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le fauteuil de Matisse?

Publié le 20 septembre 2012 par Lironjeremy

le fauteuil de Matisse?
Les choses n’ont jamais de date de naissance, on ne fait qu’y prêter attention un jour d’une manière plus particulière qui leur donne alors une importance remarquable. Et à bien y regarder, on retrouve toujours les éléments d’une révolution, les façons d’une « avant-garde » en germe ça et là et découlant de lentes modifications des tendances générales, nettement moins décollées du reste que ce que l’on pourrait croire. Ce n’est pas le monde emporté vers sa résolution glorieuse, le « progrès » qu’il faut dire ; c’est une histoire d’individus, parce que nous ne faisons rien d’autre tous autant que nous sommes que débarquer au monde à chaque instant, extrayant de l’ensemble un élément de fixation, de fascination, d’obsession qui existe alors d’être distingué. On vient au monde dans un territoire qui nous préexiste et nous anticipait en ce qu’il est le monde et que nous y participons. L’histoire après ça c’est d’en dénombrer les objets, d’en faire quelques bouquets. On connaît la remarque de Moreau à Matisse qu’il soupçonnait d’engager déjà un processus de simplification de la peinture, d’épure expressive. Et ses hésitations à lui, le professeur, qui fini par faire confiance à ce qui est entrain de se faire entre les mains de son élève même si cela révolte instinctivement tout d’abord, ces « badigeons de couleurs vives » par lesquels sur le Salon la peinture de l’élève bientôt promu chef de file se fera reconnaitre. Après Chardin, Poussin, Watteau, Manet, ceux qui font la nourriture première de Matisse ce sont Cézanne, Gauguin, Van Gogh, Rodin dont il achète les œuvres chez Vollard comme on fait sa boîte à outils. Achats nécessaires, même si cela se fait à crédit et que les temps sont durs. En chacun il trouvera un peu de ce qui lui permettra d'avancer dans sa voie (On ne fait jamais que lire à dessein, tirant les œuvres dans la direction qui fait qu’elles nous rejoignent, qu’elles répondent à nos propres interrogations.). Chez eux il entrevoit ses désirs de couleur, la nécessité  d’organiser rigoureusement les sentiments afin de les condenser et les porter à « leur maximum d’expression ».  Gauguin, par ses aplats, l’aide à dépasser les surfaces trop bruyantes du pointillisme auquel il s’est essayé auprès de Signac, dont luxe, calme et volupté témoigne de l’influence, lui qui cherche une certaine tranquillité dans cette joie des couleurs. De Cézanne il apprendra peut-être la respiration de la touche qui fait jouer la toile et accuse le jeu des teintes « assemblées sur une surface plane » comme le dira Maurice Denis, mais aussi les rapports de forces internes au tableau. Et puis cette liberté prise vis à vis du dessin a la faveur d’une autre vérité que celle, naturaliste, des académies (Matisse essuiera au début les mêmes critiques que Cézanne : « vous ne savez pas dessiner ».). D’une certaine manière, c’est une forme de minimalisme que recherche Matisse dès le départ, un « less is more » qui lui permettrait par une économie de moyens d’obtenir un maximum d’expressivité. Le travail, la rigueur et la curiosité qui est la sienne pour les formes d’art extra européennes (ce sera lui qui offrira à Picasso sa première statuette africaine et on connaît ses voyages : Italie, Andalousie, Moscou, Tanger, Londre, Tahiti…) contribueront à son ambition énorme : « simplifier la peinture ». Lui-même l’a assez répété. Ou plutôt l’a-t-on fait se répéter en revenant sans cesse sur cette déclaration d’intention - «  que le tableau soit comme un bon fauteuil… » - et en s’y attachant sans nuance. Et suffisait d’y accorder une vie tranquille, sans frasques, pour en faire l’exact opposé de son contemporain catalan, à proportion impétueux et violent, iconoclaste et mangeur de femmes. La chose est que l’on aura beau reconnaître à Matisse sa gaité coloriste, son goût pour la courbe serpentine, les figures