Mais qu’est-ce tu fous ? Y a plus rien sur tes blogues. Tu fais plus de chansons ? T’es malade ? Ça va pas ?
Je suis en contemplation. Je constate jour après jour et depuis environ deux semaines, l’immense étendue de ma défaite. Mon échec est total. Je suis incompris même de beaucoup de mes proches, je ne rencontre à peu près plus même le maigre et dérisoire public que j’étais parvenu à grappiller aux grands génies de mon époque. Mes sites, même quand je les anime quotidiennement, perdent chaque semaine quelques lecteurs de plus. C'est le viral à l'envers. Sert à rien d'écrire, faut monter des compilations de fails, de minous qui tombent du divan, ou de cumshots, voilà la culture de mon siècle, la symphonie du 21e. Je me contenterais de presque rien, mais même ces riens viennent me trahir les uns après les autres. On veut de moi quelque chose, quelque chose que je ne sais pas donner. On veut de moi que je sois ce qu’on ne sait pas être. Ce que personne ne tentera jamais de devenir.
Je suis peut-être le Cuba confidentiel de certains. À force de n’être pas aimé on finit peut-être par accepter d’être admiré dans la débilité, d’être l’écran sur lequel des âmes perdues projettent le film de leur parachèvement glorieux, on accepte faute de mieux de jouer la tête de T-shirt éventuelle, on connaît les rites du rôle et on chausse les microscopiques tatanes ou les gigantesque bottes qui amusent tant la galerie. On s'accroche aux lambeaux d'attention qu'on se laboure sous ses ongles, perdus parmi les cris d'agonie et de terreur des millions de noyés qui se voient s'engloutir lentement tous ensemble dans ce glissement de terrain inexorable.
Je jouis presque depuis une semaine, face à l’immensité désertique de ma déconfiture totale. Tout ce que j’ai craint se matérialise. Notre monde sombre avec enthousiasme dans un chaos finement programmé. Je n’écris plus. Je ne joue plus de guitare. Je ne fais plus l’amour. Je ressemble peut-être enfin à mon monde, je me dessèche.
Interdit de mômes, enfermé dans un anonymat juste assez public et prometteur pour être une humiliation, inaudible dans la foule des hauts-parleurs imbéciles qui recrachent la moulée que les puissants font régurgiter par leurs caniches maquillés dans les salons des infanteries. À quoi bon tout.
Sans moi, que la fête continue. Sans moi, qu’on converse à bâtons rompus du dernier disque minable (comment extruder une carrière entière de trois accords hippies, eux-même extrapolés d'un seul accord de blues) ou de X qui sucerait Y sans que Z ne le sache et c’est bien fait pour W, qui avait vachement tripoté V devant toute la consanguine et mongolienne famille humaine, branchée devant son constat d’échec, elle aussi, filet de bave et couche-adulte en prime, fauteuil plastique recouvert d’un film anti-cadavre, histoire de pouvoir libérer la place le plus vite possible après le dernier hoquet de rire ou d’impuissance devant la version modernisée d’un gag vieux de douze mille ans… au suivant ! Binjour madame Trépasse, binsoir monsieur Cadavre…
Sans moi… Il y aura une aube, mais sans moi, par pitié !
On a préparé le terrain en haut lieu. Le lecteur, arrivé jusqu’ici, connaît le style. Pssst ! C’est le Québécois, il se suicide ! Il laisse une lettre, comme dans les meilleurs films ! Un court tweet fera le tour des décharges électriques de la microsphère Plateau-littéraire… Duncan mange de la terre par les yeux. Dommage, il était sur le point d’écrire enfin sa grande œuvre. De chanter enfin sa grande chanson. De caresser enfin sa forever woman… d’accueillir enfin en ce monde la chair de sa chair. S'il avait patienté encore cinq ans… Out.
Mais non. Je ne m’ôte pas la vie. Ça serait un coup de couteau à ceux que j'aime. Et surtout une injure à mes valeurs. Et comme ce sont elles qui m’ont mis dans cette merde, ça serait ridicule de les trahir de si bon chemin. Je reste mordicus. Mais là… je n’ai plus envie de rien. C'est tout. Ni de dormir, ni de travailler, ni de faire du vélo… Même pas de boire.
Anyway, z'avez pas remarqué ?
Tout est vide.
© Éric McComber