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Mediapart, chronique d'une normalisation ?

Publié le 05 septembre 2012 par Juan
Mediapart, chronique d'une normalisation ? Le site d'informations s'est créé au lendemain de l'élection de Nicolas Sarkozy. Comme d'autres, il a fait florès dans la couverture critique du précédent quinquennat. Basé sur un modèle économique indépendant et rigoureux, Mediapart s'en est sorti. Malgré des attaques souvent violentes.
Assez vite, Nicolas Sarkozy et ses sbires, d'ailleurs, l'ont rapidement qualifié d'officine de la gauche (voire du parti socialiste), quand les plus gros scandales de Sarkofrance y ont été débusqués.
On croyait que le départ de Sarkozy aurait changé le journal. Non pas que Mediapart devienne un site hollandolâtre, mais qu'il trouve sa voie et sa voix, toutes deux indépendantes du traitement de l'actualité politique habituellement par ses confrères.
Et bien non. Mediapart s'est aligné sur la ligne générale. Sans davantage de scoops ni d'enquêtes, il a plongé dans la critique - oserait-on dire l'opposition quasi-systématique au nouveau pouvoir.
Depuis le mois de mai, il n'a pas fallu attendre bien longtemps.
Voici la chronique d'une autre normalisation presque inattendue.
Mediapart, avant.
Les deux coups d'éclats - s'ils peuvent être qualifiés ainsi - furent l'affaire Woerth et les documents Takkiedine. Le premier scandale fut révélé par Mediapart le 16 juin 2010, jour de la présentation de la réforme des retraites par l'ancien ministre du Travail. D'autres médias s'étaient vu proposer les enregistrements pirates du majordome de Liliane Bettencourt, mais seul Mediapart les a publié in extenso. Ces enregistrements, riches en révélations, ont éclairé l'enquête des juges, précipité la chute du ministre, porté un coup décisif à la République irréprochable de l'ancien monarque.
Autres lieux, autre affaire, plus grave encore puisqu'on y traitait de collusion, de corruption, d'armements, de morts et d'espionnage: les documents Takkiedine. Ces derniers, publiés au fil de l'eau tout au long de l'été 2011, nous ont fait découvrir certains côtés obscurs de Sarkofrance.
Dans les premières heures du nouveau quinquennat, le site Mediapart avait laissé quelque répit au nouveau gouvernement. Mais on sentait l'impatience poindre.
 
Le 6 mai, la Rédaction de Mediapart semblait heureuse: « Sarkozy battu par Hollande: enfin libérés ! ». Et, Laurent Mauduit publie déjà l'un de ses parti-pris: « Enfin! Les difficultés commencent », en qualifiant Hollande de « réformiste sans excès ». Le 9 mai, Edwy Plenel s'adresse au président Hollande, il était pressé du changement (« N'écoutez donc pas les conseils qui vous serineront qu’il faut laisser le temps au temps. C’est le refrain de ceux qui gouvernent par adaptations successives, c’est-à-dire par résignations cumulatives.»), surtout contre le présidentialisme.
En mai, les critiques restent encore modestes. Mediapart a encore quelques scoops à livrer sur les affaires d'un passé encore récent. Et Hollande n'a pas encore de majorité. Le site attaque quand même le scandale des notes de frais des députés - en prenant en exemple un député ... socialiste (« Scandale des frais : les députés peuvent aussi se construire un patrimoine immobilier » ; « Le député Terrasse traque nos sources, le PS regarde ailleurs»)
Chevalier blanc
Assez rapidement, la composition des équipes lui permet aussi d'enfourcher l'un des chevaux de bataille préféré, les conflits d'intérêt. D'ailleurs, c'est davantage le passé des promus que la réalité d'un conflit existant qui inquiète Mediapart. La nomination de David Kessler à l'Elysée est ainsi l'occasion d'une charge très virulente qui en surprit plus d'un (y compris l'auteur de ce blog), précipitant la publication d'une chaîne de billets sur les conflits d'intérêts de la blogosphère: « Le choix de David Kessler et Pierre Lescure: La gauche, les médias et les conflits d’intérêts ».
Le 31 mai, Edwy Plenel s'explique sur « Mediapart, la gauche et l’indépendance. » A-t-il conscience d'un glissement ? Il s'en défend: « Mediapart sera, sous la gauche au pouvoir, ce qu’il fut sous la droite : un journal d’information, indépendant et participatif, assumant sans états d’âme sa fonction de contre-pouvoir démocratique. L’inverse serait nous renier nous-mêmes et, surtout, trahir votre confiance.» Et il ajoute: « un contre-pouvoir est, par essence, le censeur du pouvoir. L'interpellation est légitimement plus forte envers ceux qui détiennent le pouvoir, avec ce qu'il suppose de tentations et de facilités.» Qui sera le contre-pouvoir du contre-pouvoir ?
Juste après le résultat des élections législatives, Mediapart enchaîne sur le terrain politique. Dès le 19 juin, Laurent Mauduit appelle à une nouvelle nuit du 4 août (« Le patrimoine de plus en plus concentré: Pour une nouvellenuit du 4 Août »). Les billets critiques sont encore rares. On relève quelques premiers désaccords avec Valls (Schengen: Valls approuve le recours à la fermeture des frontières  ;  Contrôles d'identité: la réforme repoussée à l'automne ?).
Mais le site est parfois satisfait du gouvernement Ayrault, comme lorsqu'il célèbre la suppression de la circulaire Guéant («  Étudiants étrangers: la nouvelle circulaire facilite l’accès à l’emploi » ).

