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Laurent Binet, Rien ne se passe comme prévu

Publié le 07 septembre 2012 par Edgar @edgarpoe

binet.jpg J'avais bien aimé HHhH. Ce n'était pas un livre d'histoire, ni un livre sur l'histoire. C'était finalement plutôt un livre sur Laurent Binet écrivant un livre d'histoire. Parfaitement en phase avec une époque où l'on ne saurait écrire une ligne sans douter, et d'abord de soi-même.

Là, il ne s'agit pas d'un livre politique - d'ailleurs la plupart de la presse politique l'a descendu. C'est plutôt, comme précédemment, "Laurent Binet se plonge parmi les politiques", tout comme Tintin est allé au Congo puis en Amérique.

Quand les journalistes reprochent à Binet sa naïveté, c'est qu'ils n'ont rien compris. Il s'est en réalité refusé à jouer le jeu qui lie les journaleux et les politiques. Comme s'il avait entendu sortir de ce livre aussi "intègre", vierge de toute compromission, qu'il y était entré.

Vous avez déjà lu un journaliste politique expliquant son vote, et ses hésitations ? On aime bien, là, voir Binet hésiter longuement entre voter Hollande ou Mélenchon ("mon problème avec Mélenchon, c'est que j'ai envie de voter pour lui").

Ca donne donc un ton parfaitement inhabituel à ce livre.

Qui n'est pas non plus si lénifiant que ce que j'ai pu en lire ici ou là.

Refusant donc les codes, Binet commente la campagne comme ce qu'elle est la plupart du temps : un spectacle. C'est donc sans aucune ironie qu'il peut écrire que Hollande termine un discours par "un sketch sur les riches". Hollande c'est d'abord un showman. On comprend que les journalistes politiques, obligés de prendre au sérieux ce qui ne relève le plus souvent que du spectacle, n'aient pas aimé ce ton dégagé.

Autre trahison de Binet : il révèle - ce sera naturellement ignoré ou démenti, que les journalistes débriefent chaque évènement/conférence de presse, dans une sorte de conférence de rédaction entre différents organes, ce qui peut expliquer le côté moutonnier de pas mal d'articles.

Binet a même des convictions sulfureuses : "je ne vois pas comment Hollande pourrait vendre un projet alternatif quand l'essentiel des problèmes a été rendu possible par les traités de Maastricht et Lisbonne, qu'il a votés tous les deux. [...] quand il dit qu'il n'accepte pas que le yuan soit sous-évalué, on serait curieux de savoir comment il va contraindre la banque centrale chinoise prendre les mesures nécessaires, considérant qu'on n'est déjà même pas foutus de donner des ordres à notre propre BCE..."

Il ne me semble pas lire régulièrement sous la plume de notre bonne presse de telles remarques de fond. J'ai même particulièrement apprécié une remarque incidente, où Binet relève que Arthaud, de Lutte Ouvrière, interrogée par un  journaliste, explique que non, elle n'a pas l'intention de tout nationaliser, seulement les grands groupes. 

Je me suis toujours demandé pourquoi, tant qu'à faire de la figuration, le PCF ou le Front de gauche n'avaient pas des programmes sociaux plus ambitieux : la gratuité des crèches, qui me semble une mesure évidente, n'est jamais proposée - ça a pu m'échapper.

Je referme la parenthèse. Le livre n'a donc pas plu à la médiasphère, plus occupée à promouvoir les ragots sur le trio Hollande/Royal/Trierweiler. Il est vrai que Binet n'en parle pas. Peut-être par sympathie pour @valtrier, qui lui a permis de réaliser le livre et de suivre Hollande pendant toute la campagne.

Peut être aussi parce que Binet conserve après ce livre un rapport normal à la politique : il est sinon passionné du moins attentif à la politique en général, on le sent touché et sympathisant avec pas mal d'acteurs politiques, mais le jeu politique ne l'intéressera vraisemblablement pas plus longtemps qu'une campagne. Pas de raison donc d'aller blesser quiconque avec des ragots qui sont finalement sans portée.

La limite de l'exercice n'est donc pas dans ce que Binet n'aurait pas vu, ou pas dit, ou dit trop gentiment. Elle est dans le fait que ce livre s'inscrit dans un parcours personnel - on attend Laurent Binet à Bruxelles, dans un cabinet ministériel ou dans le milieu du cinéma - qui fait qu'il doit être lu comme le rapport d'étonnement* d'un gars normal plongé dans le milieu politique. Je dirais que ce que le livre révèle de Laurent Binet est prometteur. Ce qu'il dit du monde politique l'est beaucoup moins, mais on le savait déjà. Derrière un ton badin, Binet a su décocher quelques flèches que peut-être certains journaleux n'ont pas vues, ou dont ils ont préféré ne pas parler. Elles sont cependant bien là.

* "Le rapport d’étonnement est un document court en général, composé d’un simple formulaire ou fiche à remplir par le nouvel arrivant, et dont l’objectif est de transcrire rapidement et  «à  chaud » les impressions du collaborateur sur tout ce qui l’as surpris ou ce qu’il n’aurait pas bien assimilé et compris lors des premiers jours de son intégration."


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