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Le droit d'eau fondé en titre

Publié le 14 septembre 2012 par Christophe Buffet

Un arrêt sur cette notion :

"Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 juin et 8 septembre 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 09NT01335 du 7 avril 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 07-1760 et 08-315 du 6 avril 2009 du tribunal administratif d'Orléans ayant rejeté ses demandes tendant à l'annulation de l'arrêté du 9 mars 2007 du préfet d'Indre-et-Loire lui ordonnant de détruire le plan d'eau qu'il a construit en barrage du ruisseau de Tournelune et de renaturer ce ruisseau et de l'arrêté du 26 novembre 2007 du même préfet lui ordonnant de consigner, entre les mains d'un comptable public, une somme de 18 000 euros correspondant au coût de la destruction de ce plan d'eau ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nadia Bergouniou-Gournay, Maître des Requêtes en service extraordinaire, 
- les observations de la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de M. A, 
- les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de M. A ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par deux arrêtés du 9 mars et du 26 novembre 2007, le préfet d'Indre-et-Loire a ordonné à M. A, d'une part, de détruire le plan d'eau qu'il avait construit en barrage du ruisseau de Tournelune et de renaturer ce ruisseau, d'autre part, de consigner entre les mains d'un comptable public la somme de 18 000 euros correspondant au coût de la destruction du plan d'eau et de sa renaturation ; que M. A a saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande tendant à l'annulation de ces arrêtés, qui a été rejetée par un jugement rendu le 6 avril 2009 ; qu'il se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 7 avril 2010 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté sa requête tendant à l'annulation de ce jugement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant, qu'aux termes de l'article L. 214-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions des articles L.214-2 à L.214-6 les installations ne figurant pas à la nomenclature des installations classées, les ouvrages, travaux et activités réalisées à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée, et entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, une modification du niveau ou du mode d'écoulement des eaux, la destruction de frayères, de zones de croissance ou d'alimentation de la faune piscicole ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, même non polluants " ; que, selon la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 du code de l'environnement, sont soumises à autorisation les opérations suivantes : " 3.1.1.0. Installations, ouvrages, remblais et épis, dans le lit mineur d'un cours d'eau, constituant : / 1° Un obstacle à l'écoulement des crues (...) ; / 2° Un obstacle à la continuité écologique : / a) entraînant une différence de niveau supérieure ou égale à 50 cm pour le débit moyen annuel de la ligne d'eau entre l'amont et l'aval de l'ouvrage ou de l'installation (...). / Au sens de la présente rubrique, la continuité écologique des cours d'eau se définit par la libre circulation des espèces biologiques et par le bon déroulement du transport naturel des sédiments. / 3.1.2.0. Installations, ouvrages, travaux ou activités conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau, à l'exclusion de ceux visés à la rubrique 3.1.4.0, ou conduisant à la dérivation d'un cours d'eau : / 1° Sur une longueur de cours d'eau supérieure ou égale à 100 m (...) " ; 
Considérant que, selon l'article L. 214-6 du même code : " (...) II. Les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d'une législation ou réglementation relative à l'eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions de la présente section. Il en est de même des installations et ouvrages fondés en titre (...) / VI. Les installations, ouvrages et activités visés par les II, III et IV sont soumis aux dispositions de la présente section " ; 
Considérant, d'une part, que sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale les prises d'eau sur des cours d'eau non domaniaux qui, soit ont fait l'objet d'une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux ; qu'une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle à cette date ; que la preuve de cette existence matérielle peut être apportée par tout moyen, notamment par sa localisation sur la carte de Cassini datant du XVIIIème siècle ;
Considérant, d'autre part, que le droit d'eau fondé en titre ne se perd pas par l'absence d'exercice du droit d'usage ; que sa disparition ne peut résulter que de la constatation que la force motrice du cours d'eau ne pouvait plus être utilisée du fait de la ruine ou du changement d'affectation des ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume du cours d'eau ;
