Magazine Culture

Mont-saint-Michel : achever les Mont-ribonds !

Publié le 31 août 2012 par Tchekfou @Vivien_hoch

S’il y a des voyages caricaturaux, des défigurations modernisantes, il m’apparaît bien que le voyage à la vieille abbaye en soit un triste paragon  ! On peut affectionner le voyage mythique à travers la baie pour son côté exotique, rester les bras ballants face au soleil se couchant sur l’abbaye tel l’orang-outan devant une banane mûre, ou rêvasser sur les murs millénaires comme un ado neurasthénique, n’empêche : sur place, un désert spirituel, le zéro degré kelvin de l’élévation : même les pierres pleurent !  Comme bon fils de jésuite, mettons nous donc en situation, et, pas à pas, parcourons donc ce chemin de la décrépitude morale occidentale.

Je suis arrivé au Mont par la route. Celle du Mos Majorum, du peuple, de la masse. La fabrication d’un peuple d’élites étant la marque d’une religion d’élus, et le christianisme étant par essence démocratique, je ne me voyais pas y arriver par un chemin de traverse ou une voie du sommet des pyramides, ni dans l’organisation soviétiquement planifiée d’un pèlerinage de groupe. Plutôt la marche du pécheur solitaire qui espère la délivrance de ses péchés par sa démarche pénitentielle et l’accueil dans les bras du Père, dans une version moderne de micro.

On se gare donc au milieu de nulle part, dans un champ marécageux asséché aux odeurs méphitiques, accueilli par quelques porteurs de l’élégant gilet obligatoire et jaune naturel. Au loin, un reflet de pissotière version XXIème siècle, de verre et de granit gris, fait deviner qu’une survie moderne doit y être organisée. On se dirige donc au droit, en plein cagna, on traverse un hameau hésitant entre gare glauque et poste frontière soviétiforme, puis on oblique à pied vers le Mont qui se dresse au loin. La dernière portion de route, censée être l’accouchement de l’âme, l’arrivée au bout du voyage, a la poésie d’une portion d’autoroute en construction, la longueur d’une piste d’A380, les odeurs de vase de station d’épuration. Quant à la vue, le rare héron s’enrichit de profils de grues Potain ; les cellules monastiques se dédoublent de Portakabin posés sur esplanades de vase, et les moutons des pré-salés se baladent entre des bulls Caterpillar.  Des cars à double commande roulent à tombeau ouvert pendant que deux bobos barbus se baladent dans une … Bref, à l’horizon près, l’ambiance tourne au périph’…

On passe la porte de l’Avancée : la place qui filtrait les inconnus sert maintenant d’entrée pour des pissotières tenues par une femelle de type mandrill si j’en ai pu jugé par ses couleurs faciales. On passe la porte du Roi et le grand bordel consumériste s’ouvre à nos yeux ébahis. La Maquerelle Poularde abat les omelettes pour sino-japonais à tour de bras de stagiaires blafardes, et des boutiquiers lipideux fourguent des sandwiches qui font monter la SNCF au rang d’étoilé Michelin pour le goût et d’Armée du Salut pour le prix. Un racoleur recyclé braille “La cage de fer, les tortures, les oubliettes, les cachots, l’archéiscope”, comme à l’entrée d’un bordel douteux de Vladivostock. A la place d’arme, cinq déplacés de banlieue (vacances gratos pour voir la mer qu’ils ont jamais vu les pôv’ petits) marmonnent devant des écrans débilitants en se déglinguant les tendons du pouce ; une famille de gros suent en traînant des tongs pendant qu’un fille se prélasse avec des potes dans une pose filipettienne.

N’ayant rien prévu que le repos de l’âme et l’accueil monacal, je me joins à la queue qui se forme dans les marches. Entre une pré-ménopausée qui brandit son décolleté à 4 cm de mon nez et deux analphabètes qui bavardent foot, j’attends qu’une caissière  me fasse payer le droit de visite à l’abbaye. L’arnaque effectuée, nous plongeons en troupeau bêlant sous les pierres et dans l’ombre…

Évidemment, je ne nierai pas qu’une certaine paix règne dans les hauts, ni qu’un mystère enveloppe les voûtes, les célestes du haut de l’âme et celle des tréfonds du cœur. Ni que cette contemplation ne touche “quelque part au niveau du vécu”. Mais dans ce barnum moyen-âgeux, les derniers-premiers moines se font discrets, trop peut-être (mais, me mettant à leur place, nulle évidence !). Reste que le christianisme n’est pas une religion des pierres mais du cœur et des hommes. Une religion du Dieu incarné et non des murs d’un Temple qui n’a pas tenu quarante ans. Car le seul Temple chrétien est celui du Cœur transpercé du Juif Ressuscité, pas le mortel mur de l’immémorial œuvre de Salomon. Et les pierres du Mont Saint-Michel me paraissent être devenues des paraboles occidentales, des cymbales creuses qui résonnent dans le vide, un temple mort de n’avoir plus de sens, une abbaye mercantile qui perd les hommes et ses clients.

Je refuse donc à la tête de mon empire les commentateurs des géomètres qui vénèrent comme idole ce qui a servi à bâtir et, de ce que les émeut un temple, adorent son pouvoir dans les pierres. Ceux-là me viendraient gouverner les hommes avec leurs vérités pour triangles.

St-Exupéry, Citadelle

Bref, après cette visite douloureuse, je ne vois que 2 alternatives :

  • détruire le Mont, et laisser les goélands et autres sternes reprendre le caillou que le Créateur avait généreusement laissé pour Le contempler ;

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Tchekfou 38994 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte