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[SSAFT Film Production Proudly Presents] Oceanario

Publié le 12 septembre 2012 par Taupo


Oceanario

J’en ai pris l’habitude: chaque fois que j’ai l’occasion de visiter un aquarium, que ce soit celui de New England ou celui de Monterey Bay, j’essaie de revenir avec une petite vidéo. D’une part, je trouve que l’atmosphère y est souvent magique, avec ces pinceaux de lumière bleutée qui nimbe les couloirs sombres, les jeux de perspectives à travers les épaisseurs de verre qui nous séparent des habitants des bassins… Et puis il y a la faune, qui nous toise, peut être autant surprise de notre apparence que nous sommes intrigués par sa diversité de formes et de comportements. Et quel bonheur pour la vulgarisation scientifique! Pas étonnant que les premiers documentaires animaliers aquatiques  de Jean Painlevé tendait si naturellement au poétique.
Du coup, lors de mon séjour au Portugal, je n’ai pas pu m’empêcher de visiter l’aquarium de Lisbonne: l’Oceanário. (Et pourtant, j’étais en plein colloque! J’ai dévergondé Vran et d’autres membres de mon labo pour avoir meilleure conscience…) Voici donc le montage vidéo de ma visite… (ça n’aide pas à oublier les vacances ça…):


On y voit successivement un Chelmon à bec médiocre, Une méduse Mastigiidae, un Poisson ballon à taches noires, un syngnathe, un barracuda, deux Môles, une majestueuse rascasse volante, une étoile de mer tournesol, un autre syngnathe, un agonisant poisson loup à ocelles, une roussette en train de pondre, et un dernier plan sur un poisson loup dans son hamac d’algues.

J’ai ramené aussi quelques photos clins d’œil pour les lecteurs de SSAFT. Saurez-vous par exemple déterminer si la photo suivante est celle d’un manchot ou d’un pingouin?

Spheniscus magellanicus 
Pour énerver Patrick Laurenti, j’ai photographié ce joli ‘fossile vivant’:

fossile vivant’
Cadeau, une loutre de mer qui s’épouille:

 Enhydra lutris
Et en bonus, je vous offre Patrick Étoile de mer!

IMG_2445 
Mais bon, dans la vidéo, il est assez facile de deviner que l’une des stars de cet aquarium Lisboète, c’est la môle (Mola mola) ou poisson lune (sunfish en anglais… le divorce sémantique des nations est évident). L’occasion pour moi de parler un peu de ce fantastique poisson qui pèse quand même une tonne en moyenne pour environ 2m de diamètre (vu qu’en gros c’est un disque…son nom vient de “meule” d’ailleurs). Le record de diamètre atteint plus de 3m pour 2,3 tonnes: une belle poiscaille quoi! A vrai dire, c’est le poisson osseux le plus lourd du monde!


Taille Mola molaMola mola de près de 2 tonnes pêché en 1910... 1 premier avril

Et pourtant, le môle ne nait pas géant, bien au contraire! Pour déformer les mots de Charles Darwin, une si formidable forme provient d’un bien simple commencement: la minuscule larve d’un môle mesure en effet dans les 2.5mm. Du coup, c’est carrément plus tchoupi!

Larve de Mola molaLarve de Mola mola
Larve de Mola mola
En étant si ridiculement petite, cette larve est, littéralement, du menu fretin pour des prédateurs comme les thons et les daurades… Pour compenser les pertes, maman Mola ne lésine pas sur les moyens: à chaque ponte elle émet près de 300 millions d’œufs! Un nouveau record!
Tout en augmentant sa taille d’au moins un facteur 1000 (et son poids d’un facteur de 600 millions!), le poisson lune va aussi perdre certaines structures larvaires comme ses pics et ses nageoires pelviennes. D’ailleurs ce sont ces structures qui révèlent assez bien les liens de parentés des poissons lunes avec leurs cousins: les poissons porc-épics:

Cyclichthys orbicularis
Poissons lunes et porcs-épics appartiennent en effet tous deux au grand groupe des Tetraodontiformes dans lequel on retrouve aussi les poissons-ballons, les poissons globes et le fameux Fugu: le poisson qui donne des sashimi avec lesquels on joue à la roulette japonaise.
Mais bon notre poisson lune est tout de même sacrément différent des autres poissons de sa lignée… Une piste pour élucider ce mystère évolutif a été formulée par le biomathématicien D'Arcy Wentworth Thompson qui a représenté les transformations topologiques nécessaires pour qu’un poisson de l’apparence d’un poisson porc-épic, puisse évoluer pour donner un poisson à l’apparence d’un Mola mola:


D'arcy Thompson, 1917
C’est bien sûr très spéculatif et nécessiterait de nombreuses observations développementales, mais ça a le mérite d’être spectaculairement Funky!

Un autre aspect Funky du poisson lune, c’est la relation qu’il a avec d’autres espèces pour se débarrasser de ses parasites. Avec une pareille taille, et pas d’ongles pour se gratouiller, pas étonnant que ces soucoupes nageantes se retrouvent infestées de parasites comme les copépodes du genre Pennella.

Pennella sur Mola mola
Pour se décopépodiser, le poisson lune peut faire des bonds à la surface de l’eau  pour que le choc les délogent, mais ça ne doit pas être évident. Autre astuce, c’est de se trouver des potes poissons comme Medialuna californiensis (le poisson demi-lune, sans lien de parenté pourtant) et qui ne sont pas rebutés à l’idée de picorer le dessous des nageoires. Mais bon, imaginons qu’il n’y ait pas assez de poissons demi-lune aux alentours, quel peut être le dernier recours du Mola mola? Et bien plusieurs équipes de chercheurs ont indépendamment observé que les poissons lunes pouvaient accueillir des albatros qui picorent alors volontiers les Pennella qui les infestent!

Albatros et Mola mola
Albatros mangent des Pennella sur le dos d'un Mola mola
Ces observations sont rares, mais la BBC a tout de même réussi à capturer ça en vidéo (narrée par David Attenborough parce que qui d’autre franchement!)


Traduction:
Mesurant près de 4m de nageoire à nageoire, les poissons-lune détiennent le record de poids lourd pour les poissons osseux. Les poissons-lune passent la plupart de leur temps dans les profondeurs, à se nourrir de méduses dans les eaux froides. Cependant, assez régulièrement, ils viennent à la surface se réchauffer et pour trouver leur station de nettoyage. Ils cherchent des kelps non pas pour s’y réfugier mais parce qu’ils peuvent y trouver des poissons qui y vivent: des petits poissons demi-lune. Ces poissons nettoient les poissons lune de leurs parasites qu’ils trouvent sur leurs peaux. Si les poissons demi-lune ne finissent pas le travail, il y a toujours une solution plus drastique. Des albatros sont près des kelps et si le poisson lune envoie le bon signal, les oiseaux vont s’approcher. Leurs becs peuvent déloger les plus tenaces parasites!

Comme quoi, un gros poisson et un petit oiseau peuvent s’aimer d’amour tendre! (tant que y’a de la bouffe en jeu…)

Liens:
Oceanario
Article Tetrapod Zoology
Article Not Exactly Rocket Science
Ted Talk de Tierney Thys

Référence:

D'arcy Wentworth Thompson, On Growth and Form, 1917, Cambridge [Eng.] University press
Abe, Sekiguchi, Onishi, Muramatsu & Kamito. 2011. Observations on a school of ocean sunfish and evidence for a symbiotic cleaning association with albatrosses. Marine Biology


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