Considérant que pour juger que le plan d'eau créé par M. A ne pouvait être regardé comme fondé en titre, la cour administrative d'appel s'est fondée exclusivement sur la circonstance qu'aucun plan d'eau ne figurait à l'endroit des travaux litigieux sur l'extrait pertinent de la carte de Cassini produit par l'administration ; qu'en statuant ainsi, alors que M. A s'était prévalu, outre de chartes datant de 1117 portant donation d'un étang et d'un moulin à Douzil au profit de l'abbaye de Noyers, de documents datant de 1792 et du début du XXème siècle pour établir l'existence matérielle de l'étang et de sa localisation géographique antérieurement à l'abolition des droits féodaux, la cour a attaché à la carte de Cassini des effets juridiques qu'elle n'a pas, la seule absence de l'étang sur la carte de Cassini ne suffisant pas à valoir preuve de l'inexistence ou de la ruine de cet ouvrage à la même date ; qu'il appartenait à la cour, dans un tel cas, de comparer les éléments produits par le requérant avec ceux sur lesquels s'était fondée l'administration pour apprécier l'existence matérielle de l'ouvrage ; que la cour administrative d'appel, a, dès lors, commis une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt doit être annulé ;
Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du procès-verbal dressé le 25 août 2005, que M. A a fait édifier une digue d'environ 40 mètres de long, 5 mètres de large et 2 mètres de hauteur, barrant le lit mineur du ruisseau de Tournelune, cour d'eau non domanial, et en a nivelé les berges de façon à provoquer la formation d'un plan d'eau d'une superficie de 60 a environ ; que la différence de niveau de la ligne d'eau entre l'amont et l'aval de l'ouvrage est supérieure à 50 cm ; que les travaux ont modifié les profils en long et en travers des cours d'eau concernés sur une longueur supérieure à 100 m ; que, dès lors, ces travaux et ouvrages entraient dans le champ d'application des dispositions précitées du code de l'environnement qui les soumettent à autorisation préalable, nonobstant leur utilité alléguée pour la lutte contre les incendies de forêt ;
Considérant, toutefois, que M. A soutient que l'étang en cause était dispensé d'autorisation préalable car bénéficiant du régime dérogatoire des droits fondés en titre ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, sont regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale les prises d'eau sur des cours d'eau non domaniaux qui, soit ont fait l'objet d'une aliénation comme bien national, soit sont établies en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux ; qu'une prise d'eau est présumée établie en vertu d'un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux dès lors qu'est prouvée son existence matérielle à cette date ; 
Considérant, en premier lieu, que si M. A ne peut se prévaloir en l'espèce d'un droit conféré par un acte antérieur à l'abolition des droits féodaux, la preuve de l'existence matérielle du droit fondé en titre qu'il revendique peut être apportée par tout moyen ; que si la seule absence de l'étang sur la carte de Cassini ne suffit pas à valoir preuve de l'inexistence ou de la ruine de cet ouvrage à la même date, ni les trois chartes datant de 1117 portant donation au profit de l'abbaye de Noyers d'un étang et d'un moulin à construire au moulin Douzil, du fait de leur caractère très ancien, ni les documents datant de 1792 et de 1903 ne suffisent à établir l'existence matérielle de l'étang de Douzil à la date du 4 août 1789 ; que, par suite, M. A ne rapporte pas la preuve du bénéfice d'un droit fondé en titre sur le plan d'eau en cause ; qu'il s'en suit que les travaux qu'il a entrepris, alors même qu'il auraient pour effet de restaurer un étang attesté au XIIème siècle, étaient soumis à une autorisation préalable ;
Considérant, en second lieu, qu'en l'absence de régularisation du plan d'eau litigieux obtenue par le requérant, le préfet d'Indre-et-Loire a légalement pu ordonner sa destruction par arrêté du 9 mars 2007 ; que l'intéressé n'ayant pas remis à l'administration l'étude détaillant les modalités de cette destruction dans le délai de quatre mois prescrit par cet arrêté, le préfet a également pu, par un second arrêté du 26 novembre 2007 pris sur le fondement de l'article L. 216-1 du code de l'environnement, ordonner à M. A de consigner entre les mains d'un comptable public la somme de 18 000 euros correspondant au coût non contesté de la destruction du plan d'eau ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande ; que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être, dès lors, rejetées ; 
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 7 avril 2010 est annulé.
Article 2 : La requête présentée par M. A devant la cour administrative d'appel de Nantes est rejetée. 
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A est rejeté.
Article 4: La présente décision sera notifiée à M. Jean A et à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie."


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