Opposition dure

Durant l'été, la critique se durcit. Mediapart ne semble plus impatient mais franchement résigné. Certaines critiques sont politiques.
Le 11 juillet, Laurent Mauduit s'inquiète ainsi: et si Hollande n'était pas mélanchoniste ? « Accédant au pouvoir, dans un contexte de crise gravissime, François Hollande avait clairement deux options. Soit engager la gauche dans une politique économique nouvelle, celle d'un réformisme audacieux – ou radical, peu importent les mots ; soit retomber dans les ornières du passé, celles du social-libéralisme, dans lesquelles la gauche avait versé à la fin des années 1990.  » Pour l'éditorialiste, « le doute n’est plus guère de mise : c’est clairement la seconde solution que privilégie le chef de l’Etat, celle du social-libéralisme. » Cinq semaines auparavant, le même Mauduit qualifiait Hollande réformiste sans excès. Pourquoi ce revirement ?
Peu avant, le site publie des notes - non vérifiées - d'un ancien conseiller culture de la campagne de Hollande (Comment les lobbies ont repris la main / Culture: l'histoire secrète du programme Hollande).
Le 17 juillet, Laurent Mauduit s'impatiente: Mais où est donc passée la révolution fiscale ?
Le discours de politique générale de Jean-Marc Ayrault ne l'a pas convaincu. Mais il reconnaît quand même:  il s’est mis au travail avec le souci affiché d’honorer les engagements du candidat François Hollande qui, au moins sur le front de la fiscalité, étaient clairement ancrés à gauche.  
L'été a été fatal. Mediapart n'a plus d'indulgence, les termes sont aussi durs, les accusations aussi définitives que si il s'agissait d'une vente d'armes nucléaires à un quelconque dictateur libyen. Il suffit de lire les titres des billets politico-économiques des 15 derniers jours pour s'en convaincre. Il n'y a pourtant ni Karachigate, ni trafic d'armes en Libye. Mediapart n'a même pas osé dresser un inventaire des promesses tenues ou non tenues comme d'autres confrères de gauche. Mais les attaques sont virulentes, de plus en plus virulentes.
  • Les enjeux cachés du duel Moscovici-Montebourg (3 septembre)
  • Evry: mise en scène oblige, l'expulsion des Roms a court-circuité la justice (4 septembre)
  • Rentrée scolaire: le changement, ce n'est pas maintenant (3 septembre)
  • CIF : le cadeau de Bercy aux banquiers (3 septembre)
  • Quand Hollande se définira  (1er septembre)
  • Moscovici : vive l’Impôt sur les... Petites Fortunes (30 août)
  •  Carburants : baisser de six centimes, est-ce socialement juste ? (28 août) 
  • Afrique et Syrie: l'Elysée a décidé de bouger (28 août) - tiens, un billet positif. 
  • La politique économique et sociale de Hollande déçoit (27 août). Laurent Mauduit n'a pas été patient.  
  • La République exemplaire ? Un cas d'école au ministère de la défense (28 août) 
  • Nucléaire : les rapports qui contredisent Montebourg (28 août) 
  • Le portefeuille à gauche et la télévision à droite (24 août)
  • Comme d'autres, Mediapart relaie très largement les bisbilles entre socialistes et écologistes. Des bisbilles qui, franchement, n'intéressent habituellement que les éditocrates professionnels trop habitués à commenter la cuisine plus que le fond (« Greenpeace: Tous les signaux envoyés par le gouvernement sont négatifs »)
  • Bizarrement, le site s'agace même que l'Education nationale n'ait pas été transformée durant l'été. Pendant la campagne, Peillon avait pourtant prévenu: il était inutile de penser que la casse de l'enseignement public entamée sous Sarkozy serait réparée en 100 jours ! Qu'importe, le site s'impatiente là aussi: « Rentrée dans le primaire : de l’espoir… faute de mieux » Ou encore: «  Rentrée scolaire : le changement, ce sera pour 2013… ou 2014  »
Bref, la charge est devenue quotidienne. Mediapart tâcle, c'est son droit, son devoir même s'agissant de révélations. Mais cette opposition donc systématique, quasi-immédiate, et sur tous les sujets (économie, fiscalité, immigration, éthique, etc) appelle deux remarques: primo, la rapidité et l'ampleur de la charge cache-t-elle un autre agenda ?

Secundo, force est de constater que Mediapart s'est normalisé. Le site suit la ligne de la quasi-totalité des autres médias. Pour un fidèle lecteur de Mediapart qui cherchait, hier comme aujourd'hui, autre chose que la nourriture médiatique habituelle... c'est troublant. La question de l'offre médiatique est au coeur de notre système politique. L'essor direct ou indirect de la blogosphère politique (réseaux sociaux inclus) ces 10 dernières années provient au moins autant de l'opposition au pouvoir en place que de l'insuffisance de l'offre médiatique.
Mediapart l'a oublié.
Quoiqu'il en soit, que l'UMP se rassure, Mediapart n'est donc pas une officine du parti socialiste.

Christophe Barbier, où es-tu ?


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