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Emplois d’avenir : morale et statistiques

Publié le 31 août 2012 par Copeau @Contrepoints

Avec les "emplois d'avenir", qui visent à aider les jeunes sans diplôme de 16 à 25 ans vivant dans des zones défavorisées, le gouvernement Ayrault semble vouloir reproduire l’expérience des "emplois jeunes" du gouvernement Jospin, qui s'était pourtant soldée par un échec, selon une étude du Centre d’Études de l’Emploi (CEE).
Par Acrithène.

Emplois d’avenir : morale et statistiques

Michel Sapin, ministre du Travail, lors de la conférence de presse sur les emplois d'avenir.

Il y a un millénaire déjà, les chinois, soucieux de recruter les mandarins parmi les candidats les plus instruits de leur empire, recopiaient leurs copies afin d’en garantir l’anonymat. Et le principe selon lequel l’argent public devait être dépensé de la plus efficace manière, c’est-à-dire en recrutant les meilleurs, inspirait également jusqu’à maintenant tant le mode d’attribution des marchés publics que de recrutement des serviteurs de la République française.

Si la manière de sélectionner les meilleurs fait régulièrement débat, le principe semblait consensuel. Mais avec les emplois d’avenir, le gouvernement regarde résolument vers l’innovation. En réservant des emplois rémunérés aux trois quarts par l’argent des contribuables aux candidats détenteurs d’un certificat de médiocrité scolaire, le socialisme dépoussière la vieille méritocratie bourgeoise. À en croire le communiqué du conseil des ministres, vous ne pourrez prétendre à ces 150 000 emplois si vous êtes bachelier ou mieux, à moins de vivre dans une région particulièrement frappée par le chômage.

Emplâtre sur une jambe de bois, a déclaré M. Juppé. Analysons donc d’abord la jambe de bois.

Sur le marché du travail, on ne peut espérer trouver un emploi que lorsqu’on prétend à un salaire inférieur à notre productivité, seule condition à laquelle notre employeur rentrera dans ses frais. Or, dans un élan d’humanisme, la France a inscrit dans la loi qu’aucun de ses citoyens n’avait une productivité mensuelle inférieure à 1425€. Amoureuse de la pipologie technocratique, la République a appelé cela « salaire minimum interprofessionnel de croissance » (SMIC).

Hélas, malgré la proclamation du législateur, notre jeunesse sans expérience professionnelle, et parfois trop légèrement instruite, n’a pas toujours une productivité deux fois supérieure à la moyenne mondiale, soit environ 700€ par mois. Mais plutôt qu’être cynique et antisocial, nous préférons chérir notre proclamation généreuse et exclure de l’emploi des milliers de jeunes encore en quête d’expérience. Voilà donc la jambe de bois.

Les emplois d’avenir ne sont pas le premier emplâtre. Les étudiants des grandes écoles connaissent tous les stages, une exception au SMIC qui leur permet de faire leurs premières armes. Mais seuls les étudiants peuvent en bénéficier. Avec les emplois d’avenir, le gouvernement concède, semble-t-il, qu’une autre partie de la jeunesse vaut à peine le quart du SMIC, soit 356€ par mois, vu qu’il ne la croit pas employable sans que les trois quarts restants reviennent à la charge des contribuables plutôt qu’à l’employeur. Un nouvel emplâtre qui n’est pas sans rappeler celui posé, une décennie auparavant, par le gouvernement Jospin.

Un investissement à rendement négatif

Emplois d’avenir : morale et statistiques
La justification officielle de cette subvention à la jeunesse est que ce premier emploi fictif a une vertu pédagogique et, en donnant une première expérience professionnelle, donne de la valeur au jeune sur le marché du travail. Un peu comme l’année d’internat en médecine. Une rampe de lancement, pourrait-on dire, qui coûte près de 13 000€ à l’État annuellement, soit davantage qu’une année d’études universitaires.

On pourrait discuter longtemps de l’intérêt réel d’envoyer un jeune découvrir le monde du travail au travers de trois années dans une association subventionnée ou dans une collectivité publique. On pourrait contester qu’une telle « formation » lui apporte la moindre valeur sur le marché du travail. Mais plutôt que de nous lancer dans de trop classiques et péremptoires diatribes contre la fonction publique telles qu’on les entend dans les cafés, jetons un œil sur le bilan des emplois-jeunes de M. Jospin, plus proche élément historique de comparaison.

En mai dernier, le Centre d’Études de l’Emploi (CEE) proposait une étude [1] d’impact en se basant sur un échantillon de 10 000 personnes entrées sur le marché du travail en 1998 et dont on connait les caractéristiques scolaires et sociales, ainsi que leur trajectoire professionnelle jusqu’en 2008.

La première chose qui frappe dans cette étude, c’est que bien qu’un emploi-jeune sur trois aboutisse à un emploi public, le chômage est omniprésent à l’issue de 5 ans de l’expérience professionnelle à la Jospin. 46% des jeunes ayant été au terme de leur emploi-jeune se sont retrouvés au chômage. Trois ans plus tard, encore 20% d’entre eux étaient sans emploi.

Mais en bon statisticien on ne peut s’arrêter sur cette vision très négative des emplois-jeunes. Un avocat socialiste pourrait en effet défendre que la population des emplois-jeunes avait à la base des perspectives d’emplois moins favorables, et que sa situation eut peut-être été pire sans cette subvention providentielle. Sur la première partie de l’argument, au moins, aurait-il sans doute raison.

Pour répondre à cette plaidoirie, le CEE utilise une méthode statistique intéressante appelée matching. Elle consiste pour chaque jeune ayant bénéficié d’un emploi-jeune à trouver son jumeau parmi les milliers de jeunes non bénéficiaires dans cette génération de 1998. Ainsi chaque emploi-jeune présent dans l’échantillon est matché avec le non-bénéficiaire lui ressemblant le plus en termes d’âge, de sexe, d’origine sociale (profession des parents…), de diplôme, de cause d’arrêt des études, de rapport au travail (petits boulots, première expérience…)…

La comparaison entre l’emploi-jeune et son alter-ego non subventionné fait apparaître, dix ans après, deux choses :

  • Aucun effet statistiquement significatif en termes de qualité de la situation professionnelle actuelle (chômage, CDD, CDI…),
  • Un retard de plus de 200€ dans le salaire mensuel, et ce en défaveur du bénéficiaire de l’emploi-jeune.

À en croire ce bilan, les milliards qui seront consacrés aux emplois d’avenir pourraient trouver meilleurs usages. En particulier, on ne souligne jamais à quel point l’impôt est destructeur d’emplois. En effet, toutes les mesures d’aides à des emplois particuliers, qu’ils soient dans des industries subventionnées, dans les ministères ou les associations décrétées d’utilité publique se répercutent nécessairement sur la pression fiscale et le coût du travail dans le secteur marchand. En termes clairs, on aurait créé de vrais emplois en allégeant les charges sociales du montant de l’aide promise aux cancres de la nation.

Reste que le plus cocasse est que cette aide à la jeunesse étant financée par de la dette, il reviendra précisément à la jeunesse de la payer, augmentée de la charge des intérêts…

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Sur le web.

Note :

  1. Trajectoires et mobilités après les emplois-jeunes, Bernard Gomel in n°37, Relief. Échanges du Cereq, mai 2012 O8.4830/37.

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