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Umar TIMOL :"L'HOMME QUI NE POUVAIT S'EMPÊCHER DE RIRE" (suite).

Par Ananda

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Il était maintenant temps de se rendre chez le longaniste. Je dois d’abord préciser que si je suis un rationaliste, je ne le suis peut-être pas dans le sens où on l’entend communément. Je crois qu’il y a un monde au-delà de la réalité immédiate et qu’on peut y accéder grâce a une discipline spirituelle. Si je crois en la raison pure, en sa faculté d’ expliquer le monde, il n’en reste pas moins, à mes yeux, qu’il existe des choses qui relèvent de l’invisible, du mystère.

Mais que dis-je ? Ce que je viens d’écrire n’a bien sûr strictement aucun sens !

C’est cette fichue veine narcissique qui se remet à pulser dans mon crâne et qui m’incite subitement à coucher sur la page n’importe quoi.

Revenons donc à notre longaniste. J’ai longuement réfléchi avant de céder à cette tentation. Je sais pertinemment qu’un tel individu ne pourra pas m’aider. Ma maladie peut s’expliquer de façon tout à fait rationnelle et ce n’est certainement pas un adepte de la sorcellerie ni d’autres sornettes de la même eau qui sera en mesure de me guérir.

Mais voilà…je suis au désespoir. Ce rire est en train de me détruire et je me dois de tout essayer.

Voici donc que je me retrouve chez le longaniste en début de soirée. Un mot au préalable à propos du décor. Je m’attendais en toute franchise à atterrir dans un lieu lugubre, dans une espèce de vieille bicoque, avec des tas de crânes dispersés au sol, des assistants aux yeux rouges et de sourds grincements indiquant la présence de djinns, d’esprits ou du fantôme Casper. Mais rien de tout ça, je me suis retrouvé, bien au contraire, dans une maison bon chic bon genre, tout ce qu’il y a de plus convenable, cela sentait même la classe moyenne bien respectable. Un jeune homme, qui ne portait pas de turban ni n’arborait de dents de vampire m’invita calmement à entrer dans la salle de consultation.

Le longaniste, qui n’avait lui non plus ni boule de cristal, ni coq à ses côtés me posa quelques rapides questions. Puis, bille en tête, il me proposa son diagnostic ( c’était le troisième de la journée ! ) lequel se révéla, d’emblée, totalement débile. Jugez : il m’expliqua que j’étais la victime d’ un mauvai zair qui, sournoisement, avait pénétré dans mon crâne par la racine de mes cheveux et qu’il s’y était pris la nuit car c’est à cette heure que ces entités agissent ! Ce mauvai zair donc depuis lors vivotait à l’intérieur de mon crâne, il me possédait en quelque sorte, et c’était bien évidemment lui et personne d’autre qui m’incitait, fort malignement, à rire. Il m’avait choisi parce que d’une part je n’étais pas au bon endroit au bon moment et d’autre part parce qu’un mauvai zoeil me guettait et voulait me nuire. Il était à peu près certain que c’était le coup d’un mauvai zoeil. Probablement des gens qui jalousaient ma réussite, ma beauté, sans compter mon charme ( bon, j’en conviens, ça c’est moi qui l’ajoute mais c’est ce que le longaniste a laissé filtrer, entre les lignes, du moins à ce qu’il m’a paru ) et qui m’en voulaient à mort. Ces maudites gens s’étaient sûrement rendus chez un longaniste très puissant pour lui demander d’invoquer quelque mauvai zair afin qu’il me possède. Mais pour quelles raisons donc passer par la racine de mes cheveux ? N’existait-il pas de méthode plus subtile et plus élégante ? Entrer, par exemple, par ma bouche alors que je suis en train de manger ? Pourquoi, je le répète, aller passer par la racine des cheveux ? Doctement, le longaniste, lorsque je lui posais la question, m’expliqua qu’il était nécessaire, pour mieux comprendre, de bien connaître les psychologie et physiologie du mauzai zair. C’est comme cela, ce dernier a été conçu pour passer par la racine des cheveux, parce qu’il en va de son bien être, non seulement il n’est pas capable de procéder autrement, mais par ailleurs il y va aussi de son efficacité, laquelle se trouve décuplée par le fait qu’il s’en prend à un organe clé, en l’occurrence, le cerveau. Car c’est après tout bien dans le cerveau que prend naissance le rire, il serait complètement idiot , par exemple, d’entrer par le cœur qui contrairement à ce qu’on croit n’est en tout et pour tout qu’un muscle, non, c’est dans le cerveau et uniquement dans le cerveau, m’expliqua le longaniste, que se décide le rire ou pas. Comme quoi le longaniste, en plus d’être sorcier, était aussi médecin ! Il ajouta là-dessus, sur un ton catégorique, qu’il était tout à fait envisageable de se débarrasser de ce mauvai zair mais que, pour en arriver à un tel résultat, il nous faudrait travailler dur . On avait en effet là affaire à un mauzai air féroce et celui-ci s’était incrusté dans une partie totalement inconnue de mon cerveau. Mais on y arriverait, avec la modique somme de 20 000 roupies ! Je suis loin d’être pingre, ainsi ai-je offert à Kémina, par exemple, pour son anniversaire, un téléphone portable qui m’a coûté la coquette somme de 2000 roupies ; comme tout un chacun, je dépense à tout va, et il m’arrive même souvent de m’acheter de belles chemises et de magnifiques jeans. Je précise quand même au passage que je les achète dans les rues de Port-Louis à l’étal de marchands ambulants ( qui, cependant, demeurent souvent au même endroit ) parce qu’ils y coûtent moins cher. Avisant mon visage qui transpirait le scepticisme et le manque d’enthousiasme, le longaniste abaissa immédiatement le prix à 15 000 roupies. Mais le scepticisme céda la place, très vite, a un début de fou rire, suscité par le fait que, franchement, cet homme me prenait pour un bel imbécile : un mauvai zair qui se glisse en vous par la racine des cheveux et puis quoi encore !! Me prenait-il pour un extra-terrestre ou pour un cousin du Neandertal ? Cela ne traîna pas : pour ne pas riquer d’ y céder ( au fou rire, veux-je dire ) je sautai du fauteuil séance tenante et ni plus ni moins pris mes jambes à mon cou sans oublier, tout de même, de lui desservir, au passage, et assez vigoureusement, ses quatre vérités, na pa touche mo kass ! Le malheureux longaniste, du coup, resta pétrifié sur place . Ce qui n’empêche que je le vis prendre le temps de murmurer quelques mots, sans doute une formule magique visant à ce que le mauvai zair pénètre encore plus loin, plus profond dans les confins de mon cerveau. Quelle rigolade !

Umar Timol

(à suivre)


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