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Pourquoi le train fut mon ami ?

Par Jeuneanecdotique
10 septembre 2012

gare_du_nord_interieur

Les gens dans le train. Fait-on réellement attention à eux ? On les ignore, on passe à côté comme des fantômes, et quand ça n'est pas le cas, c'est parce qu'ils nous énervent pour diverses raisons. Comme la plupart d'entre eux, je me suis retrouvée dans le train par obligation. Mais j'ai fini par les aimer, ces gens dans le train. Ils faisaient partie de mon moment sans mauvaises ondes de la journée.

Les premières fois où j'ai dû prendre le train, je me suis dit que jamais je ne supporterai de le faire tous les jours. C'était trop long, trop inconfortable, et puis il y avait tous ces gens, avec leurs têtes endormies, avec le bruit des pages de leur journal qui se tournent, avec leurs sonneries de téléphones, leurs éternuements, leur toux sans fin, leur manie de s'asseoir à côté de vous alors qu'il y a d'autres places bien plus sympathiques  disponibles plus loin. Et puis, on s'habitue. On commence à connaître les horaires par cœur, à savoir anticiper les gestes des passagers, à retirer du bon de chacun d'eux, à s'attacher. C'est possible, oui. Dans mon malheur, je me suis attachée à eux. Ils étaient la seule chose qui me restaient, à cette période. Combien de fois, me sentant horriblement seule et sans avenir, j'ai eu envie de sauter dans la Seine, en passant au dessus en train le matin ? Combien de fois, après une journée fatigante, inintéressante et sans aucun réel contact social, j'ai été heureuse quand quelqu'un s'est assis en face de moi dans le train ?
J'aime bien, quand quelqu'un s'assoit en face de moi. J'observe discrètement la personne, je m'imagine sa vie, sa maison, sa voix, et je m'attache, pour la simple et bonne raison que cette personne est humaine. Comme moi. Cette personne est fatiguée de sa journée, comme moi. Cette personne a affreusement envie de sauter de ce train comme une furie et de pouvoir se téléporter directement chez elle... Comme moi. On devrait tous être sociables, dans le train. Après tout, c'est vrai, la vie c'est moche, le train c'est moche, et on est pas dans un monde fait d'arc-en-ciel et d'oiseaux multicolores. Pourtant, pourquoi s'enfoncer dans notre malheur, pourquoi rester plantés une heure dans le train, assis, sans bouger, à pianoter sur notre portable, à regarder dans le vide, quand toute une possibilité de contact est possible avec les passagers qui  nous entourent ? Je n'ai jamais été très sociable, et pourtant... Dans ce cercle infernal du train-boulot-solitude-dodo, j'aurais bien aimé parfois pouvoir discuter avec ces gens, qui avaient sûrement beaucoup de choses à dire sur eux. Mine de rien, je passais deux heures avec eux chaque jour. Peut-on dire par conséquent que nous étions proches ? Nous partageons tous les mêmes sentiments le matin dans le train et le soir en rentrant du boulot, on sait tous que nous sommes dans le même cas mais on reste pudiques et distants. C'est la convention, après tout ; on ne sympathise pas dans le train, tout comme on ne sort pas avec son professeur. La convention. Pourquoi ne pas rompre cette convention ?
Je parle ici en des termes très utopiques, surtout venant de quelqu'un aussi pessimiste que moi. C'est vrai, je l'avoue. J'ai mes travers, mes désillusions, mes petits énervements, mais ça ne m'empêche pas d'espérer. Mais le train est également un lieu qui regorge de mystères, et ces mystères résident dans les personnes qui l'occupent...
Premièrement, il y a les gens comme moi, avec leurs têtes d'ahuris sous tranquillisant, qui regardent dans le vide avec la perspective prochaine d'un filet de bave au coin des lèvres, et qui essaient naïvement (et surtout en vain) de piquer un somme. Ces personnes ne sont pas chiantes, tout au plus irritables quelquefois ou aussi impassibles que des gargouilles selon l'horaire – avant neuf heures du matin, il n'y a pas grand-chose à en tirer.
Il y a les gens qui parlent fort, et qui s'en fichent. Logique. Cela ne les dérange pas de faire savoir à tout le wagon ce qu'ils ont mangé le matin, ce qu'ils pensent de Nicolas Sarkozy, ce que leur petit-copain leur a encore fait subir ou à quel point le film « Martyrs » est psychologique (mais en fait, la fille était tellement bourrée quand elle a regardé le film qu'elle sait plus trop mais elle se souvient que c'était pas mal et qu'elle s'est tapée un bad trip vers la fin mais bref c'est très psychologique, quoi). Personnellement, cela ne me dérange pas, lorsque je suis de bonne humeur. Ils sont dans leur bon droit, et comme je suis curieuse, les conversations des autres me servent souvent d'occupation, comme une sorte de radio humaine.

