refaire pour soi cet inventaire des usages égarés, devenus peu à peu mythiques
de ne renvoyer à plus rien de concret dans notre vie d’aujourd’hui et qui y ont
pourtant mené, évoluant jusqu'à ces descendances modernes que nous pratiquons
comme des évidences. Et ce qui m’étonne moi avec mes années en moins c’est d’en
avoir connu quelques uns de ces objets qu’on abandonne au bord du chemin ou
qu’on remet à des boites dans le fond de placards sans vraiment s’en rendre
compte (des objets qui ne diraient plus rien à mes collégiens d’aujourd’hui).
Seulement : notre monde se faisait autre en parallèle de ces mouvements
qui impliquaient l’époque par une modernité toujours renouvelée, et de tout ça
on faisait la conquête pour nous même, comme on gagnait en autonomie, comme on
gagnait notre âge adulte sans réaliser qu’il n’était déjà plus celui de nos
parents et qu’il nous faudrait bientôt le construire de nos mains comme on
trace un territoire neuf. Il n’y a pas de disparition brutale des choses. Ou
bien cette brutalité est rétrospective et on n’en prend conscience que bien
après. C’est plutôt que constamment un monde s’efface à la faveur d’un autre,
glissant l’un dans l’autre en un fondu enchainé, des usages se perdant sans que
l’on en prenne sur l’instant la mesure. A y revenir on remarque mille autres
chemins possibles et on s’explique ce qui a déterminé qu’on emprunte celui qui
mène à nous aujourd’hui, et bien sûr le monde était vaste qu’on a traversé d’un
mouvement sans savoir et reste le sentiment d’avoir échappé quelque chose dans
la grande courbe, de s’être fait dépouiller des possibles. Même expérience qu’à
regarder à la fenêtre du train les choses que la vitesse arrache à l’œil sans
bien savoir qui de nous ou du paysage est emporté.Autobiographie des objets, François Bon, Seuil, aout 2012, 18€