alanguies d’un vieux rêves oriental, ce ne sera jamais que dire à moitié ce à quoi offrent de s’affronter ses tableaux. Si l’harmonie et l’illustration d’une certaine douceur de vivre mêlée de danses joyeuses sont une orientation centrale, revendiquée et partout lisible, les gestes picturaux, les compositions et les conquêtes plastiques mettent devant les yeux des audaces répétées, une brutalité fauve et une inquiétude partout présente. Impossible de dire la figure d’un bourgeois pépère et sans passions comme on le dit souvent, l’expression d’une « impassibilité exquise et raffinée » quand il suffit de regarder les toiles et les collages pour recevoir de plein fouet la rigueur, l’acharnement à la tâche et la poussée continue qu’il exerça dans l’espace étroit de la peinture. S’il rêve effectivement d’un « art d’équilibre, de pureté, de tranquillité », c’est comme d’un idéal de conciliation car la peinture est au départ brutale et confuse, brouillée et dissonante. Il en est des tableaux comme des idées arrachées et conquises sur la complexité et la confusion du monde. Matisse entend qu’ils s’offrent comme une clarté, témoignent d’ordre et de stabilité. Il a insisté sur ce point : ce qu’il poursuit par-dessus tout c’est l’expression. Et cette expression est le contraire tout à fait d’un jaillissement spontané, d’un débordement de passion ou d’un mouvement violent. Elle est avant tout construite, élaborée laborieusement s’il le faut et c’est dans l’harmonie qui agrège chaque partie du tableau, dans l’équilibre qu’il installe, qu’elle se donnera durablement. Matisse ne se contente pas d’établir de simples jeux de contrastes, effets superficiels et lassant, dira-t-il ; il poursuite une « condensation d’états sensibles et contrôlés par le calme ». Rien ne l’intéresse moins que l’instant et les sensations fugitives guettées par les Impressionnistes. Toujours il cherchera par-delà le charme d’un mouvement de grâce une certaine stabilité, un caractère plus vrai, plus essentiel et plus durable. Nulle littéralité chez lui, une contraction plutôt. Eviter la confusion pour rétablir chaque élément dans son expression la plus vive, la plus nécessaire et la plus plaine est pour lui « mettre de l’ordre dans (ses) idées ». Pour autant, le tableau ne relève d’aucune théorie, il est affaire de sentiment et de sensibilité. L’ordre est à la mesure de l’instinct. Le tableau doit être une résolution, une conquête sur le trouble et la confusion. Le « bon fauteuil » dans lequel on rassoit Matisse n’est pas un abandon flegmatique et il n’est certainement pas le lieu depuis lequel s’élaborent les tableaux. Il est en vérité sa résolution apaisée ; et Matisse dira une autre fois pour compléter sa pensée : « une sorte de trêve, de certitude agréable » acquise par le travail. Ce qu’il veut offrir à voir dans la résolution de son tableau, c’est un espace dégagé et calme conquis sur le chaos.
Ce « repos de l’esprit » qu’il souhaite prodiguer a ceux qui regardent ses toiles, il le rapproche encore de ces antiques dont toutes les parties sont considérées au même titre et desquels se dégage une impression d’ensemble, d’unité. Il faut entendre là l’importance de la composition qui architecture l’œuvre et lui donne cette solidité finale en laquelle elle repose. Et c’est finalement de cela qu’il s’agit : élever la toile au milieu du chaos comme un repère ou comme un premier mot conquis sur le babil du monde. En ceci il s’agit d’un acte de compréhension et de clarification, ce sera essayer de mettre de l’ordre en lui-même, d’y voir clair et ainsi « devenir conscient de la qualité de (ses) désirs ». Une autre fois, il note après un entretient avec Rodin : « quand j’arriverais aux détails, j’aurais terminé mon œuvre : celle de me comprendre ». Car l’artiste est son propre trait d’union avec le monde dont il est et qu’il ne peut atteindre sans poser au préalable les rapports qu’il entretient avec lui.  (...)

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