Il y a ceux qui lisent le journal, font des mots croisés, se dévouent corps et âme à leur grille de sudoku. C'est vrai quoi, on s'emmerde, on est dans un endroit impersonnel au possible et on aimerait bien que le temps passe plus vite, alors on fait un peu comme chez nous, le chauffage et le canapé moelleux en moins. Ces personnes sont particulièrement agréables. J'aime les observer dans leur réflexion silencieuse, j'aime les voir gommer leur petits chiffres quand ils font du sudoku, j'aime en voir certains abandonner et ranger avec énervement leurs jeux au fond de leur sac, pour le reprendre quelques minutes plus tard. J'aime ces personnes qui arrivent à être très humaines, très adultes tout en respectant le reste du monde. Car, je peux vous le dire, tout le monde ne le fait pas. Certains vous feront écouter leur musique barbare, que ça vous plaise ou non. Certains vous feront subir toutes les trois secondes le vibreur de leur portable, signe d'une correspondance très enflammée avec leur petit-copain/meilleure-amie/maman/chien. Certains feront du tricot, et vous feront développer des tics nerveux à force de « tic tic tic » incessants. Et certains feront des mots croisés, du sudoku, et vous aurez très envie de leur faire un bisou.
Comment ne pas parler des gens beaux ? Ces gens qui pénètrent dans le wagon et qui attirent notre regard. Et que l'on regarde en coin pendant le reste du trajet, au moins pour s'occuper, au plus pour le plaisir. La plupart des gens que je trouve beaux ressemble à mon petit-copain. Comme j'en ai croisé, des hommes qui lui ressemblaient ! Et chaque fois, je les regardais. Les trajets où cela arrivaient étaient mes préférés, sans aucun doute. Il est tellement rare qu'être dans le train soit agréable, on prend ce qu'on nous donne.
Il y a, bien sûr, les gens qui s'assoient de telle manière à vous barrer la vue des gens beaux. Et là, à part pleurer ou faire du vaudou sur leur dos, vous ne pouvez pas voir à travers.
Il y a ces gens qui ont gardé une âme d'enfant et un goût pour les sucreries ; je parle évidemment de nos amis les mangeurs de chewing-gum et de nos amis les suceurs de sucettes. J'ai eu un jour la malchance de tomber sur une dame très... bruyante. Une sucette à la fraise dans la bouche, elle aspirait, léchait, faisait l'amour à sa sucette avec des gestes buccaux érotiques particulièrement écœurants, et même en allant à l'autre bout du train, je l'entendais tout de même. Et pourtant, c'est bête, mais je l'aimais bien quand même. Son bruit m'agaçait, mais pas sa personne. Elle était mignonne, avec sa sucette.
Le train a beau être une sorte d'obligation matinale et nocturne pour les gens qui n'ont pas la chance d'avoir leur lieu de travail à dix minutes de marche, je pense qu'avec une petite lueur d'optimisme et limite d'amour, on peut y trouver des choses très réconfortantes. J'ai réussi à m'attacher à certaines personnes que je voyais tous les matins, à qui je n'avais jamais parlé, dont je connaissais le quai d'arrêt à force... Et ça éblouissait ma journée, car c'était de jolies rencontres passagères. Ne trouvant pas de bon côté à mon quotidien, j'allais extraire du bon en chacune des personnes que je croisais sur mon chemin... Et c'était mon moment préféré de la journée.

Vous est-il déjà arrivé de ressentir ça ? ;)

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